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Frida FRIDA 22 mars 2012 20:58

22 mars 2012 | Par Michel Deléan et Louise Fessard - Mediapart.fr

La mort de Mohamed Merah, 23 ans, tué jeudi 22 mars à Toulouse lors d’un échange de tirs avec les policiers du Raid qui donnaient l’assaut à son appartement, laisse beaucoup de questions sans réponses. Assiégé depuis une trentaine d’heures, le principal suspect des sept assassinats commis à Toulouse et à Montauban les 11, 15 et 19 mars, serait mort d’une balle dans la tête tirée «  en état de légitime défense  » par les policiers du RAID, selon le procureur François Molins, alors que Merah était sorti de la salle de bains en leur tirant dessus, puis en sautant par le balcon du premier étage.

Le récit fait à chaud par le ministre de l’intérieur Claude Guéant laisse penser que le jeune homme a pu être tué par un tireur d’élite situé en face de son immeuble.

Il s’agit là d’une forme d’échec, dans la mesure où les policiers étaient censés remettre le suspect vivant à la justice.

En intervenant mercredi 21 mars à 3 heures du matin chez Mohamed Merah, dans son appartement de la Côte pavée à Toulouse, puis chez sa mère au Mirail et chez son frère à Auterive à une trentaine de kilomètres de Toulouse, les policiers pensaient faire coup triple. Mais ils ne s’attendaient pas, semble-t-il, à la vigilance et à la détermination du jeune homme, qui a repoussé leur assaut et s’est ensuite barricadé dans l’appartement.

Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialisé dans les questions militaires, pointe ainsi « la manière de pénétrer dans l’appartement ».

« Les policiers ont utilisé un bélier pour défoncer la porte d’entrée, derrière laquelle Merah semble avoir placé un refrigérateur, écrit-il sur son blog Secret défense. Cela donne le temps à Merah d’ouvrir le feu et de repousser le premier assaut ». Les policiers auraient pu avoir recours à des explosifs judicieusement placés, « une technique complexe... que le RAID ne maîtrise peu ou mal, ou en tout cas n’emploie pas », remarque le journaliste.

« À l’évidence, le premier assaut n’est pas réussi, constate un spécialiste. L’État a-t-il réellement mis en œuvre tous les moyens dont il disposait ? Si le RAID n’avait pas les capacités suffisantes, pourquoi n’a-t-on pas fait appel au GIGN  ? »

« Clairement, l’opération démarre mal, par un raté, et ensuite les policiers jouent la carte de l’épuisement en sous-estimant la résistance de ce gosse », estime pour sa part l’avocat de Merah, Me Christian Etelin.

Pourquoi donner l’assaut ?

Pourquoi, après une opération de 32 heures et de longues négociations avec Mohamed Merah, a-t-on pris la décision de lancer un nouvel assaut ? Selon le procureur de Paris, cette décision a été prise conjointement par le ministère de l’intérieur, en charge du rétablissement de l’ordre public, et lui-même, responsable de l’opération de police judiciaire.

Vers 22 heures mercredi, après une pause dans les négociations qui duraient depuis 7 heures du matin, le jeune homme aurait changé d’avis et refusé de se rendre, estimant selon le procureur « la reddition contraire à ses convictions » et voulant « mourir les armes à la main ». C’est à ce moment que les autorités décident donc de « monter d’un cran ».

Mais, pour Me Christian Ethelin, les policiers « ont fait l’impasse sur sa situation psychologique ». « On l’a enferré dans une attitude jusqu’au-boutiste, estime-t-il. Si on voulait qu’il adopte une attitude de reddition, il fallait le sortir de sa bulle par un dialogue avec quelqu’un en qui il pourrait avoir confiance. Personne n’a pensé à m’appeler. On a fait venir sa mère et son frère mais quelle confiance pouvait-il avoir, il avait sans doute entendu qu’ils avaient été mis en garde à vue quelques heures auparavant ? »

Une fois la décision prise, à partir de 10h30, jeudi 22 mars, le RAID a donc progressé « par tiroirs » dans l’appartement de Mohamed Merah. Le procureur de Paris a insisté sur le fait que le RAID avait pour consignes de « tout faire pour l’interpeller vivant » et de ne « tirer qu’en légitime défense ».

Une consigne qui avait été répétée jeudi matin à 8 heures, deux heures avant l’intervention. « C’est précisément parce que tout a été fait que l’opération a duré aussi longtemps au péril du RAID qui compte dans ses rangs cinq blessés », a expliqué François Molins.

Cité sur lemonde.fr, le patron du RAID, Amaury de Hautecloque, semble avoir été surpris par la « posture de combattant » et « la détermination sans faille » du jeune homme.

« C’est la première fois de ma vie que je vois quelqu’un, alors que nous lançons un assaut, venir mener l’assaut contre nous  », explique-t-il. « Nous avons progressé très prudemment dans l’appartement. Mais il est venu à l’engagement contre nous avec trois Colt 45 de calibre 11.43 (le même modèle que celui utilisé lors des meurtres – ndlr) alors que nous avions alors engagé uniquement des armes non-létales. J’avais donné l’ordre de ne riposter qu’avec des grenades susceptibles de le choquer. Mais il a progressé dans l’appartement, et il a tenté d’abattre mes hommes qui étaient placés en protection sur le balcon. »

Une version qui ne concorde pas tout à fait avec celle du procureur qui affirmait en début d’après-midi que seul un Colt 45 avait été retrouvé auprès du corps du jeune homme, après qu’il eut été abattu alors qu’il sautait par la fenêtre (ainsi que, dans son appartement, trois chargeurs, un pot rempli de munitions et de quoi fabriquer des cocktails Molotov).

Mais la version du patron du RAID et celle du procureur montrent que c’est bien le jeune homme qui a engagé l’assaut contre les policiers du RAID, en surgissant de la salle de bain.

Pour Me Christian Ethelin, les policiers ont surtout négligé de prendre en compte « l’incroyable détermination » de Mohamed Merah.

L’enquête a-t-elle patiné ?

Côté enquête, malgré les félicitations adressées par Nicolas Sarkozy aux policiers et aux magistrats pour leur « remarquable travail », les zones d’ombre demeurent.

Ainsi, ni le ministère de l’Intérieur ni le procureur de Paris n’ont encore réussi à expliquer pourquoi il a fallu attendre samedi 17 mars pour que les 576 adresses IP des personnes ayant consulté la petite annonce passée par la première victime, le parachutiste tué le 11 mars, soient communiquées aux enquêteurs. Est-ce la PJ qui tardé à les demander ? Est-ce le site d’annonces « le Bon coin » qui a traîné pour répondre ? Selon le site Owni, la PJ n’a demandé ces adresses que le vendredi 16 mars, c’est à dire après la deuxième tuerie, commise contre des parachutistes à Montauban.

Le « criblage » des adresses IP, commencé dès le 17 mars, aurait ensuite permis d’identifier lundi l’ordinateur de la mère de Mohamed Merah, qui porte un autre nom que son fils.

Là encore, il semble que le croisement des adresses IP avec les fichiers de la DCRI ait un peu tardé. Le frère de Mohamed Merah, qui était toujours en garde à vue le 22 mars, était en effet apparu dans une enquête sur une filière irakienne de moudjahidines. Quant à Mohamed Merah, connu pour plusieurs affaires de petite délinquance, et donc a priori localisable, la DGSE l’aurait signalé à la DCRI après deux séjours au Pakistan et en Afghanistan, en 2010 et 2011.

En outre, selon des informations publiées le 22 mars par le Monde, Mohamed Merah n’était pas un « loup solitaire  », mais appartenait au contraire à la mouvance djihadiste internationale, et aurait effectué plusieurs séjours dans ce cadre en Israël, en Syrie, en Irak, en Jordanie et en Iran.

Quoiqu’il en soit, le jeune homme figurait bien dans les fichiers de la DCRI. La preuve, le ministre de l’intérieur Claude Guéant a indiqué, mercredi soir sur TF1, que le jeune homme avait été convoqué en novembre 2011 par « le service régional du renseignement intérieur, afin qu’il explique de façon plus précise ce qu’il était allé faire en Afghanistan et au Pakistan. Il avait alors expliqué, force photos à l’appui, qu’il avait fait un voyage touristique  ».

Pourtant, selon le récit de Claude Guéant et de François Molins, les enquêteurs n’ont réussi à localiser Mohamed Merah que mardi 20 mars en fin de journée. Il semble donc que ni ses communications téléphoniques, ni ses connexions internet, ni ses déplacements n’étaient surveillés, ce qui étonne plusieurs spécialistes du renseignement. Solitaire, Mohamed Merah était devenu, semble-t-il, très discret et prudent ces dernières semaines.

« On ne pouvait pas aller plus vite »

Sollicité par Mediapart, un haut responsable policier explique qu’il a fallu « éplucher 24.000 fiches de PJ pendant le week-end », après la tuerie du 15 mars à Montauban, alors que les enquêteurs étaient en plein brouillard. « Il y avait de tout : les propriétaires d’armes, les habitués des stands de tir, les types d’extrême-droite, les propriétaires de scooter, etc  ». Ce n’est que le lundi, avec la tuerie dans l’école juive de Toulouse, que l’enquête change de dimension avec l’arrivée de renforts policiers, un cadre juridique différent, et un autre procureur.

C’est le croisement des adresses IP et des fichiers de la DCRI qui finira par attirer l’attention sur la famille Merah.

« On avait le nom de la mère, qui a cinq enfants. Mais jamais la DGSE, la CIA ou les services pakistanais n’ont détecté Mohamed Merah comme un djihadiste, contrairement à ce que laissent croire certains articles de presse. La DCRI n’avait presque rien sur lui. Mohamed Merah n’avait pas d’activité politique ou religieuse, il n’attirait pas l’attention des services. Ses photos de voyage ne montraient rien d’intéressant. Ses déplacements non plus », poursuit ce haut responsable, qui dément ainsi les informations du Monde.

Merah ? « C’est un gosse qui s’était radicalisé tout seul en lisant le Coran en prison, où il avait été dès l’âge de 16 ans, et qui avait des problèmes psychologiques. Il ne faisait pas partie des gens les plus surveillés, car il n’était pas considéré comme dangereux. En outre, il n’utilisait pas de téléphone ni d’ordinateur personnel ».

Ce haut responsable policier assure qu’il était impossible d’aller plus vite. « On a résolu cette enquête en un temps record, et on a reçu des félicitations des collègues de tous les pays européens, qui craignent un massacre à la norvégienne  », relate-t-il.

Les politiques s’en mêlent

Y a t-il eu toutefois une négligence des services de renseignement ? Un raté ? Le ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, a évoqué une possible « faille » des services, jeudi matin sur Europe 1 : « Je comprends qu’on puisse se poser la question de savoir s’il y a eu une faille ou pas. Comme je ne sais pas s’il y a eu une faille, je ne peux pas vous dire quel genre de faille mais il faut faire la clarté là-dessus » , a-t-il déclaré, avant de rectifier le tir un peu plus tard avec un communiqué.

Née en 2008 de la fusion des RG et de la DST, et présentée comme un « FBI à la française  », la DCRI a été accusée à plusieurs reprises (notamment dans des livres très fouillés) d’avoir été privatisée au profit du clan Sarkozy. Ainsi, la DCRI a mis des moyens pour protéger la vie privée du président (affaires du SMS de Cecilia Attias, du portable de Rachida Dati, du billet de blog sur Carla bruni). Elle est aussi soupçonnée très sérieusement d’avoir espionné des journalistes (notamment du Monde et de Mediapart), à l’occasion d‘affaires menaçantes pour le pouvoirs (dossiers Karachi, Bettencourt). Le contre-espionnage français est, enfin, accusé d’avoir monté un dossier peu convaincant avec l’affaire de Tarnac.

La DCRI, dont le directeur, Bernard Squarcini, un proche de Sarkozy, est mis en examen dans l’affaire des fadettes des journalistes, est plus que jamais sur la sellette. Il vient de demander l’annulation de sa mise en examen, et s’accroche plus que jamais à son poste.

A ces critiques s’ajoutent donc de nouvelles, sur l’affaire de Toulouse.

Bruno Le Roux, l’un des porte-parole de François Hollande, a affirmé jeudi à l’AFP avoir vu une « faille » dans la surveillance de Mohamed Merah et jugé que ce n’était pas un nouvel arsenal pénal, comme celui annoncé par Nicolas Sarkozy, qui allait « régler les problèmes de société ». « Le terme ’faille’, je le reprends volontiers. Aux Etats-Unis, aurait été constitué sans coup férir une commission d’enquête pour voir là où il y a eu problème dans la surveillance », a-t-il souligné.

« Là où il y a endoctrinement, voyages répétés dans des camps d’endoctrinement et accumulation d’armes à feu et d’armes de guerre, il y a forcément une réflexion à avoir sur l’impossibilité que notre République a eu à éviter ces crimes monstrueux, ou tout au moins à permettre de les arrêter plus tôt », a poursuivi le député de Seine-Saint-Denis.

Jérôme Guedj, président (PS) du conseil général de l’Essonne, département où est basé le Raid, a demandé jeudi sur son blog la démission du ministre de l’Intérieur Claude Guéant, en dénonçant « un triple échec ». L’élu PS se demande d’abord comment le « projet meurtrier » de Merah n’a pas été « décelé  » par les services de renseignement, qui pourtant suivaient le jeune homme depuis son séjour afghan. Il reproche aussi aux enquêteurs d’avoir tardé à identifier de manière précise le tueur au scooter, le 20 mars, relevant les « neuf jours » écoulés après le premier assassinat d’un militaire à Toulouse, «  l’identification des contacts internet suite à une petite annonce », et le fait que le tueur était déjà « assurément dans le collimateur » de la police vu ses antécédents. Enfin «  pourquoi une interpellation en douceur n’a pas été préférée ? », demande-t-il.

La candidate écologiste Eva Joly s’en prend elle aussi à Claude Guéant. « Qu’a fait le ministre sur place en commentant en permanence, heure par heure, ce qui se passait ? Il a créé de la confusion. Quel est son rôle ? Ce n’est pas lui qui dirige les opérations ! C’est une violation du code de procédure pénale ! », a lancé l’ancienne juge d’instruction sur Radio Orient. Selon elle, « ces opérations auraient dû être dirigées par un juge, à l’extrême limite par le Parquet. (...) J’ai été magistrate pendant plus de vingt ans (...) J’ai eu à faire face à des prises d’otage. Et j’ai appelé le RAID ou le GIGN. Je connais leur pertinence, je sais qu’on peut leur faire confiance, mais c’était moi qui dirigeais les opérations et non pas le ministre », a argumenté Eva Joly.





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