Jacques Sapir - Ça vous regarde 24 Octobre 2013

Il vous faut comprendre la logique de l’ajustement de la valeur d’une monnaie.
 
Avec les accords de Bretton Woods, cette logique était :
Si un pays est en excédent commercial (balance commerciale positive), alors la valeur de sa monnaie doit être réévaluée par rapport aux autres monnaies.
Si un pays est en déficit commercial (balance commerciale négative), alors la valeur de sa monnaie doit être dévaluée par rapport aux autres monnaies.
 
Avec la fin des accords de Bretton Woods, la valeur d’une monnaie est fixée sur les marché, par la loi de l’offre et de la demande. Cela revient grosso-modo au même fonctionnement puisque l’offre de monnaie nationale sur le marché augmente lorsque le pays importe et que la demande de monnaie nationale sur le marché augmente lorsque le pays exporte.
 
Donc on peut continuer de faire cette équivalence :
excédent d’importation => dévaluation de la monnaie.
excédent d’exportation => réévaluation de la monnaie.
 
Au dernière nouvelle, la France avait un déficit commercial de 70 milliards d’Euros.
Donc il faut dévaluer la monnaie française.
 
Ceci dit, il faut comprendre pourquoi la France a eu une monnaie si forte.
Était-ce dû à une meilleure productivité qu’ailleurs ?
Était-ce dû à une sous-évaluation de sa monnaie ?
 
La productivité en France est très correcte, c’est vrai,
mais il faut voir que le gros des exportations françaises sont dues à des productions d’infrastructures de hautes technologies et qui se monnayent très cher : Aéroports, Avions, TGV, Métros, systèmes militaires, Centrales nucléaires, Pylones, Autoroutes, Ouvrages d’Art,...etc
 
Ce sont ces productions qui ont tiré notre balance commerciale vers le haut. Ce n’est pas la vente de viandes, de fruits et de légumes, ni la vente de meubles, ni la vente de quincaillerie, ni la vente de chaussure ou de tissus.
 
Il s’ensuit que le Franc avait déjà été réévalué de nombreuses fois, non en rapport avec le coût des productions de base en France, mais en rapport avec l’exportation d’infrastructures à travers le monde.
 
Il s’ensuit donc logiquement que le prix de nos productions de base (nourriture, mobilier, vaisselle, vêtement) est très élevé à l’export, puisqu’elles sont exprimées en une monnaie nationale dont la valeur à l’internationale est très élevée, du fait de son renchérissement progressif à cause de ces exportations d’infrastructures.
 
Ainsi, on voit bien que les exportations des uns jouent sur les exportations des autres.
Plus la France a exporté d’infrastructure, moins l’agriculture, le tissage, le mobilier,..etc ont pu exporter, puisque le prix de ces produits de base à l’export a augmenté, ceci sans rapport avec une quelconque augmentation des coûts de production, mais en rapport avec le renchérissement de la monnaie consécutif aux excédents commerciaux réalisés via l’exportation d’infrastructures.
 
On voit donc clairement que la valeur de la monnaie est un Bien Commun.
 
On peut maintenant transposer la même logique au plan de L’UE zone Euro.
L’Allemagne exporte massivement ses productions, elle bat record sur record en matière de balance commerciale positive. Cela pousse mécaniquement l’Euro à la hausse.

Du coup, tous les pays qui ont une balance commerciale déficitaire se retrouvent asphyxiés par cette hausse de l’Euro...

Le producteur d’huile d’olive en Grèce ou de fromage dans le Larzac ne peut plus travailler parce que ses marges s’évanouissent à cause du renchérissement de l’Euro provoqué par les exportations massives de Porche, d’Audi, de Mercedes et de BMW...
 
Il s’ensuit que, dans un contexte de libre-échange, sans protectionnisme ni transfert de capitaux d’un secteur économique vers l’autre, mais aussi d’un pays vers l’autre, toutes les entreprise de productions de base de l’UE sont petit à petit emmenées à la faillite par les exportations massives de la grande industrie Allemande, puisque ces exportations font renchérir la valeur de l’Euro, d’un renchérissement sans rapport avec l’évolution de la productivité des secteurs économiques de base qui n’arrivent alors plus à tenir la concurrence des pays hors-UE.
 
Cela se traduit en chômage massif d’une part, et d’autre part en l’augmentation massive des importations de produits de base (nourriture, mobilier, vêtement, poterie,..etc).
 
Cependant, puisque la nourriture, pour des raisons de conservation, a un avantage à être produite localement, ce secteur résiste à peu près, et encore c’est grâce à la PAC qui organise des transferts de capitaux. Mais cela nous permet de remarquer par comparaison des prix de la nourriture à l’internationale, que le niveau de l’Euro est particulièrement surévalué pour le secteur agricole, car le prix de la nourriture en France peut-être jusqu’à 10 fois supérieur à ce qu’il est dans d’autres pays.

Ce dernier constat permet de valider mon raisonnement précédent.
 
Il permet également d’invalider votre assertion que "diminuer la valeur de la monnaie renchérirait le coût des importation", puisque précisément les produits importés se renchérissant, il deviendrait à nouveau rentable de les fabriquer ici. Il ne serait donc plus nécessaire de les importer. Dévaluer la monnaie permettrait donc de diminuer les importations, et ça tombe bien puisque c’est ce que l’on veut étant donné que le pays a aujourd’hui un déficit commercial massif.