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On verrait la multitude opprimée au-dedans par une suite des
précautions mêmes qu’elle avait prises contre ce qui la menaçait
au-dehors. On verrait l’oppression s’accroître continuellement sans
que les opprimés pussent jamais savoir quel terme elle aurait, ni
quels moyens légitimes il leur resterait pour l’arrêter. On verrait
les Droits des Citoyens et les libertés Nationales s’éteindre peu à
peu, et les réclamations des faibles traitées de murmures séditieux
(...) C’est du sein de ce désordre et de ces révolutions que le
Despotisme, élevant par degrés sa tête hideuse et dévorant tout
ce qu’il aurait aperçu de bon et de sain dans toutes les parties de
l’Etat parviendrait enfin à fouler aux pieds les Lois et le Peuple,
et à s’établir sur les ruines de la République. Les temps qui
précéderaient ce dernier changement seraient des temps de troubles
et de calamités : mais à la fin tout serait englouti par le Monstre
et les Peuples n’auraient plus de Chefs ni de Lois, mais seulement
des Tyrans (...) C’est ici que tous les particuliers redeviennent
égaux parce qu’ils ne sont rien, et que les Sujets n’ayant plus
d’autre Loi que la volonté du Maître, ni le Maître d’autre règle
que ses passions, les notions du bien et les principes de la justice
s’évanouissent derechef. C’est ici que tout se ramène à la Loi du
plus fort, et par conséquent à un nouvel Etat de Nature différent
de celui par lequel nous avons commencé, en ce que l’un était
l’Etat de Nature dans sa pureté, et que ce dernier est le fruit d’un
excès de corruption."
Jean-Jacques Rousseau, extrait du Discours sur le fondement et l’origine de l’inégalité parmi les hommes.