La sociobiologie mise en question
S'il est une discipline aujourd'hui qui fait polémique, c'est bien la sociobiologie ou la "science qui prétend analyser (pour partie) les comportements à partir des gènes". Cette polémique a été remise au goût du jour aux Etats-Unis le 22 février 2013 dernier, suite à la démission de l'anthropologue américain Marshall Sahlins qui a claqué la porte de l’Académie américaine des Sciences après l’élection de Napoléon Chagnon. Anthropologue et sociobiologiste, Chagnon prétendait expliquer la culture par les gènes à partir de travaux relatifs à l'étude des indiens yanomami, travaux qui avaient alors engendré une vive polémique dans les années 70.
Très controversée aujourd'hui, en quoi consiste exactement la sociobiologie ? C'est l'objet du débat que propose France Culture avec Régis Meyran, anthropologue et historien de l’anthropologie, docteur de l’EHESS et Georges Guille-Escuret chercheur au CNRS, et docteur en antrhopologie et en zoologie.
La sociobiologie
Considérée comme une branche de l’éthologie (= étude du comportement), la sociobiologie fut fondée par Edward O Wilson en 1975 après que celui-ci eut longuement étudié les fourmis considérées comme l’espèce ayant développé, après l’Homme, la plus haute forme d’organisation sociale au sein du monde animal.
En synthèse :
"La sociobiologie a pour objet de rechercher les causes et les conséquences de la socialité, de la vie sociale. La sociobiologie s’est beaucoup intéressée aux fourmis, des insectes particulièrement performants, et a constaté que la socialité était un phénomène commun à différents groupes animaux, notamment aux primates donc à l’Homme.
Les sociobiologues pensent que les êtres vivants sont en perpétuelle compétition pour essayer d’améliorer leur situation. Plus précisément, selon Wilson, l’organisme vivant n’existe pas pour lui-même mais pour permettre la reproduction de ses gènes, la transmission de son génotype, son patrimoine génétique, dans les meilleures conditions possibles, quantitatives et qualitatives. L’individu stérile assure le succés de son patrimoine génétique en favorisant la reproduction des individus fertiles de sa parenté (kin selection, théorie de la parentèle, découverte par le britannique W.D. Hamilton en 1964), c’est le fondement de l’altruisme. Et c’est la faculté de reconnaître ses parents génétiques qui permet d’orienter ses relations sexuelles de telle sorte que l’inceste soit évité.
Pour Wilson la "nature humaine" est faite d’un certain nombre de contraintes biologiques, codées génétiquement, qui amènent les différents humains à prendre les mêmes décisions dans un large éventail de contextes. Wilson pense que le moteur du comportement social est l’égoïsme biologique qui permet la conservation de ses propres gènes et/ou de leurs copies, ce qui conduit les individus à s’affronter socialement pour l’acquisition de la dominance - car la dominance sociale, directement liée à l’agressivité, peut se traduire par un grand succés reproductif."
Qu’est-ce qu’un gène ?
Voici une petite vidéo expliquant très simplemenent à quoi correspond un gène
Un gène correspond à une fraction de la molécule de forme hélicoïdale présente dans tous nos noyaux cellulaires et que l’on appelle ADN (=acide désoxyribonucléique) et qui constitue la matrice de nos 23 paires de chromosomes. Cet ADN, marqueur identitaire de tout organisme vivant, est constitué de 4 éléments appelés "nucléotides" qui s’agencent entre eux suivant un séquençage bien particulier et chacune de ces séquences correspond à un gène. Ces 4 éléments sont identifiés par 4 lettres : A (adénine), C(Cytosine), G(guanine) et T(thymine).
Pour établir une analogie, on pourrait considérer l’ADN comme le livre entier de l’organisme, ce livre étant composé de plusieurs phrases (gènes) et ces mêmes phrases étant construites à partir de mots (nucléotides).
La loi de Hamilton
L’une des grandes figures de référence de la sociobiologie est le biologiste William Donald Hamilton, père de la Loi qui porte son nom et qui postule que "dans chaque espèce, les individus privilégient les comportements de coopération avec leurs parents génétiques les plus proches car en se dévouant ainsi, ils favorisent la propagation de leurs propres gènes"
Ainsi, le comportement "altruiste" serait directement proportionnel au degré de parenté génétique de la personne envers qui on adopte ce comportement, suivant formule : RB > C (R = coefficient d’apparentement entre acteur et bénéficiaire, B = somme des bénéfices à adopter un comportement altruiste et C = coût (désavantages) pour l’individu adoptant un comportement altruiste)
Les dérives de l’eugénisme
Le paradigme de la sociobiologie étant de vouloir expliquer tous les comportements à partir des gènes, cela a entraîné des dérives que l’on globalise sous le terme "d’eugénisme" (sélection des individus par les gènes) et qui est la conséquence du darwinisme social, soit la volonté d’organiser la société suivant le principe de la sélection naturelle qui élimine les plus faibles jugés inutiles, voire néfastes, pour l’organisation sociale d’une communauté. Ce fut bien évidemment le cas concernant l’idéologie nazie mais cela a été aussi très en vogue aux USA, notamment dans les années 50 où l’on castrait des individus.
Ces pratiques eugénistes effrayantes et totalitaires furent désastreuses pour l’image de la sociobiologie, complètement déconsidérée aujourd’hui, notamment par les scientifiques et intellectuels d’obédience "marxienne’ (ou marxistes) pour qui le comportement ne s’explique que par l’environnement socio-culturel. Vision qui mène elle aussi à des dérives comme la fameuse théorie du genre...
Déterminisme biologique VS déterminisme socio-culturel ! Où l’éternel débat inné/acquis, l’essentialisme face au constructivisme. 2 idéologies matérialistes pouvant mener toutes deux à un monde orwellien...Par exemple un monde dans lequel nous choisirions nos foetus sur catalogue ou alors, à l’opposé, un monde où nous ne serions plus ni homme, ni femme, ni blanc, ni noir, ni rien du tout...Plus que des individus atomisés...mais égaux en tous points ! Le déterminisme biologique prétendant, d’une certaine manière, se substituer à la Nature en sélectionnant les individus tandis que le déterminisme socio-culturel nie tout simplement cette Nature !
Bref c’est ce vers quoi tend notre monde moderne et individualiste et dans lequel les hommes se prennent pour Dieu !
Faut-il rejeter la sociobiologie ?
Face aux comportements irrationnels inhérents aux idéologies qui sous-tendent ces 2 déterminismes, voici une analyse du professeur Pierre Jaisson interrogé par l’express, partisan d’une sociobiologie raisonnée et qui souhaite remettre la sociobiologie "à sa place", c’est à dire utilisée pour ce qu’elle est. extraits :
"La sociobiologie n’est pas une idéologie. Ce n’est pas non plus une théorie. C’est une science. Son point de départ : la constatation que l’apparition de la vie sociale est l’un des événements les plus importants de l’évolution. Son objectif : essayer d’identifier les conditions biologiques qui ont favorisé cette explosion du fait social dans la nature. Les sociétés d’insectes constituent ainsi le domaine de prédilection des sociobiologistes, celui où ils ont engrangé le plus de connaissances nouvelles. Mais ils s’intéressent aussi aux vertébrés sociaux, de la chauve-souris aux primates, et des chercheurs de plus en plus nombreux utilisent les modèles de la sociobiologie animale pour tenter de découvrir des choses sur le comportement humain...
Les gènes constituent un héritage reçu de l’évolution. Personne ne conteste qu’ils soient nécessaires à toute expression du vivant. Retirez les gènes d’un être humain, et vous obtiendrez un amas de gelée flasque et muette ! Cela ne suffit pas pour dire que les comportements eux-mêmes sont inscrits dans les gènes. D’ailleurs, je ne connais pas de sociobiologiste qui soutienne cette thèse, même à propos des insectes. Soyons clairs : le patrimoine héréditaire ne dicte pas nos attitudes ; il prédispose, plus ou moins fortement, à leur manifestation. L’effet des gènes se combine à l’information apportée par les circonstances vécues, et c’est bien ce qui rend difficile, voire parfois impossible, la distinction entre ce qui relève de l’acquis et de l’inné.
Je serai clair : même si la sociobiologie a contribué au progrès des connaissances, aucune science, biologique, sociale ou autre, ne peut s’arroger le domaine de la morale. Même si ses serviteurs sont animés des meilleures intentions du monde. La morale, c’est l’affaire de la communauté sociale dans son ensemble. C’est sans doute le seul point fondamental sur lequel, comme la plupart des sociobiologistes, je suis en désaccord avec Wilson. L’histoire récente nous apprend que le stalinisme et le nazisme ont été deux perversions d’une même erreur : celle de considérer que la nature était conforme aux présupposés idéologiques. On connaît la suite... "
Tags : Société Génétique
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON