0. Pour commencer, il faudrait
parler des spécificités de la culture anglo-saxonne car le « politically
correct » est, par l’intermédiaire d’une série de médiations qui serait
trop longue à décrire, un dérivé du puritanisme. Sur ce point je vais m’abstenir
de faire un commentaire.
Pour dépasser le cadre anglo-saxon
et s’élever au niveau anthropologique,
on pourrait dire que cet anglicisme « politiquement correct » fait simplement
référence à la conformité de la pensée et des opinions au sein d’une
communauté. Toutes les communautés
humaines depuis le paléolithique inférieur ont toujours eu une dose de « politiquement
correct » si on comprend cette expression de cette manière, c’est une
constante anthropologique, sans cela, il serait impossible de vivre en
communauté car pour vivre ensemble, il faut partager un minimum de
représentations en commun. En réalité, tout le monde est pour le « politiquement
correct » à l’exception de quelques individus marginaux qui sont des
sujets sociaux non identifié. Mais tout le monde n’en a pas conscience.
1. Ensuite le titre. On a l’impression
en le lisant que le politiquement correct va par principe à l’encontre de la
liberté d’expression, c’est d’ailleurs une opinion très commune qui est fausse.
Les deux peuvent dans certaines circonstances s’opposer mais ce n’est pas automatique,
loin de là. Mais pour ça il faut faire une distinction entre :
-la liberté d’expression réelle :
soyons clair, ça n’existe pas et n’existera probablement jamais tant que nous
resterons des animaux sociaux. L’expression d’opinions sera toujours limitée par
les normes sociales en vigueur, parce que les individus vont s’autocensurer ou
parce que leur communauté d’appartenance fera pression sur eux. C’est normal,
toute communauté humaine a des normes et des interdits et l’individu qui va à
leur encontre se met la communauté à dos, donc en général il évite de les violer avant d’être traité
comme un pestiféré par les siens. Et heureusement j’ai envie de dire.
-La liberté d’expression formelle :
qui est le droit de communiquer, de faire connaitre et d’échanger ses pensées,
ses opinions, sa production intellectuelle sans craindre de sanctions Etatico-juridiques.
En réalité, il s’agit plutôt d’un
intervalle d’expression car elle a des limites (et heureusement, les limites
que je juge légitime philosophiquement sont la diffamation et l’incitation à commettre
une infraction). On fait souvent la distinction entre la liberté d’expression anglo-saxonne
et française mais en réalité, cette distinction ne me semble pas pertinente,
quand on lit les textes de nombreux penseurs et révolutionnaires français du
XVIII ème siècle, on retrouve la même conception que celle des anglo-saxons (ce
qu’a bien montré Bricmont dans son livre « La
République des censeurs »).
On peut critiquer le politiquement
correct anglo-saxon avec raison mais sur le plan de la liberté d’expression formelle,
les USA sont bien plus libres que nous le sommes (malgré l’existence de
certaines parenthèses historiques comme le maccarthysme), le premier amendement
est un modèle du genre car il fixe les limites de l’expression beaucoup plus
loin que la constitution française. Le politiquement correct ne va pas nécessairement
à l’encontre de la liberté d’expression formelle.
2.Pour finir cette mise
au point préalable, voici d’abord un principe d’organisation basé sur le
principe de proportionnalité : on
combat les idées par les idées et les actes par les actes !
C’est un principe qui
doit particulièrement être observé par la puissance Etatico-juridique qui
dispose du monopole légal de la violence et qui produit la norme légale. La
puissance Etatique dans un régime « libéral » ne doit pas s’opposer à
des opinions, des idées ou des pensées par la contrainte juridique ou par la
violence. Cela doit valoir pour toutes les opinions (à l’exception de la
diffamation et de l’incitation à commettre une infraction) quelque soit leur prétendue
dangerosité. Cela signifie-t-il que toutes les opinions sont acceptables ?
Non, bien évidemment et c’est là qu’intervient un second principe énoncé par Rousseau : « C’est
à l’estime publique (opinion publique) à mettre la différence entre les
méchants et les gens de bien. Le magistrat n’est juge que du droit rigoureux
mais le peuple est le juge des mœurs ». En d’autres termes , c’est à la
société de déterminer si une opinion est bonne ou mauvaise et si elle est
mauvaise , la société a plusieurs moyens de la juguler , déjà par le moyen du
débat intellectuel et éthique en montrant à quel point cette opinion est
stupide ou va à l’encontre des normes morales en vigueur , en la ridiculisant
par l’humour et l’ironie , par le boycott , en l’ignorant etc.
Donc pour résumer, les limites à l’expression réelle doivent être
fixées par l’opinion publique en fonction des mœurs, des valeurs morales,
philosophiques et idéologiques en vigueur (donc en fonction du politiquement
correct ) et les limites à l’expression formelle
doivent être fixés par la loi et par l’Etat.