Analyse politique de l’affaire "Boko Haram"
Pour débuter cet article, voici le point de vue de Kemi Seba qui revient sur la campagne de médiatisation de Boko Haram, orchestrée par les Etats-Unis et sur le rôle de l’Africom dans la géopolitique africaine, la suite de l’article étayera cette analyse.
Retour sur les événements
Boko Haram, de sa dénomination abrégée en haoussa, ou « groupe sunnite pour la prédication et le djihad » a enlevées 276 lycéennes au Nigeria le 14 avril dernier, dans l’Etat de Borno.
Depuis, les politiques, artistes et plusieurs premières dames ou ex- premières dames se sont mobilisés et la campagne "Bring back our girls" (rendez nous nos filles) a été lancée sur Twitter.
L’émotion soulevée par l’enlèvement et la séquestration de plus de 200 jeunes filles est compréhensible. Mais quand cette émotion est en quelques heures instrumentalisée mondialement, elle devient un objet politique de grande magnitude qui mérite d’être analysé rationnellement et froidement.
Le Nigéria en perspective macro-politique : un géant africain
De loin le pays le plus peuplé du continent avec 170 millions d’habitants (un Africain sur six est nigérian), le géant africain affiche une insolente croissance économique de 8 ?% par an depuis près d’une décennie , une dynamique qui n’est pas prête de s’arrêter si l’on en croit les prévisions du Fonds monétaire international.
Principalement grâce à sa manne pétrolière mais aussi grâce à de nouveaux secteurs d’activité en forte croissance comme les télécommunications et l’industrie locale du cinéma, le Nollywood, deuxième producteur de film au monde, le Nigeria est devenu la plus grande économie en Afrique en termes de PIB et devient la vingt-sixième dans le monde.
La croissance robuste de ce pays a permit l’émergence d’une classe moyenne (23% de la population) et d’une classe moyenne supérieure constituée par 5,3 millions de Nigérians. 92% de la classe moyenne nigériane détient un diplôme postsecondaire.
Pour satisfaire les besoins de la classe moyenne urbanisée, les franchises et grandes surfaces se multiplient, notamment à Lagos, la métropole économique de plus de 10 millions d’habitants.
Le Nigéria est un pôle, une locomotive qui peut tirer d’autres pays africains.
Ces chiffres masquent toutefois une autre réalité, celle d’une croissance dynamique qui ne bénéficie pas assez au développement du pays : environ 1 ?% des Nigérians accapare 80 ?% des richesses. Le pays reste classé 153e sur 186 selon l’indice de développement humain (IDH) des Nations unies.
La mauvaise redistribution de la manne pétrolière aux populations locales, le chômage, le déficit de services sociaux favorisent l’émergence de mouvements armées et l’enrôlement des plus jeunes par les groupes rebelles du delta du Niger ou religieux comme Boko Haram.
Un chiffre sur le niveau de développement du Nigeria, pourtant gros producteur de pétrole et de gaz : la consommation d’électricité par tête d’habitant au Nigeria est de 1/100e de celle des États-Unis.
Le « Dessous des cartes » diffusé sur Arte le samedi 29 juin 2013, qui nous décrit le Nigeria avec ses forces et ses fragilités.
La campagne médiatique « Bringbackourgirl »
L’information sur l’enlèvement des Lycéennes n’a pas été relayée tout de suite dans les grands médias occidentaux. La campagne "Bring back our girls" (rendez nous nos filles) a été lancée sur Twitter et il s’en est suivi un emballement international. La mobilisation, des poeple et des politiques bat son plein pour sauver les quelque 200 lycéennes enlevées.
Pourquoi les médias classiques sont-ils sur ce sujet à la remorque des réseaux sociaux ? Quel rôle ont joué les agences de communication ? Pourquoi cette priorité au compassionnel et au people au détriment d’une couverture de fond de la problématique Boko Haram ? Et cet emballement médiatique ne risque-t-il pas d’être contreproductif ?
Au nord du Nigéria, depuis une décennie les massacres et exactions se normalisent, mais personne ne disait rien jusqu’a ce que le kidnapping des lycéennes fasse l’objet d’une mobilisation mondiale. On se tait sur des centaines de morts, et tout d’un coup, il y a un symbole fort qui fait que la communauté internationale réagit.
On s’étonne que trois semaines après l’enlèvement des jeunes filles, il y ait eu si peu de réaction au massacre de 300 villageois par Boko Haram à Gamboru Ngala. Pourquoi ce débordement émotionnel sur les jeunes filles et rien sur les villageois de l’Etat de Borno ?
Pourquoi les millions de morts et de femmes violées en République démocratique du Congo ne suscitent pas autant d’émotion ?
Il y’ a encore bien des zones d’ombres dans cette affaire mais poursuivons l’analyse.
L’émotion planétaire est orchestrée au plus haut niveau : Michelle Obama lance elle-même la campagne, aussitôt suivie par ses clones parisiens Carla Sarkozy et Valérie Trierweiler. La propagande se décide dans les lieux de pouvoir et le casting se fait directement dans les alcôves présidentielles.
Pendant que Michelle Obama effectue sa prestation, son mari s’occupe lui de la gestion de l’après-émotion : la décision quasi immédiate d’envoyer des troupes pour lancer la chasse aux ravisseurs.
Perte de crédibilité des institutions Nigérianes
Le Nigeria est un pays très fier qui ne tolérerait pas des troupes étrangères sur ses terres en situation normale.
Cependant , l’ un des effets de cette campagne médiatique est la dé-crédibilisations des institutions nigérianes, l’armée, la police mais aussi le pouvoir politique.
Les critiques sur l’incapacité des autorités nigérianes à retrouver les lycéennes enlevées et à faire face à Boko Haram se font de plus en plus vives, aussi bien dans la population nigériane qu’au sein des chancelleries occidentales.
Le ministère américain de la Défense évoque « l’incompétence » de l’armée :
« L’un de nos soucis les plus graves est l’incompétence de l’armée nigériane et l’échec du gouvernement nigérian à donner une ligne de conduite aux soldats pour changer de tactique », accuse ainsi Claire Friend, directrice Afrique au ministère américain de la Défense.
« Nous avons fait beaucoup d’efforts dans le passé pour trouver des unités avec lesquelles nous pouvons travailler et, bien sûr, pour convaincre les Nigérians de changer leur tactique et leur technique envers Boko Haram », détaille la directrice Afrique du ministère américain de la Défense.
L’africom au Nigéria
Le commandant des forces armées américaines en Afrique (Africom) s’est rendu au Nigéria pour discuter de l’aide américaine dans les opérations de recherche ainsi que toute la coopération” entre les forces américaines et nigérianes, a dit un responsable de la défense américaine.
Rappelons trois éléments importants :
1. le Nigéria est un gros vendeur de pétrole aux États-Unis.
2. Un think tank israélo-états-unien l’Institute for Advanced Strategic & Political Studies (IASPS) a préconisé la création d’un commandement militaire US pour l’Afrique, l’Africom actant du fait qu’un quart du pétrole et des matières premières consommés aux USA devraient provenir d’Afrique. L’annonce de ce dispositif a suscité une forte résistance en Afrique et aucun État n’a accepté d’héberger le commandement général, lequel s’est en définitive installé en Allemagne et en Italie.
3. La transformation économique sans précédent de la Chine ne repose pas seulement sur les marchés des Etats-Unis, de l’Australie et de l’Europe, mais aussi sur l’Afrique en tant que source d’une veste gamme de matières premières. L’objectif réel d’Africom : empêcher les pays africains de devenir des acteurs indépendants qui pourraient s’allier à la Chine et à l’Amérique latine. Africom constitue une arme essentielle dans les plans de domination mondiale des Etats-Unis. Ceux-ci veulent pouvoir s’appuyer sur une Afrique et des matières premières sous contrôle exclusif dans la grande bataille qui s’est déclenchée pour le contrôle de l’Asie et pour le contrôle de ses routes maritimes.
François Hollande, président d’une France dont la vassalisation à Washington n’est plus à démontrer a annoncé depuis Bakou ce lundi avoir demandé aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne de participer samedi à Paris à un sommet visant à coordonner la lutte contre le groupe islamiste Boko Haram.
Les cinq chefs d’Etat africains, eux-mêmes vassalisés par la France via les réseaux françafrique et maçonnique, se sont réuni samedi 17 mai autour du président français ont adopté un plan d’action régional prévoit « la coordination du renseignement, l’échange d’informations, le pilotage central des moyens, la surveillance des frontières, une présence militaire autour du lac Tchad et une capacité d’intervention en cas de danger », a détaillé François Hollande à l’issue du sommet.
Selon un article du journal, UPI, paru en février 2012, le financement de Boko Haram proviendrait de Fonds islamiques en Arabie Saoudite et en Grande-Bretagne.
Responsabilité des Nigérians
Bien entendu , il ne s’ agit pas d’ éluder la responsabilité de la classe politique Nigériane corrompue et incapable de produire des institutions aptes à relever les défis auxquels le Nigéria fera face au cours du XXI ème siècle , y compris pour lutter contre les groupes armées , de façon préventive en corrigeant les inégalités sociales , la pauvreté étant un terreau de recrutement , ou coercitive en construisant une armée digne de ce nom.
Selon certaines sources d’ informations , les soldats, mécontents de leurs salaires et du manque de matériel pour poursuivre la campagne contre Boko Haram, ont tiré sur un convoi transportant un commandant de l’armée à son arrivée au camp militaire de Maimalari.
Pourtant, le gouvernement a dépensé des milliards, mais qui finissent dans les poches de l’état-major.
Le système de gouvernement y est féodal et tourne autour des intérêts privés. Selon certains analystes Nigérians, longtemps, il y a même eu une stratégie visant à limiter l’accès à l’école pour la masse, en l’envoyant dans des écoles coraniques très basiques , C’est l’enseignement de l’ignorance "Nigeria style". C’est sur ce legs que Boko Haram prospère, Mathieu Guidère estime que le groupe dispose de près de 30 000 combattants !
Des jeunes qui n’ont ni emploi ni aptitudes particulières puisqu’ils ne sont pas allés à l’école, sans aucun espoir et qui ne reconnaissent aucunement de légitimité à l’Etat.
On ne peut pas éluder non plus la responsabilité du peuple Nigérian lui-même qui vote pour ces élites corrompues.
Ce n’est donc pas une question de religion, c’est fondamentalement la situation d’un pays africain qui a toléré la corruption depuis trop longtemps, caractérisé par l’incompétence du pouvoir et son incapacité à accomplir les tâches basiques qui lui incombent.
Sources :
Nigéria : une classe moyenne qui pourrait tout changer. Écrit par Serge Tchaha
Nigéria : quand le géant ouest africain s’éveille. Écrit par Pascal Airault
Le financement de Boko Haram proviendrait de Fonds islamiques en Arabie Saoudite et en Grande-Bretagne. Le blog –sam-La touch. Over blog.com
Boko Haram, un 11 septembre africain en quelque sorte, mondialisation .ca
Tags : Afrique
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