@Bainville
C’est vrai que Jésus ne craint pas de parler
d’argent. Maintes paraboles font référence aux biens matériels, à la
nécessité de faire fructifier les talents reçus, lesquels s’inscrivent
dans la quotidienneté, et ses inévitables occurrences matérielles. Jésus
n’est pas un puritain, et comme il préfère le bon vin au mauvais, il parle volontiers de pognon (même si quelques minutes par semaine
semblent lui avoir suffi sur le sujet).
Mais Jésus, s’il n’hésite pas à
multiplier les miracles, refuse catégoriquement de faire de l’or à
partir de rien... Il s’énerve même si on le presse en ce sens. Lorsque Pierre se plaint à lui de ne pouvoir acquitter le droit d’entrée dans Jérusalem, et que Jésus lui promet que s’il mouille ses filets à tel endroit il en remontera un poisson avec une pièce d’or dans la bouche, ce n’est
pas un démiurge tout-puissant qui parle mais la divine prescience
d’un messie qui se découvre lui-même à mesure... Peu de miracles, donc
(la magie n’est jamais la vérité...) ; et jamais, jamais, jamais de
fausse monnaie ; jamais de chrématistique, d’argent pour l’argent. Sur
ce point, la péripétie du carême au désert est lumineuse. Jésus, en
déclinant l’offre du Tentateur, témoigne d’un parfait mépris, d’une
aversion souveraine envers ce que j’appelle le "plan social" - le monde
pour le monde, le monde contre l’Esprit.
C’est pourquoi
j’écrivais sans rire que rendre séparément à César et à Dieu, c’est à
mon avis beaucoup plus que distinguer le temporel du spirituel :
demi-tartuferie qui convient aussi bien à ces Catholiques du dimanche,
banquiers la semaine... le tout sans aucun problème de conscience (je
connais bien ce milieu-là). Rendre séparément à Dieu, c’est prendre
César pour un mal inévitable, en tâchant de se défaire des chaines qu’il
fait peser sur nous (et, pour revenir à la vidéo, notamment grâce au
monopole discrétionnaire qu’il exerce sur le cours de l’or, dont la
volatilité contrôlée par ses soins jaloux exerce une fascination sociale
proportionnelle : abondant au fond des rivières, l’or n’intéresse
personne). L’État n’est qu’une ordure, et à sa raie publique il faut pisser gaiment : voilà ce que me dit le Christ.
Jésus,
rabbin pieux fidèle aux prophètes, sait la tragédie du monde,
l’épouvante qu’est la société enchainée à la nécessité - et, à force, au
Veau d’or, à Baal... Et il se défie de cette apparente fatalité, en
invoquant le destin de l’âme, qui est en Dieu. Les biens de ce monde ne
valent que ce que le jour en demande. C’est pourquoi, à supposer que le
monde devînt juste, notamment par le glaive (c’est tout le propos de
Judas, boursier des Douze et indépendantiste de son état), la justice
même ne serait pas la Charité - laquelle se passe bien de la sécurité
sociale anonyme de l’État et ne peut exister que d’âme à âme, par le
truchement de la grâce.
Kierkegaard dit que le christianisme est
la croix de la pensée... S’il veut dire que "l’espérance est le
désespoir surmonté", que la vraie joie est en quelque sorte inhumaine
autant qu’antisociale, je suis de cet avis. En un sens, le christianisme
est une crucifixion quotidienne ou bien une résurrection dominicale ;
l’individualisme intransigeant de l’âme ou bien la plus mollassonne des
coteries. On chercherait en vain une quelconque doctrine sociale dans
l’Évangile ; celle de l’Église et des Démocrates-Chrétiens n’est donc
qu’aimable foutaise, contorsion de castrats et trafic d’Indulgences.