L’historien américain Robert C. Davis,
rappelle que plus d’un million de chrétiens ont été asservis par les
Barbaresques entre le XVIe et le XVIIIe siècle.
VOILÀ UN LIVRE savant
qui fera date en ce lendemain de la journée commémorative de l’abolition de
l’esclavage. L’étude de l’historien américain Robert C. Davis vient apporter un
élément entièrement nouveau dans ce dossier en évoquant la traite dont les
chrétiens furent victimes par les arabo-musulmans en Méditerranée du XVIe et
XVIIIe siècle. Son travail, le premier d’une telle ampleur, renouvelle la
connaissance que l’on peut avoir de l’esclavage, ce crime contre l’humanité
dont la liste des pratiques ne finit pas, hélas, de s’allonger. On connaît bien
aujourd’hui, notamment grâce aux travaux d’histoire globale d’Olivier
Pétré-Grenouilleau, la traite des Africains par les Blancs, tout comme celle
des Noirs par les Arabes. Mais celle des chrétiens par les musulmans restait,
en revanche, totalement ignorée.
Ce que Davis appelle
« l’autre esclavage » a pourtant touché un nombre considérable de chrétiens.
Contrairement à ce qu’avait cru Fernand Braudel, qui avait minimisé le
phénomène dans ses travaux sur la Méditerranée, ce serait plus d’un million de
personnes, principalement des hommes habitant les pourtours de la Méditerranée,
qui ont été vendus comme esclaves dans les marchés d’Alger, de Tripoli ou de
Tunis, les principales villes de ce qu’on appelait alors la Barbarie. On est
loin du tableau anecdotique d’une Angélique livrée aux Barbaresques pour sa
beauté. La plupart des victimes furent d’ailleurs principalement des hommes,
venus d’Espagne, de France et surtout d’Italie. Avant l’étude de Davis, ce
phénomène n’avait jamais pu être chiffré. Professeur d’histoire sociale
italienne à l’université de l’Ohio, l’auteur a consacré de longues années
d’étude à ce phénomène qui a marqué pendant des siècles les populations du sud
de la Méditerranée, notamment celles qui étaient les plus proches des Etats
barbaresques et qui ont été en butte à des razzias très fréquentes (ainsi
subsistent sur les côtes méditerranéennes ces tours destinées à informer les
populations d’une razzia imminente). Le danger était permanent. L’auteur
rappelle que les musulmans conservaient au XVIe siècle des bases dans certaines
îles de la péninsule italienne, comme Ischia, au large de Naples... De nombreux
villages, construits sur des promontoires rocheux, faisant dos à la mer, portent
témoignage du traumatisme de ces populations locales qui pouvaient, à l’aube,
être capturées par des bateaux surgissant en silence de la brume. Les plus
durement frappés furent les marins, les marchands et les modestes pêcheurs de
ce qu’il était alors convenu d’appeler « la mer de la peur » !
Les conditions de vie
des esclaves chrétiens ont été souvent effroyables, particulièrement dans les
bagnes publics, où il régnait un climat de violence sexuelle. Mais, à la
différence de la traite africaine, les captifs pouvaient, moyennant rançon,
échapper à leur captivité. Des institutions religieuses vont d’ailleurs se
spécialiser en Europe pour racheter ces malheureux, comme les Trinitaires ou
les Mercédaires. Aussi les esclaves chrétiens n’ont-ils pas fait souche en
terre d’Islam. Pourtant, ils y restèrent en moyenne près d’une dizaine
d’années, quand ils n’y mouraient pas tout simplement (le taux de mortalité y
était élevé, autour de 15 %). Certains préférèrent se convertir à l’Islam et
mener ensuite à leur tour des razzias contre leurs anciens compatriotes.
Mais les récits des
chrétiens ont parfois été romancés, ce qui explique que pendant longtemps on a
négligé ce type d’esclavage. On sait désormais qu’il faut le considérer avec
attention. Ainsi peut-on lire Captifs en Barbarie, ce récit poignant d’un jeune
mousse anglais, Thomas Pellow, capturé au XVIIIe siècle en Méditerranée et
vendu comme esclave au terrible sultan Moulay Ismaïl, qui l’utilise, avec des
milliers d’autres chrétiens, à la construction de son palais gigantesque.
Racontée par le journaliste anglais Giles Milton, cette histoire, certes
anecdotique, complète la magnifique étude de Robert C. Davis qui rappelle qu’il
n’y eut en Barbarie aucun pendant du célèbre « code noir » pour venir limiter
les pouvoirs du maître musulman sur son esclave.
Esclaves chrétiens
Maîtres musulmans
L’esclavage blanc en
Méditerranée (1500-1800)
de Robert C. Davis
Editions Jacqueline
Chambon, 333p., 22 €.
Captifs en Barbarie.
L’histoire extraordinaire des esclaves européens en terre d’Islam
de Giles Milton
Noir sur blanc, 301
p., 25 €.