Le dollar et le nouvel impérialisme américain (Myret Zaki - Jean-Michel Quatrepoint)
« Dans la guerre économique qui fait rage, les Américains veulent imposer leur modèle de régulation juridique. Ils le font à travers un chantage simple : si vous voulez vendre ou produire aux Etats-Unis, si vous voulez utiliser le dollar, vous obéissez à nos lois. Et vous adhérez à notre vision du monde. »
Xerfi Canal présente l’analyse de Jean-Michel Quatrepoint, Journaliste-essayiste
Pour un peu, on pourrait croire que les Américains ont repris à leur compte la fameuse envolée lyrique de François Hollande lors de son meeting du Bourget : "Mon ennemi, c’est la finance". Et il est vrai que les diverses autorités américaines s’attaquent, depuis quelques années, aux banques. Même si aucun grand nom de Wall Street, ni même aucun trader ne se retrouve derrière les barreaux, les amendes pleuvent. Tous azimuts. Il y en a déjà pour 80 milliards de dollars.
Ces amendes sanctionnent des comportements délictueux sur les marchés, des informations fallacieuses, des saisies abusives de logements et du blanchiment d’argent sale. Les banques étrangères sont également dans le collimateur. À commencer par les Suisses, UBS et le Crédit Suisse notamment. Là, il s’agit d’autre chose : les Américains punissent ces banques, parce qu’elles ont favorisé l’exode fiscal de contribuables américains. Washington a pris la tête de la croisade contre le secret bancaire et certains paradis fiscaux. L’objectif ? Faire rentrer de l’argent dans les caisses du Trésor et aux Etats-Unis. Et, accessoirement, affaiblir les concurrents du système bancaire américain. Et c’est là que vient se greffer l’affaire BNP Paribas.
À l’évidence, on a décidé outre-Atlantique d’en faire un exemple. Afin de montrer que les lois américaines s’appliquent partout et à tous.
Qu’a fait BNP Paribas ? Sa filiale suisse, spécialisée notamment sur les matières premières et certaines opérations commerciales complexes, a procédé à des transactions avec des pays sous embargo. Non pas un embargo des Nations Unies, mais des seuls Etats-Unis. Cette filiale gagnait beaucoup d’argent, les marges sur ces opérations frappées d’ostracisme par les Américains étant mécaniquement plus élevées. Ce qui agaçait fort ses concurrents anglo-saxons. Ces opérations, qui ont cessé depuis 2007, n’ont pas été effectuées à partir de la filiale américaine de la banque. Mais elles s’effectuaient en dollars. Or, toute transaction en dollars transite virtuellement par le sol américain.
C’est à l’époque de George W. Bush, que les Etats-Unis ont décidé que leurs lois s’appliqueraient à tous ceux qui exercent tout ou partie de leurs activités sur le sol américain, sont cotés sur une bourse américaine, y effectuent des opérations bancaires ou utilisent le dollar pour leurs opérations financières ou commerciales. Sont ainsi visées la quasi totalité des banques et des grandes entreprises mondiales. Car le dollar est la monnaie dans laquelle se libellent la plupart des contrats commerciaux, ou les achats de matières premières, comme le pétrole.
BNP Paribas a, en fait, commis une erreur d’analyse politique : ne pas avoir compris l’évolution des rapports de force entre les Etats-Unis, l’Europe et le reste du monde. Dans la guerre économique qui fait rage, les Américains veulent imposer leur modèle de régulation juridique. Ils le font à travers un chantage simple : si vous voulez vendre ou produire aux Etats-Unis, si vous voulez utiliser le dollar, vous obéissez à nos lois. Et vous adhérez à notre vision du monde.
Un chantage efficace ! Les grandes entreprises européennes et autres préférant payer, et passer sous les fourches caudines d’une justice américaine à géométrie variable, plutôt que de risquer d’être tricardes aux Etats-Unis ou interdites d’opérations en dollars. Voilà pourquoi, personne ne proteste vraiment, voilà pourquoi aucun gouvernement ne s’élève réellement contre ce nouvel impérialisme américain. Comme si les européens se résignaient à cette vassalisation (voir Critiques d’une Europe vassalisée : Nikonoff, Chouard, Asselineau... ). Les sanctions contre BNP Paribas seront donc particulièrement lourdes. Pour faire un exemple, et que les alliés des Etats-Unis comprennent bien où se trouve le centre du pouvoir.
« Les banques étrangères sont également dans le collimateur. À commencer par les Suisses, UBS et le Crédit Suisse notamment »
RTS (Radio Télévision Suisse) a consacré une émission (Les coulisse de l’événement) pour rendre compte du "conflit d’une exceptionnelle dureté" initié par les Etats-Unis contre les banques suisses : Le bal des menteurs ou la fin du système bancaire : La faillite d’un système
L’émission est visible sur le site internet de la RTS.
L’analyse qu’en fait Myret Zaki (Rédactrice en chef adjointe de Bilan) est particulièrement intéressante
Oui, aujourd’hui la fraude est un marché énorme, de 31 000 milliards d’avoirs défiscalisés de par le monde. Les Etats ont grand peine à les débusquer et à démanteler ces structures. Le secret bancaire n’est qu’une forme parmi d’autres, une forme très basique pour dissimuler ces avoirs ; les vraies formes pour les dissimuler sont aujourd’hui, la législation anglo-saxonne (voir Myret Zaki épingle les rois de l’évasion fiscale (UBS, Trusts anglosaxons, paradis fiscaux...) qui permet de mettre des structures qui font barrière entre l’Etat (le fisc) et la personne physique derrière (...)
Je pense qu’ils (les dirigeants des banques suisses accusées de fraude fiscale) sont bien conseillés par des avocats, qui leur disent qu’il y a trois règles : c’est nier, nier, et nier ! Donc c’est ce qu’ils font avec l’espoir que les autorités ne pourront pas réunir assez de preuves tangibles contre eux (...)
Ça me semble être une jolie mise en scène, parce que le sénateur Levine a sorti en 2006 un rapport de 300 pages sur l’industrie de l’évasion fiscale américaine, et ensuite il n’a pas donné suite à ça. Il a décidé de se tourner uniquement contre le secret bancaire, comme on l’a dit tout à l’heure. Et donc j’ai du mal à croire qu’il ait une réelle volonté d’aller contre ces puissantes et richissimes fortunes texanes qui sont dissimulées dans des trusts, qui sont dans les Caraïbes, dans les Caïmans, qui utilisent les Iles Marshall, les îles du Pacifique... toutes ces îles où les trusts sont aujourd’hui extrémement florissants. Et c’est aujourd’hui une industrie très lucrative, surtout pour les Etats-Unis où vous avez les associations des banques de Floride, du texas, qui sont très puissantes, et qui ont décidé que jamais elles ne voudront taxer à la source les avoirs latino-américains, ni même faire un échange automatique d’informations avec le reste du monde (...)
De toute évidence, les Etats forts vont chercher à récupérer tous les avoirs qu’ils peuvent. Puisque c’est la première fois de l’histoire (depuis la 2ème guerre mondiale en tout cas) que les Etats occidentaux sont aussi endettés. Et donc ils vont tout faire pour récupérer les recettes fiscales de leurs ressortissants. Mais en même temps ils vont tout faire pour garder leurs propres paradis fiscaux intacts. Et au final on arrive au fait que l’échange des informations fiscales soit extrémement inégal. La Suisse sera moins bien lôti que d’autres pays ; ne parlons même pas des pays africains et des pays latino américains, qui ne pourront ni récupérer des avoirs, ni avoir eux-mêmes des informations sur leurs ressortissants à l’étranger. Et donc on arrive à la conclusion que c’est exactement comme pour les accords commerciaux : c’est calibré au poids de la puissance politique du pays en question... (...)
On s’est débrouillé pour ne jamais trouver aucun manquement à tous ces patrons, qui pourtant, dans le montant de leur salaire y est inclus la responsabilité juridique... S’ils gagnent entre 20 et 50 millions, c’est bien parce qu’il y a une responsabilité juridique élevée, qu’ils doivent porter en tant que CEO ou président du conseil d’administration. Et pourtant cette impunité est devenue le standard que les Etats-Unis ont principalement répandu et que la Suisse suit pour ses grands patrons, elle ne les inculpe pas non plus. On trouve toujours le moyen de faire classer ces affaires, de faire payer des amendes à la place de condamnations pénales.
Il en ressort donc que la soi-disant guerre contre les paradis fiscaux et les banques fraudeuses, est surtout une guerre de concurrence entre les différentes mafias bancaires internationales, soutenues par des Etats non moins mafieux (USA, Grande-Bretagne, etc), puisque lobby financier-bancaire et pouvoir politique ne font plus qu’un (dans des pays qui prétendent pourtant être des parangons de démocratie...).
L’impérialisme américain continue donc à s’imposer, par sa (fausse) monnaie, sa puissance militaire et ses règles juridiques (qu’il impose surtout aux autres...)... Jusqu’à quand ?
Tags : Economie Etats-Unis Société Fiscalité International Banques
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