Le sang du Pauvre
"Le sang du Pauvre, c’est l’argent. On en vit et on en meurt depuis des siècles. Il résume expressivement toute souffrance. Il est la Gloire, il est la Puissance. Il est la Justice et l’Injustice. Il est la Torture et la Volupté. Il est l’exécrable et adorable, symbole flagrant et ruisselant du Christ Sauveur, in quo omnia constant. Le sang du riche est un pus fétide extravase par les ulcères de Cain. Le riche est un mauvais pauvre, un guenilleux très puant dont les étoiles ont peur. La Révélation nous enseigne que Dieu seul est pauvre et que son Fils Unique est l’unique mendiant".
Voilà résumé, avec Le Salut par les juifs, une des oeuvres majeures de cet exceptionnel styliste et écrivain qu’était Léon Bloy. Si, comme l’affirment les Evangiles, "le royaume des cieux appartient aux violents et à ceux qui s’en emparent", il y a fort à parier que Bloy y figurera aux tous premiers rangs, tant la virulence, et le génie, de son verbe furent acérés contre la bêtise de ce monde. Toute son oeuvre, en parfaite harmonie avec sa foi chrétienne, fut consacrée à l’éloge de la grandeur et à la défense des petits et des humiliés, situation qu’il connaissait fort bien, lui qui vécut si longtemps, contrairement à la plupart des fausses gloires de son époque, dans une réelle misère matérielle.
Si l’on est un croyant sincère, on ne peut sortir complètement indemne à la lecture de cet ouvrage qui met en lumière l’Evangile dans toute sa radicalite. Parce que le ’riche’ dont il est question, ce n’est pas seulement cette petite minorité de milliardaires et de financiers qui dirigent le monde, le ’riche’ c’est vous, c’est moi, c’est nous tous ! C’est à dire toute cette "masse d’individus au coeur sec" incapables de renoncer, ne serait-ce qu’un tout petit peu, à leur confort matériel pour tendre la main à celui qui est en train de hurler sa douleur et sa misère au coin de la rue. Il n’est nullement question ici de faire de la moraline ou de la demagogie facile mais simplement de comprendre le sens de cet ouvrage et de cet immense écrivain dont "la voix cria longtemps dans le désert" de cette société de plus en plus malade de fric et d’égoïsme.
Citations extraites du Sang du pauvre
"Le riche est une brute inexorable qu’on est forcé d’arrêter avec une faux ou un paquet de mitraille dans le ventre"
"Il est intolérable à la raison qu’un homme naisse gorgé de biens et qu’un autre naisse au fond d’un trou à fumier. Le Verbe de Dieu est venu dans une étable en haine du Monde, les enfants le savent, et tous les sophismes des démons ne changeront rien à ce mystère que la joie du riche a pour substance la Douleur du pauvre. Quand on ne comprend pas cela, on est un sot pour le temps et pour l’éternité. Ah, si les riches modernes étaient des païens authentiques, des idolâtres déclarés ! Il n’y aurait rien à dire. Leur premier devoir serait évidemment d’écraser les faibles et celui des faibles serait de les crever à leur tour quand l’occasion s’en présenterait. Mais ils veulent être catholiques tout de même et catholiques comme ça ! Ils prétendent cacher leurs idoles jusque dans les plaies adorables."
"Les catholiques ! Des créatures grandies, élevées dans la Lumière ! Informées à chaque instant de leur effrayant état de privilégiées ; incapables, quoi qu’elles fassent, de rencontrer seulement l’erreur, tant la société ou elles vivent, toute ruinée qu’elle est, a pu conserver d’unité divine ! Des intelligences pareilles à des coupes d’invités de Dieu où n’est versé que le vin fort de la Doctrine sans mélange !... Ces êtres, dis-je, descendus volontairement dans les Lieux sombres, au-dessous des hérétiques et des Infidèles, avec les parures du festin des noces, pour y baiser amoureusement d’épouvantables idoles ! Lâcheté, avarice, imbecilite, cruauté. Ne pas aimer, ne pas donner, ne pas voir, ne pas comprendre, et, tant qu’on peut, faire souffrir !...Je ne sais rien d’aussi dégoûtant que de parler de ces misérables qui font paraître petites les souffrances du Rédempteur, tellement ils ont l’air capable de faire mieux que les bourreaux de Jérusalem...je n’ai cessé de l’écrire depuis vingt ans. Jamais il n’y eut rien d’aussi odieux, d’aussi complètement exécrable que le monde catholique contemporain...je déclare au nom d’un très petit groupe d’individus aimant Dieu et décidés à mourir pour lui, quand il le faudra, que le spectacle des catholiques modernes est une tentation au-dessus de nos forces.
"Le grand Napoléon était pour nous la France, véritablement. Il était nos villages, nos fiancées, nos foyers lointains, nos humbles églises pleines d’images de saints guérisseurs et de vieux vitraux où d’anciens guerriers le représentaient. Il était tout cela pour nous les pauvres et, malgré la peine, c’était bien vrai que nous donnions notre vie pour tout cela. Qu’importaient Ça dix ou Moscou ? Avec lui nous étions toujours en France, dans une France plus belle que tout ce que les poètes ont pu dire. Il n’est pas possible qu’elle disparaisse, que vous l’effaciez de la terre. Vous nous la devez bien, notre douce France, les pauvres que nous sommes l’ont payée si cher ! Oh, cette carte future, et le royaume de Marie, et Napoléon le Grand, et toute l’histoire, et ce sanglot des morts ! Où se cache-t-il donc le va-nu-pieds tout puissant qui doit succéder à Napoléon et qui réalisera, en une manière que ne peut deviner aucun homme, la divine figure de ce Précurseur ?"
Tags : Livres - Littérature Société Culture
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