Pourquoi sommes-nous en oligarchie ? Quelles solutions
Cet article n’est en aucun cas une analyse politique mais les balbutiements d’une réflexion personnelle qui n’en est qu’à ses débuts et que j’aimerai partager pour la confronter afin de percevoir la question sous divers angles et la faire évoluer.
Avant tout voici une vidéo dans laquelle « Les propos d’Alain » sont lus par Jean-Pierre Lorit.
Les types de gouvernements
Nous connaissons tous la classification théorique traditionnelle qui sépare les types de gouvernements en trois catégories (la démocratie, l’aristocratie et la monarchie) auxquels on rajoute parfois leur opposé (ochlocratie, oligarchie, tyrannie).
Un premier constat : ces types de gouvernements ne sont que des formes théoriques qui ne correspondent pas à la pratique réelle du pouvoir.
En effet la démocratie, combinaison de ????? /dêmos, « peuple » et ?????? / krátos, « pouvoir », autrement dit" le peuple exerçant le pouvoir", au sein d’un Etat, n’a jamais existé.
Comme le précise Rousseau dans le contrat social : « A prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable Démocratie, et il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques, et l’on voit aisément qu’il ne sauroit établir pour cela des commissions sans que la forme de l’administration change »
Même dans le régime Athénien que nous appelons « Démocratie Athénienne », ce que l’ assemblée des citoyens ne pouvait pas faire , elle le déléguait soit à des tirés au sort ( dont le mécanisme par le principe de rotation de charges et d’ égalités des chances d être choisi ne remet pas en cause la nature démocratique ) , soit à des élus ( et cela est plus problématique , car l’élection est un mécanisme voulu comme aristocratique ) pour les charges qui requérait de la compétence comme celle de stratège.
Venons-en à la monarchie, du grec mono « seul », arke « pouvoir », autrement dit le« pouvoir d’un seul ».Cela non plus n’a jamais existé au sein des Etats, on a en effet jamais vu de monarque gouverner seul. Le monarques pour gouverner a besoin de collaborateurs dont il est dépendant et qui dans les faits exercent aussi le pouvoir. Dans les monarchies le pouvoir passe aux mains de détenteurs de principes de puissance différents (religieux, bureaucratique, juridique, économique etc.), qui forment un réseau d’interdépendance à l’origine des décisions Etatiques.
Et enfin occupons nous du cas de l’aristocratie : aristoi , les meilleurs, et kratos , pouvoir, autrement dit le pouvoir exercé par les meilleurs. Mais qu’est ce que le meilleur ? On ne peut décrire ce qu’est le meilleur qu’à l’intérieur d’un système de représentation qui se fonde sur des valeurs qui sont des normes qui font autorité dans une communauté. Ces valeurs sont variables et dépendent du contexte culturel, historique, du lieu, du temps, ce qu’exprimait Nietzche dans « Ainsi parlait Zarathoustra » : « Zarathoustra a vu beaucoup de contrées et beaucoup de peuples : c’est ainsi qu’il a découvert le bien et le mal de beaucoup de peuples. Aucun peuple ne pourrait vivre sans évaluer les valeurs ; mais s’il veut se conserver, il ne doit pas évaluer comme évalue son voisin. Beaucoup de choses qu’un peuple appelait bonnes, pour un autre peuple étaient honteuses et méprisables : voilà ce que j’ai découvert. Ici beaucoup de choses étaient appelées mauvaises et là-bas elles étaient revêtues du manteau de pourpre des honneurs ».
Puisque le terme « meilleur » ne veut rien dire dans l’absolu, on ne peut donc pas affirmer qu’il a déjà existé un gouvernement des meilleurs dans l’absolu.
Les sociétés complexes sont structurellement oligarchiques
Par société complexe, j’entends ici, des sociétés dans lesquelles existe une division sociale et technique du travail.
Dans les communautés primitives, parce qu’elles disposent de techniques simples, la division du travail est absente ou faible (se basant sur le sexe et/ou l’âge), l’organisation politique est dites minimale (organisation dans laquelle personne, ni individu ni instance, ne possède le monopole du pouvoir, il est immanent dans la communauté), les décisions sont prises collectivement.
La révolution néolithique et les changements paradigmatiques qu’elle a amenés ( dont la sédentarisation et l’ augmentation de la démographie ) vont de pair avec d’importants changements sociaux dont une stratification des populations et la formation de la pyramide du pouvoir hiérarchique qui préfigurent la future organisation des premiers grandes cités Etats de l’Histoire qui voient le jour quelques millénaires plus tard.
La division sociale et technique du travail a pour conséquence structurelle que le pouvoir dans les sociétés complexe se concentre en un point du champ social : la catégorie d’individus qui occupent ce champ est apellé oligarchie (membre d’une oligarchie, du grec ancien ????????? / oligarkhía, dérivé de ?????? / olígos « petit », « peu nombreux », et ???? /árkhô « commander », est donc une forme de gouvernement ou le pouvoir est détenu par un petit groupe de personnes).
Ainsi, pour répondre à la question : « pourquoi sommes-nous en oligarchie ? » La réponse à cette question est la suivante : pour des raisons structurelles et non conjoncturelles, il ne peut en être autrement, il faut un petit nombre qui gouverne et qu’un grand nombre soit gouverné lorsque les sociétés se complexifient.
On pourrait représenter de façon simplifiée le pouvoir au sein des Etats comme une série de cercles concentriques : plus on se rapproche du centre, plus on a d’influence politique sur les décisions Etatiques, plus on s’en éloigne, moins on en a.
Pourquoi, dans ce cas parle-t-on, des types de gouvernements théoriques puisqu’il n’existe que des oligarchies ?
Les raisons sont symboliques et psychologiques. Le pouvoir est avant tout une symbolique qui construit (et est construite) par des représentations mentales, il découle des attributs qui lui sont associés, de ses symboles qui construisent la légitimité de ceux qui les détiennent.
« Le Pouvoir est une chose étrange. Le Pouvoir réside là où les hommes pensent qu’il réside, c’est un tour de passe, une illusion, une ombre sur un mur ».Lord Varys , Game of thrones.
Ainsi, lorsque l’on parle de monarchie, c’est qu’un individu incarne symboliquement le pouvoir à savoir, le monarque et lorsque l’on fait allusion à la démocratie, c’est le peuple qui l’incarne symboliquement.
Discours de légitimation des oligarchies : le cas du système représentatif moderne et de l’égalité
On entend quelques fois ce discours, souvent de droite, selon lequel nos sociétés seraient égalitaristes. Qu’en est-il réellement ?
-Sur le plan économique : l’écart de rémunération entre patron et salarié n’a cessé de se creuser dans le monde, il est de 354 aux Etats unis et de 104 en France.
Autre chiffre révélateur : la richesse combinée des 85 personnes les plus riches du monde est égale à celle de la moitié la moins riche de l’humanité.
Il ne s’agit pas ici de déterminer si ces inégalités économiques sont bonnes ou mauvaises mais d’illustrer le fait qu’on ne peut décemment parler d’égalitarisme dans le domaine économique.
-Sur le plan politique : on pourrait facilement rire au nez de ceux qui prétendraient que nous sommes tous égaux politiquement, et que cette égalité inclue aussi bien les patrons de Goldman Sachs que les sans abris.
Mais montrons que cette égalité politique n’existe pas en partant du grand principe des gouvernements représentatifs, la représentativité : le principe de l’élection de représentants, implique, sous une quelconque modalité, un choix et donc l’établissement de distinctions entre les citoyens. La représentation se présente alors comme la forme sous laquelle les électeurs désignent des représentants pour prendre les décisions politiques et à les mettre en œuvre, à leur place. C’est le principe de distinction dans les gouvernements représentatifs.
Il ne s’agit pas non plus d’un plaidoyer pour abolir le régime représentatif et mettre en place l’égalité politique mais de montrer qu’on ne peut parler d’égalitarisme sur le plan politique car elle n’existe pas.
Si l’égalitarisme n’existe pas sur le plan politico –économique, pourquoi ces hommes de droite perçoivent ils un égalitarisme dans nos sociétés ?
Il y’a je crois à ce niveau, deux types de confusions :
-La première consiste à confondre le terme égalité et indifférenciation. Il existe en effet des discours idéologiques de nivellement, refusant toute forme d’inégalité, de discrimination ou de différence , aussi bien entre l’homme et la femme ( théorie du genre ), entre le maître et l’élève, entre le père et le fils , entre le bien et le mal, entre le beau cet le laid dans une logique du « tout se vaut ». Ce discours serait à l’origine d’une « démocratie » sortie de son ordre propre et appliquée à toutes les sphères de la société.
Une des choses que l’on peut montrer, c’est que l’indifférenciation est une des premières conséquences du pouvoir hiérarchique dans les sociétés complexes : puisqu’ elles réunissent un très grand nombre d’acteurs et de paramètres, il nait la nécessité pour les oligarques de se doter d’une capacité de prédiction, ceux qui travaillent dans les chaines de commandement doivent devenir prévisibles. Le système ne fonctionne que si ceux qui y participent apprennent à devenir conforme pour qu’il soit stable, car les sociétés complexes ont des problèmes d’adaptation face à l’instabilité.
Dans les sociétés modernes capitalistes techniciennes globalisés, ce phénomène s’est amplifié : pour établir une économie qui soit prévisible et manipulable, les personnes doivent entrer dans des catégories de moules et pour cela on les y incite en proposant des standards de société, des modèles de comportement type. Les êtres doivent devenir des paramètres, des personnifications de structures économiques.
Cette uniformisation n’est aucun cas de l’égalitarisme car elle ne concerne que les masses ceux qui sont à la périphérie, et non l’oligarchie qui est au centre ou s’en rapproche.
Par exemple, les discours pour l’égalité homme /femme se focaliseront sur la parité homme /femme comme représentant politique, ce qui peut à première vue paraitre égalitariste, à condition d’oublier la distinction politique primordiale entre électeurs et représentants, ou la distinction économique primordiale entre riches et pauvres.
-La seconde confusion consiste à confondre les discours de légitimation des oligarchies avec la pratique réelle du pouvoir.
Toute oligarchie fait face à la nécessité de légitimer sa place dans la société ; par exemple dans les anciennes monarchies, le droit divin est la justification d’un pouvoir par le choix de Dieu, choix souvent exprimé par l’affirmation d’une généalogie, d’une « race choisie ».
Dans les régimes représentatifs modernes, le discours de légitimation des oligarchies s’articule autour de la thématique de l’égalité, même si dans la pratique, comme toutes oligarchies, elles essaient simplement par de préserver leurs places, par des mécanismes qu’il serait trop long de décrire ici.
Les régimes représentatifs que nous appelons « démocratique » sont en réalité des régimes mixtes entre oligarchie et ochlocratie (régime dans lequel la foule en tant que masse manipulable et passionnelle a le pouvoir d’imposer sa volonté, dans notre cas, par le suffrage universel ou par ses choix de consommation).
Fondamentalement dans ce régime ochlo-oligarchique, le peuple est vu comme une masse irrationnelle constituée de consommateurs passifs devant être organisés par une élite (les dirigeants mènent le peuple en le manipulant, en le flattant et en appelant aux passions pour le faire agir comme ils le souhaite , la satisfaction des désirs égoïstes rendant les masses, heureuse et par conséquent docile).
Gouvernements mixtes et contre pouvoirs
Nous sommes donc dans des oligarchies légitimant leur pouvoir par un discours idéologique et s’appuyant sur les types de gouvernements théoriques comme symbole. Mais il existe plusieurs types d’organisations institutionnelles de ces oligarchies.
Dans les propos d’Alain de la première vidéo, il est dit : « Et je crois bien que dans toute constitution il y a de la monarchie, de l’oligarchie, de la démocratie, mais plus ou moins équilibrées ». Ce qui rejoint Rousseau dans le contrat social « Ainsi il y a un point où chaque forme de Gouvernement se confond avec la suivante ».
Après avoir fait ce constat, ce que le philosophe Alain appelle la démocratie, ce sont les contre pouvoirs : « Où est donc la Démocratie, sinon dans ce troisième pouvoir que la Science Politique n’à point défini, et que j’appelle le Contrôleur ? Ce n’est autre chose que le pouvoir, continuellement efficace, de déposer les Rois et les Spécialistes à la minute, s’ils ne conduisent pas les affaires selon l’intérêt du plus grand nombre. La Démocratie serait, à ce compte, un effort perpétuel des gouvernés contre les abus du pouvoir ».
On retrouve une thématique importante aux yeux de cet analyste politique qu’était Machiavel, la nécessité d’instances de surveillance des pouvoirs publics : « Le peuple, quand il fait des magistrats, doit les créer de manière qu’ils aient lieu d’appréhender, s’ils venaient à abuser de leur pouvoir ».
C’est sur cette base qu’il va élaborer sa théorie du gouvernement mixte qui consiste en l’équitable distribution des forces des pouvoirs entre le prince, les optimates et le peuple, chacune de ces instances devant contrôler les autres.
C’est aussi l’intuition du philosophe Alain qui conclut la vidéo par : « Et, comme il y a, dans un individu sain, nutrition, élimination, reproduction, dans un juste équilibre, ainsi il y aurait dans une société saine : Monarchie, Oligarchie, Démocratie, dans un juste équilibre. »
En d’autres termes, pour reprendre l’image des cercles concentriques, le gouvernement mixte est celui ou la périphérie exerce un contrôle via des institutions de contre pouvoirs sur le centre.
Le centre n’est certes plus dans notre réalité moderne capitaliste occupé par les politiques, que l’on pourrait représenter quelques couches plus loin, mais la sphère politique reste d’une importance capitale, car servant de chambre d’enregistrement des décisions prises par le centre et sans lequel il ne peut rien faire.
A nous d’en tirer les conséquences.
Sources vidéos :
Tags : Politique Société Démocratie Oligarchie Etienne Chouard
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