Philippe Corcuff critique Soral, Zemmour, Onfray et autres "confusionnistes"
Le débat public est-il de droite ? C’est la thèse de Philippe Corcuff, maître de conférences de sciences politiques à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, qui analyse dans son livre La Grande Confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées le glissement progressif des thèmes de l'extrême droite dans le débat public. Une tendance qui participerait ainsi à un brouillage entre les frontières idéologiques de la gauche et de la droite, qu'il appelle "confusionnisme".
En complément, entretien de Philippe Corcuff pour le site Regards.fr :
Extraits :
L’extrême droite a-t-elle d’ores et déjà gagné ?
« Le livre s’appelle “Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées”. Elle n’a donc pas encore déjà gagné. Les choses sont encore en jeu. »
« J’analyse dans mon livre les tendances idéologiques et je suis plutôt pessimiste. »
« Le livre se termine par une espérance que j’appelle mélancolique - que je peux retirer de Walter Benjamin ou de mon regretté ami Daniel Bensaïd une certaine de dose pessimiste tout en restant ouvert sur des possibilités d’avenir. »
« Je prévois de faire une suite à ce livre sur la grande confusion qui s’appellera “Réinventer l’émancipation”. »
Sur la formation discursive
« Mon analyse part de Michel Foucault et de son idée de formation discursive : pour lui, le découpage principal n’est pas le découpage en auteurs. C’est une forme de discours et d’idées idéologiques impersonnelles qui se constituent indépendamment de la conscience et de la volonté des différents locuteurs. »
« Les locuteurs et les penseurs participent à construire une trame de discours qui échappe à tout le monde. »
« Certains locuteurs interviennent dans mon livre de manière ponctuelle comme Etienne Balibar, un de ceux qui a réévalué la pensée de Carl Schmitt, un juriste nazi, dans la gauche radicale. »
« La plupart des contributions d’Etienne Balibar au débat politique et intellectuelle sont dans la formation discursive de l’émancipation. Mais ponctuellement, certains locuteurs comme lui, peuvent contribuer sur tel ou tel point, sur le rapport à la nation, sur l’affaiblissement de la frontière avec l’extrême droite… à la trame discursive confusionniste. »
« Il ne s’agit pas pour moi de remettre en cause des personnes dans leur globalité. »
« Certains locuteurs se sont enferrés dans la forme conservatrice en venant de la gauche - comme Michel Onfray aujourd’hui : on est là plus dans le ponctuel mais dans une forme stabilisée. »
Sur la cohérence du confusionnisme
« La cohérence que je propose est partielle : des connexions se forment mais elles sont partielles et mouvantes. »
« Dans cette cohérence, il y a des circulations. Par exemple, la sociologue Nathalie Heinich qui vient de la gauche et qui a fait sa thèse avec Pierre Bourdieu : elle est d’abord intervenue contre le PACS puis contre le mariage pour tous. Elle a écrit un article pendant le débat pour le mariage pour tous que je considère avoir des formules homophobes. Il y a un secteur qui vient de la gauche et qui a des proximités avec la Manif pour Tous. Ce secteur n’a pas forcément de lien avec ceux qui valorisent la nation et dévalorisent le monde. Mais il y a des circulations : Nathalie Heinich signe presque tous les textes qui dénoncent le décolonial ou le postocolonial et fait des amalgames autour de l’islamisme. Ca n’a rien à voir avec son opposition au mariage pour tous mais elle a contribué elle-même par son trajet à cette cohérence partielle. »
« En objectivant un espace en voie de constitution, en le prenant pour objet, on contribue un petit peu à lui donner de la consistance. Mais ce qui donne de la consistance à cet espace, ce n’est pas forcément le jeu des différents locuteurs mais le contexte. »
« Le clivage gauche-droite qui émerge à la fin du XVIIIe siècle pendant la Révolution française et qui chemine doucement au XIXe sans être le clivage principal mais qui au XXe siècle, va devenir la lecture dominante du monde politique, ce clivage s’affaisse en ce moment. »
« Le couple critique sociale - émancipation se dissocie : une partie de la pensée conservatrice que j’analyse comme celle d’Alain Soral, d’Eric Zemmour, de Renaud Camus, d’Hervé Juvin, d’Alain de Benoist ou de Mathieu Bock-Côté, a pris la critique comme un élément central - c’est ce que j’appelle l’hypercriticisme - mais oublier l’émancipation. »
« Sur les réseaux sociaux et sur internet en général, la dynamique critique est plutôt du côté ultraconservateur aujourd’hui alors que c’était auparavant une des caractéristiques centrales de la gauche : c’est la critique anti-système qui oscille entre le une critique du néolibéralisme, une critique des médias ou la critique de telle personne… Cette critique circule sous forme conspirationniste : il y a une manipulation cachée par quelques individus puissants. »
« C’est dans ce contexte que les interférences entre des thèmes d’extrême droite, de droite, de gauche modérée et de gauche radicale ont une cohérence car c’est quelque chose qui prend la place de l’ancien clivage en utilisant certains de ses termes. »
Philippe Corcuff sur Sud Radio : "Les Gilets Jaunes ? Une demande de démocratie mais aussi de choses troubles"
Tags : Racisme Homophobie Eric Zemmour Alain Soral Michel Onfray Conspirationnisme Sociologie Antisémitisme Gilets jaunes RN
18 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON