Histoire des relations publiques (4)
Voici la suite de la série sur l’histoire des relations publiques au cours du XX ème siècle.
Cette série explique comment ceux qui furent au pouvoir ont utilisés les théories de Freud pour contrôler les foules à l’ère moderne de la » démocratie « de marché (voir seconde partie pour la définition du terme démocratie en guillemet inversé).
Dans la troisième partie, il a été étudié la transformation sociale qui a produit des individus narcissiques dont les doléances collectives éclatent en une multiplicité de quêtes du bonheur individuelle et de son pendant économique, le marketing de style de vie.
Dans cette quatrième partie, c’est l’aspect politique de cette transformation sociale qui sera examiné.
Dans de la troisième partie, nous avons vu que le SRI (Stanford Research institute) a appelé son système de catégorisation du nouvel individualisme VALS « valeurs et styles de vies » qui a permit de catégoriser la population en une douzaine de groupes et de savoir lesquels achèteraient leurs produits et comment ils pouvaient les leur vendre, les produits de consommations ayant une signification émotionnelle, devant permettre d’exprimer son individualité.
Appliqué à la politique, le VALS devait permettre de prédire l’élection d’un politicien et devait lui donner les outils électoraux pour remporter une élection.
Dans les années 80, Margaret Thatcher, Ronald Reagan et leurs alliés de la publicité et des médias vont exploiter ce système pour faire la promotion d’une philosophie de la satisfaction personnelle par le bien être individuels en plaçant au centre de la société les désirs individuels.
Ronald Reagan et Margaret Thatcher vont encourager d’ une part les entreprises à combler les besoins des individus et vont encourager d’autres parts les individus à rechercher la satisfaction de leurs désirs par la consommation comme leur priorité principale. Pour eux , il s’agissait d’une nouvelle forme de » démocratie « .
Une mosaïque de vote plébiscitait les propositions de Reagan et Thatcher, les sondeurs traditionnels ne trouvait pas de modèle cohérent pour expliquer ce phénomène. Le VALS permettait de l’expliquer : en testant les résultats aux Etats unis et en Angleterre, il a permit de montrer que les discours individualistes de Reagan et de Thatcher avait séduit les « autonomes » (le nouveau groupe le plus individualiste de la société, voir troisième partie).
Ces autonomes ne correspondaient à aucune classe sociale, à aucune classe d’âge ou de genre, ce qui les rendait invisible dans les sondages traditionnels ……
Le groupe des autonomes qui était très attaché à l’individualisme était surreprésenté dans la jeunesse et dans la nouvelle gauche que l’on pensait pourtant très concerné par le social et que les spécialistes n’imaginaient pas voter conservateur et républicain. Reagan et Thatcher ont pourtant gagné leur sympathie, ce qui a fait la différence lors des élections
Ronald Reagan
En 1980, Ronald Reagan s’engagea pour la présidence. Son équipe de campagne était persuadé qu’il gagnerait avec un programme individualiste. Il fallait s’attaquer à 50 ans d’ingérence gouvernementale dans la vie privée.
Reagan expliquait dans ses discours que les américains devaient prendre des décisions individuellement, indépendamment des bureaucrates, du gouvernement central et des juges. Les individus devaient reprendre le pouvoir et le contrôle de leur destinée.
Au début de l’année 1981, Reagan fut investi président et du faire face à une catastrophe économique sans précédent, résultat de la crise des années 70. En accord avec ses promesses de campagne Reagan expliqua au américains que le gouvernement ne donnerait pas d’aide.
La sortie de crise s’est faite grâce aux autonomes qui allaient de venir les moteur de la nouvelle économie. L’inflation des années 70 a détruit une partie de l’industrie lourde américaine, l’Amérique pays capitaliste industriel s’est donc converti sous l’impulsion de Reagan et des autonomes en pays capitaliste tertiarisée de consommation et de services postindustriels.
Le problème de saturation des marchés était surmonté : avec ce nouveau moi ultra individualiste, les désirs des consommateurs n’avaient plus de limites, le passage d’un marché à besoins limités constitué d’individus satisfait à la consommation à un marché de désirs illimités qui changent sans cesse et dominé par l’expression du « moi » a réglé la question de la saturation. La virtualisation financière de la croissance fictive par endettement permit de potentialiser cette nouvelle société de consommation sans limite et de contrebalancer la loi des rendements dégressifs.
Le boom du consommateur infini a régénéré l’économie américaine.
Margaret Thatcher
Les idées et les techniques des relations publiques vont aussi conquérir l’Angleterre des années 80.
A la différence de l’Amérique, l’élite politique Britannique s’était toujours méfiée de l’idée de flatter les masses, cette tendance était incarnée par l’élite patricienne qui dirigeait la BBC : les programmes populaires servaient d’appâts pour attirer les spectateurs vers des programmes plus sérieux.
L’élite était censée savoir ce qui était bon pour les masses, la notion de sondages d’opinions lui était étrangère.
Margaret Thatcher disait qu’on devait laisser les gens s’exprimer eux-mêmes. Au lieu d’être contrôlé par l’Etat, l’individu devenait le point central de la société.
Avec la crise des années 70, la consommation s’effondrait, le seul moyen pour l’ économie de s’ en tirer était d’importer la méthodologie américaine basée sur la recherche des désirs individuels des consommateurs et de plonger dans les motivations psychologiques de l’acte de consommation, ce que fit l’industrie britannique.
Lors de l’accession au pouvoir de Margaret Thatcher, l’industrie publicitaire et le marketing s’épanouirent et la consommation explosait.
Cette nouvelle culture marketing commença à envahir les institutions autrefois dominée par l’élite patricienne, surtout dans le journalisme.
La profession des relations publiques qui était perçue comme mauvaise et corrompue est devenue juteuse en promouvant produit de consommation et célébrités.Les journaux recevaient des interviews exclusives de célébrités si seulement ils acceptaient de mettre des publicités pour des produits de consommation. Autrement dit, l’entreprise dictait ce qu’il fallait publier.
Pour les journalistes traditionnels, ces publicités dans leurs pages étaient une dégradation de leur profession. Pour les alliés de Thatcher comme Rupert Murdoch qui détenait le Sun et le Times, c’était une révolution » démocratique « contre une élite arrogante qui avait ignoré pendant trop longtemps les sentiments des masses.
La gauche s’effondre
Pour leur opposants de gauche, Ronald Reagan et Margaret Thatcher ont fait ressortir les aspects les plus égoïstes et avares de l’être humain.
Pour la gauche, créer une société meilleure nécessitait non pas de traiter les personnes comme des individus émotionnels isolés mais de les persuader qu’ils ont des intérêts communs avec les autres et de les aider à dépasser leurs sentiments et peurs individuels
Pendant la dépression des années 30 en Amérique, le président Roosevelt face au chaos causé par le Krach de Wall Streets poussa les américains à créer des syndicats et mutualiser un système d’entraide. Il s’agissait de créer une conscience collective qui servirait de boucler contre le pouvoir sans entrave du capitalisme qui était à l’ origine de la crise. Cette idée a conduit la gauche pendant 50 ans mais dans les années 80, travaillistes et démocrates perdirent élection après élection, leur électorat traditionnel s’étant dirigé vers les conservateurs.
Pour reprendre le pouvoir, la gauche devait séduire les nouveaux individualistes.
Les partis politiques de gauche aux USA et en Angleterre ont compris leurs échecs et se sont également tournés vers cette approche ultra individualiste pour regagner en popularité en allant encore plus loin : créer une nouvelle forme de »démocratie« qui correspondrait exactement aux désirs personnels des individus.
…et se relève
Clinton avait fait correspondre sa campagne aux désirs des électeurs individualistes, qui ne souhaitaient payer des impôts uniquement pour des choses qui leur sont directement bénéfiques et non pas pour le bien être des autres.
L’équipe de campagne de Clinton feignit de capituler devant les désirs égoïstes de la classe moyenne , la promesse d’ allègement fiscal était le prix à payer pour reprendre le pouvoir , mais une fois aux charges , elle projetait de suivre une politique de gauche traditionnelle en venant en aide aux pauvres délaissés sous Reagan et Bush par une réforme du système de santé , par la diminution des dépenses militaires et en augmentant les impôts des plus riches.
Le but était de créer une nouvelle coalition électorale entre les électeurs traditionnels et les nouveaux individualistes qui devaient tous être satisfait par les mesures prises.
L’optimisme des démocrates fut de courte durée, en 1992, Clinton fut élu président et en quelques semaines, son administration découvrit que le déficit budgétaire était plus profond que dans leur anticipation. Clinton fit face à un dilemme : il fallait faire un choix entre politique traditionnelle de gauche consistant à augmenter les impôts en faveur des pauvres et des démunis et une politique de droite consistant à couper les aides sociales. Il choisit d’augmenter les impôts et essaya de convaincre le pays.
Lors des élections du congre, les républicains promirent de grande coupe d’impôts et le démantèlement du système d’aide sociale. Les électeurs déçus de Clinton se vengèrent et les républicains gagnèrent massivement les deux chambres.
Pour Clinton, ce fut une catastrophe, sa popularité s’effondra et était persuadé qu’il ne serait pas réélu.
Par désespoir et sans se référer à son cabinet, Clinton demanda de l’aide à un stratège politique, Dick Morris.
Morris lui expliqua que pour regagner l’élection, il devait changer la nature même de la politique. Les électeurs individualistes se comportaient et pensaient en consommateurs, la seule manière de les regagner était d’oublier toute idéologie et de transformer la politique en affaire de consommation. Il fallait identifier leurs désirs personnels et promettre de les réaliser.
La politique doit être sensible aux lubies et aux désirs du marché pour obtenir le vote comme le capitalisme est sensible aux lubies et aux désirs des consommateurs pour le profit.
Morris alla voir le bureau de recherche marketing le plus influent nommé Penn et Schoen et leur commanda un sondage de neuro -personnalité qui concernait des centaines de milliers d’électeurs.
Dick Morris appela cela "la politique des petits ennuis" : des petits détails de la vie et les anxiétés personnelles des personnes devinrent des thématiques politiques pour gagner le pouvoir.
Au début de la campagne électorale, toute la politique traditionnelle était oubliée, Clinton se concentra sur la politique qui cibla les préoccupations personnelle des électeurs individualistes : des téléviseurs disposant de système permettant d’empêcher les enfants de regarder des films porno, des bus scolaires équipés de téléphones mobiles afin de rassurer les parents etc.
Clinton était encouragé à refléter le mode de vie des électeurs en affichant ses loisirs comme la chasse et le bricolage.
Morris insista pour que Clinton fasse un sacrifice symbolique de la politique traditionnelle de gauche : afin de pousser les électeurs à le croire, en aout 1996, il signa une circulaire qui arrêtait le système d’aide sociale pour les pauvres et les chômeurs.
Ce fut la fin réelle du système d’aide sociale crée par le président Roosevelt, 60 ans plus tôt. Ce fut également la fin de l’idéal progressiste dont Roosevelt avait été le représentant, selon lequel celui qui était au pouvoir devait persuader les électeurs à se comporter comme des êtres sociaux, non pas comme des individus égoïstes
Sous l’impulsion de Dick Morris et des sondeurs, la politique est devenue une simple collection de désirs individuels à satisfaire, la »démocratie « n’est rien de plus que de flatter les non dits des désirs primitifs des électeurs.
Le triomphe de cette politique du moi individualiste faisait également la différence en Grande Bretagne.
En 1994, Tony Blair devint le leader du parti travailliste, les désirs et les peurs de ces nouvelles classes aspirationelles devint central dans la politique du parti.
Et comme en Amérique, les travaillistes ont été forcés d’abandonner les mesures qui ne bénéficiaient pas aux électeurs individualistes indécis et ce en sacrifiant leurs principes fondamentaux : l’engagement public de contrôler l’industrie inscrit comme la quatrième clause de la constitution du parti. Cette clause avait pour objet d’utiliser le pouvoir collectif du peuple pour combattre l’avarice du monde des affaires. Cependant, les électeurs ne se considéraient plus comme exploité par le marché mais comme des consommateurs individuels qui étaient comblés par ce dernier et auquel il donnait une identité.
Une fois au pouvoir, les travaillistes gouvernèrent avec un système qu’ils appelèrent « la démocratie continue ».Mais ce qui a fonctionné si bien avec le marketing de style de vie en économie mena politiquement le gouvernement travailliste dans un labyrinthe déroutant de lubies et de désirs contradictoires. Le problème du VALS en politique est l’inconstance des masses, le gouvernement doit suivre une masse d’opinion individuelle changeante et sans cohérence réelle.
Le parti travailliste faisait face à un paradoxe : le système de démocratie par la consommation qu’ils ont choisi les a mené vers une série de mesures à court terme et contradictoires, critiqué par les consommateurs eux-mêmes.
L’individu esclave de ses désirs
Le point de vue Freudien selon lequel les êtres humains sont des individus instinctivement égoïste a été promu et encouragé par le capitalisme car il produit des consommateurs idéaux.
Faire de la politique la satisfaction d’individus narcissiques et égoïste dont les doléances collectives éclatent en une multiplicité de quêtes du bonheur individuelle est une démarche fondamentalement antipolitique.
L’exaltation permanente des désirs ne trouve plus aucune borne. Alors que les consommateurs croient être libres, comme les politiciens, ils sont les esclaves de leurs propres désirs.
Mettre le système politique au même niveau que la philosophie du consommateur roi produit une esthétique prostitutionnelle : chaque être, politique comme électeur est son propre proxénète et doit se vendre. L’argent est devenu la substance des relations intersubjectives. Il a pénétré les âmes et les corps, jusqu’à l’os. La mode conditionne les esprits et les corps, et par son intermédiaire, tout est marchandise, l’esprit comme le corps.
En arrière-plan, il y a la captation de l’univers enfantin par le marché : l’enfant, qui sait consommer, mais ne sait pas produire, est le consommateur parfait, totalement soumis au « principe de plaisir ».
Au final, ce monde machinal est peuplé d’esclaves s’esclavageant eux-mêmes. Il y a un contrat implicite, intériorisé par les sujets du capitalisme consumériste : soumets-toi, et tu pourras jouir.
Ce dressage rend possible une formidable innovation en termes d’ingénierie sociale : le snobisme de masse. La société traditionnelle offrait aux pauvres les avantages spirituels de la non-possession. La société de consommation de masse, leur offre le faux avantage matériel d’une consommation ludique bas-de-gamme.
Source : ftb
Tags : Histoire
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