Les années 1937 et 1938 se distinguèrent par leur immense cruauté. En
1937, Staline délivra l’ordre de dresser deux listes des ex-koulaks
ministres du culte et prisonniers politiques ? : l’une de condamnés à être
fusillés, l’autre de condamnés à la déportation en camps de travail.
Ainsi, par l’ordre d’exécution n°00447, en date du 5 août 1937, quatre
cents personnes étaient fusillées, chaque jour, au tristement célèbre
polygone de tir de Butov. En fait, on fusillait partout à travers
l’immense Russie… Parmi les fusillés, il y avait des milliers de
religieux, dont des « ?Rénovateurs ? », dorénavant inutiles au régime, qui
comprirent trop tard que les communistes ressemblaient au serpent du
Paradis terrestre ? : ils promettaient beaucoup, mais ils apportaient la
mort.
D’après Aleksander Jakovlev, président de la « ?Commission pour la
réhabilitation des victimes des répressions politiques ? », deux cents
mille membres du clergé, exclusivement orthodoxe, auraient été condamnés
à mort entre 1917 et 1980. Ceci est un nombre approximatif qui demande à
être affiné par les recherches en cours. Toujours d’après la dite
commission, pendant les seules années 1937 et 1938 – les plus terribles
–, 105 000 prêtres orthodoxes ont été fusillés. Il s’agit en fait des
prêtres « ?identifiés ? ». En réalité, si on rajoute ceux qui ont été
massacrés dans la clandestinité et dont on ignore les noms, le nombre
des victimes est nettement supérieur. -
-
Malgré une répression sanguinaire à l’égard des chrétiens, un sondage
réalisé en secret par le gouvernement, au moment du recensement de la
population en 1937, révéla que plus de la moitié des Soviétiques se
déclaraient croyants. « ?Sur le sang des martyrs, la foi grandit,
s’affermit et se magnifie ? », avait prévenu Maître Gourovitch, le
défenseur, en 1922, du métropolite Benjamin de Pétrograd…
Ce sondage donna à réfléchir à Staline, confronté à la menace nazie.
L’idée lui vint de refaire l’unité nationale contre l’envahisseur et de
modifier son image auprès de ses alliés occidentaux. Dès lors, il
accorda l’ouverture de milliers d’églises (il n’en restait plus qu’une
centaine, ouvertes au culte, avec quatre évêques seulement) et
l’élection d’un nouveau patriarche. -
- Cependant, cette mesure resta sous un contrôle gouvernemental strict.
D’ailleurs, de nombreux clercs emprisonnés avant la guerre ne furent
libérés qu’entre 1955 et 1957. De plus, dès que la victoire sur les
Allemands s’avéra quasi certaine, le Comité central du parti communiste
exigea, en septembre 1944, la reprise de la propagande antireligieuse. A
cet effet, en 1947, la « ?Société pour la diffusion de la connaissance
politique et scientifique ? » remplaça la défunte « ?Ligue des sans Dieu
militants ? ». Néanmoins, le gouvernement soviétique ne pouvait plus se
permettre de commettre des fusillades de masses, même si l’incarcération
en camps et l’internement dans des hôpitaux psychiatriques « ?spéciaux ? »
continuèrent et eurent aussi leurs victimes. Les sans Dieu agirent avec
plus de subtilités en exerçant notamment des pressions morales sur
leurs victimes. La consultation des archives soviétiques montre
l’horreur des interrogatoires, les drames, les complicités et les
infiltrations d’informateurs, les trahisons induites par la peur, etc. _