Désolé il n’y a pas tout l’article. Le voici ci-dessous :
De même que George W. Bush restera dans l’histoire comme le " président des guerres " de l’après-
11-Septembre en
Afghanistan et en
Irak,
Barack Obama pourrait
passer
à la postérité comme le " président des drones ", autrement dit le chef
d’une guerre secrète, menée avec des armes que les Etats-Unis sont,
parmi les grandes puissances, les seuls à
posséder.
Rarement moment politique
et innovation technologique auront si parfaitement correspondu :
lorsque le président démocrate est élu en 2008 par des Américains las
des conflits, il dispose d’un moyen tout neuf pour poursuivre, dans la plus grande discrétion, la lutte contre les "ennemis de l’Amérique" sans risquer la vie de citoyens de son pays : les drones.
L’utilisation militaire d’engins volants téléguidés par les Américains n’est pas nouvelle : pendant la guerre du Vietnam, des drones de reconnaissance avaient patrouillé. Mais l’armement de ces avions sans pilote à partir de 2001 en Afghanistan marque un changement d’époque. Au point que le tout premier Predator armé à avoir
frappé des cibles après les attaques du 11-Septembre, immatriculé 3034,
a aujourd’hui les honneurs du Musée de l’air et de l’espace, à
Washington. Leur montée en puissance aura été fulgurante : alors que le
Pentagone ne disposait que de 50 drones au début des années 2000, il en
possède aujourd’hui près de 7 500. Dans l’US Air Force, un aéronef sur trois est sans pilote.
George W. Bush, artisan d’un large déploiement sur le terrain,
utilisera modérément ces nouveaux engins létaux. Barack Obama y recourra
six fois plus souvent pendant son seul premier mandat que son
prédécesseur pendant les deux siens. M. Obama, qui, en recevant le prix Nobel de la paix en décembre 2009, revendiquait une Amérique au "comportement exemplaire dans la conduite de la guerre",
banalisera la pratique des "assassinats ciblés", parfois fondés sur de
simples présomptions et décidés par lui-même dans un secret absolu.
LES FRAPPES OPÉRÉES PAR LA CIA SONT "COVERT"
Tandis que les militaires guident les drones dans l’Afghanistan en
guerre, c’est jusqu’à présent la très opaque CIA qui opère partout
ailleurs (au Yémen, au Pakistan, en Somalie, en Libye). C’est au Yémen en 2002 que la campagne d’"assassinats ciblés" a débuté. Le Pakistan
suit dès 2004. Barack Obama y multiplie les frappes. Certaines
missions, menées à l’insu des autorités pakistanaises, soulèvent de
lourdes questions de souveraineté. D’autres, les goodwill kills ("homicides
de bonne volonté"), le sont avec l’accord du gouvernement local. Tandis
que les frappes de drones militaires sont simplement "secrètes", celles
opérées par la CIA sont "covert", ce qui signifie que les Etats-Unis n’en reconnaissent même pas l’existence.
Dans ce contexte, établir
des statistiques est difficile. Selon le Bureau of Investigative
Journalism, une ONG britannique, les attaques au Pakistan ont fait entre
2 548 et 3 549 victimes, dont 411 à 884 sont des civils, et 168 à 197
des enfants. En termes statistiques, la campagne de drones est un succès
: les Etats-Unis revendiquent l’élimination de plus d’une cinquantaine
de hauts responsables d’Al-Qaida
et de talibans. D’où la nette diminution du nombre de cibles
potentielles et du rythme des frappes, passées de 128 en 2010 (une tous
les trois jours) à 48 en 2012 au Pakistan.
Car le secret total et son cortège de dénégations ne pouvaient durer éternellement. En mai 2012, le New York Times a révélé l’implication personnelle de M. Obama dans la confection des kill lists. Après une décennie de silence et de mensonges officiels, la réalité a dû être
admise. En particulier au début de l’année, lorsque le débat public
s’est focalisé sur l’autorisation, donnée par le ministre de la justice, Eric Holder, d’éliminer
un citoyen américain responsable de la branche yéménite d’Al-Qaida.
L’imam Anouar Al-Aulaqi avait été abattu le 30 septembre 2011 au Yémen
par un drone de la CIA lancé depuis l’Arabie saoudite. Le droit de tuer un concitoyen a nourri une intense controverse. D’autant que la même opération avait causé des "dégâts collatéraux" : Samir Khan, responsable du magazine jihadiste Inspire, et Abdulrahman, 16 ans, fils d’Al-Aulaqui, tous deux américains et ne figurant ni l’un ni l’autre sur la kill list, ont trouvé la mort. Aux yeux des opposants, l’adolescent personnifie désormais l’arbitraire de la guerre des drones.
La révélation par la presse des contorsions juridiques imaginées par les conseillers du président pour justifier a posteriori l’assassinat d’un Américain n’a fait qu’alimenter
les revendications de transparence. La fronde s’est concrétisée par le
blocage au Sénat, plusieurs semaines durant, de la nomination à la tête
de la CIA de John Brennan, auparavant grand ordonnateur à la Maison Blanche
de la politique d’assassinats ciblés. Une orientation pourfendue,
presque treize heures durant, le 6 mars, par le spectaculaire discours
du sénateur libertarien Rand Paul.
UN IMPORTANT DISCOURS SUR LA "GUERRE JUSTE"
Très attendu, le grand exercice de clarification a eu lieu le 23 mai devant la National Defense University de Washington. Barack Obama y a prononcé un important discours sur la "guerre juste", affichant enfin une doctrine en matière d’usage des drones. Il était temps : plusieurs organisations de défense des libertés publiques avaient réclamé en justice la communication des documents justifiant les assassinats ciblés.
Une directive présidentielle, signée la veille, précise les critères de recours aux frappes à visée mortelle : une "menace continue et imminente contre la population des Etats-Unis", le fait qu’"aucun autre gouvernement ne soit en mesure d’[y] répondre ou ne la prenne en compte effectivement" et une "quasi-certitude"
qu’il n’y aura pas de victimes civiles. Pour la première fois, Barack
Obama a reconnu l’existence des assassinats ciblés, y compris ceux ayant
visé des Américains, assurant que ces morts le "hanteraient"
toute sa vie. Le président a annoncé que les militaires, plutôt que la
CIA, auraient désormais la main. Il a aussi repris l’idée de créer une instance judiciaire ou administrative de contrôle des frappes. Mais il a renvoyé au Congrès la mission, incertaine, de créer cette institution. Le président, tout en reconnaissant que l’usage des drones pose de "profondes questions" - de "légalité", de "morale", de "responsabilité ", sans compter "le risque de créer de nouveaux ennemis" -, l’a justifié par son efficacité : "Ces frappes ont sauvé des vies."
Six jours après ce discours, l’assassinat par un drone de Wali
ur-Rehman, le numéro deux des talibans pakistanais, en a montré les
limites. Ce leader visait plutôt le Pakistan que "la population des Etats-Unis". Tout porte donc à croire que les critères limitatifs énoncés par Barack Obama
ne s’appliquent pas au Pakistan, du moins aussi longtemps qu’il restera
des troupes américaines dans l’Afghanistan voisin. Et que les "Signature strikes", ces frappes visant des groupes d’hommes armés non identifiés mais présumés extrémistes, seront poursuivies.
Les drones n’ont donc pas fini de mettre
en lumière les contradictions de Barack Obama : président antiguerre,
champion de la transparence, de la légalité et de la main tendue à l’islam, il a multiplié dans l’ombre les assassinats ciblés, provoquant la colère de musulmans.
Or les drones armés, s’ils s’avèrent terriblement efficaces pour éliminer de véritables fauteurs de terreur et, parfois, pour tuer des innocents, le sont nettement moins pour traiter les racines des violences antiaméricaines. Leur usage opaque apparaît comme un précédent encourageant pour les Etats (tels la Chine, la Russie, l’Inde, le Pakistan ou l’Iran) qui vont acquérir ces matériels dans l’avenir. En paraissant considérer
les aéronefs pilotés à distance comme l’arme fatale indispensable, le
"président des drones" aura enclenché l’engrenage de ce futur incertain.