Léon Bloy, prophète des pauvres et des géants !
Au sein de notre triste et tiède société, voici l'occasion de réévoquer l'un des plus grands stylistes français de tous les temps et qui inspira, dit-on, Louis-Ferdinand Céline. Il s'appelle Léon Bloy (1846-1917), il demeure malheureusement assez peu connu, malgré sa "plume de feu", sa soif d'Absolu et ses quelques oeuvres magnifiques, comme Le Désespéré ou encore le Salut par les Juifs.
Boudé par la critique de son temps, Bloy, dans son roman le Désespéré l'exprimait en ces termes : " Si je poursuis un putois, le glaive de feu à la main, et qu'il me combatte avec le jus de son derrière, c'est absolument son droit et je n'ai rien à dire".
Malgré cette méconnaissance, il est à noter que le nouveau pape François, lors de sa première homélie cite Léon Bloy qui fut lui-même un fervent catholique, voire un mystique de l'Ancien temps. Et le pape de prononcer ces quelques paroles : "Léon Bloy a été le prophète des Pauvres, des vrais Pauvres, des derniers survivants de l’ancienne Chrétienté des Pauvres, continue-t-il… Je me demande si Bloy n’a pas été le dernier prophète du peuple des Pauvres". Il est vrai que Léon Bloy, cet "anarchiste-réactionnaire" aura, toute sa vie durant, défendu les plus humbles et les plus pauvres, non pas à la manière d'un militant socialiste de base ou à la manière du catholicisme inhérent à son époque qu'il exécrait mais parce que lui-même aura connu la vraie misère toute sa vie durant. Et cet homme qui aimait sincèrement les plus petits aimait tout aussi sincèrement les plus grands. Tel le magnifique ouvrage L' Âme de Napoléon qu'il a consacré à la gloire de l'Empereur et, quelque part, à la gloire de la France ! Aimer passionnément ce qu'il y a de plus petit sur Terre et ce qu'il y a de plus grand peut sembler paradoxal. A moins que ce ne soit, peut-être, tout simplement l'apanage des vrais hommes libres !
Léon Bloy : l ?e défenseur des petits
Voici une lecture d’un extrait de l’ouvrage Le Sang du Pauvre, à propos de Christophe Colomb et de la colonisation
Où Léon Bloy, ce "catholique du Moyen-âge" s’en prend vertement à ses "contemporains". Il a d’ailleurs dit à ce propos
" Personne n’a dit aussi fortement que moi l’injustice des catholiques, leur avarice infâme, leur égoisme fangeux, leur poltronnerie à faire vomir, leur sottise, leur mépris stupide pour ne pas dire leur haine de tout ce qui est intellectuel, indépendant et généreux"
Léon Bloy : l ?e défenseur du "grand Empereur"
C’est assez rare pour être noté mais il se trouve que le journaliste Laurent Joffrin (dit Mouchard), homme de gauche et pourfendeur de Marine Le Pen de son état, a consacré une très belle préface à la dernière réédition du livre l’Âme de Napoléon de Léon Bloy. C’est d’autant plus remarquable d’ailleurs que, si Joffrin voue une véritable admiration à Léon Bloy, il y a fort à parier que, Léon Bloy vivant, la réciproque ne soit pas exacte...
" C’était une impossible rencontre. A un siècle de distance, celle d’un empereur, Napoléon, et d’un écrivain maudit, Léon Bloy. L’un croyait à peine au ciel et l’autre, pour ainsi dire, y vivait. L’un voyait dans la religion un simple instrument de gouvernement, un adjuvant de son ambition toute terrestre ; l’autre pratiquait l’extase et l’oubli de soi dans un catholicisme mystique, sombre et flamboyant. L’un mena sa vie comme un météore dont l’éclat illumine encore les imaginations ; l’autre fut un vaincu de l’existence, vivant misérablement dans les emportements vains et les fureurs impuissantes, écrivant faute de vivre et ne vivant jamais bien d’une écriture pourtant magnifique. L’un voyait les humains comme la pâte qu’on modèle pour construire son destin, indifférent aux autres et tout entier dans sa propre légende ; l’autre puisait dans sa foi une immense compassion pour le pauvre, le laid, l’oublié, préférant toujours les humbles aux puissants, apercevant le Salut dans le regard des réprouvés. l’un croyait à la force, l’autre à la faiblesse. Et pourtant Napoléon fournit à Léon Bloy le sujet d’un de ses grands livres, l’un des plus étranges et des plus beaux qu’on ait écrits sur l’homme inépuisable. Dans l’océanique bibliographie impériale, L’Âme de Napoléon figure parmi la poignée de curiosités fascinantes, la gerbe de textes hors du commun que le petit général corse a suscités chez les grands écrivains."
Laurent Joffrin pose là, il est vrai, une bonne question : comment la rencontre entre un "vaincu de l’existence" et un "vainqueur de l’Histoire" est-elle possible ?
Face à une lecture "matérialiste" de l’Histoire, Bloy oppose son "essentialisme" mystique
Bien au-delà de la personnalité de Napoléon, l’intérêt de cet ouvrage tient surtout à la vision que Bloy développe de l’Histoire et de ce qu’il est convenu d’appeler : "le Destin" propre à l’Empereur et propre à la "multitude" :
" L’Histoire est comme un immense Texte liturgique où les iotas et les points valent autant que des versets ou des chapitres entiers mais l’importance des uns et des autres est indéterminable et profondément cachée. Si donc je pense que Napoléon pourrait bien être un iota rutilant de gloire, je suis forcé de me dire, en même temps, que la bataille de Friedland, par exemple, a bien pu être gagnée par une petite fille de trois ans ou un centenaire vagabond demandant à Dieu que sa Volonté fût accomplie sur la terre aussi bien qu’au ciel. Alors ce qu’on nomme le Génie serait simplement cette Volonté divine incarnée, si j’ose le dire, devenue invisible et tangible dans un instrument humain porté à son plus haut degré de force et de précision, mais incapable, comme un compas, de dépasser son extrême circonférence. Il reste ceci, pour Napoléon et pour la multitude infinie des de ses inférieurs, qu’on est tous ensemble, des figures de l’Invisible et qu’on ne peut remuer un doigt ni massacrer deux millions d’hommes sans signifier quelque chose qui ne sera manifesté que dans la Vision béatifique. De toute éternité Dieu sait qu’à une certaine minute connue de lui seul, tel ou tel homme accomplira "librement" un acte "nécessaire". Incompréhensible accord du Libre arbitre et de la Prescience. Les intelligences les plus lumineuses n’ont jamais pu aller au-delà de cette limite. Dans un tel état, l’Homme intégral, ne devant être, selon la Parole créatrice, qu’une ressemblance ou une image, renouvelable par un milliard d’âmes à chaque génération, est donc forcé de l’être toujours, quoi qu’il fasse, et de préparer ainsi, peu à peu, dans le crépuscule de l’Histoire, un avènement inimaginable...Napoléon est le plus visible de ces caractères indéchiffrables, la plus haute de ces figures, et c’est pour cela qu’il a tant étonné le monde."
Face aux paradoxes, tel cet "impossible accord du Libre arbitre et de la prescience" que la raison humaine ne peut pas résoudre, Bloy l’envisage à partir d’une dimension verticale inhérente à son désir d’Absolu. Cette dimension s’appelle la Foi !
Tags : Livres - Littérature Histoire Culture
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