Argument philosophique des lois (Extrait) :
Après avoir posé l’idéal, il s’agissait de
le réaliser ; c’est le but des Lois, Ce mot
exprime toute la différence de la République et des Lois, Dans le premier ouvrage
il n’y a pas de lois ; tout y repose sur les
mœurs, lesquelles reposent sur l’éducation ; dans le second, au contraire, tout
repose nécessairement sur les lois. Platon,
en voulant réaliser sa république au milieu
de la corruption de son temps, ne pouvait
oublier cette corruption, et il était bien
obligé de prendre contre elle ses précautions, en ajoutant aux mœurs le frein et la
sanction des lois et des peines qui y sont
attachées. Cette différence essentielle en
suppose et en amène beaucoup d’autres.
Quand on se défie assez des dispositions
des citoyens pour leur imposer des lois pénales, il serait absurde de leur donner
des institutions d’une sévérité morale qui
exigerait d’eux des vertus qu’on n’en peut attendre. Voilà pourquoi
les Lois ne reproduisent point les grandes institutions
de la République ; elles ne demandent
point le renoncement à la propriété ; elles
ne contiennent ni la communauté des
biens, ni celle des femmes et des enfants ;
elles n’imposent les repas en commun
qu’aux hommes seuls, et encore elles les
recommandent plutôt qu’elles ne les imposent. Platon n’abandonne point l’idéal
qu’il a tracé dans la République, comme
quelques uns l’ont imaginé : il est si loin
de l’abandonner, qu’il se propose ici de le
réaliser ; mais pour cela, il faut bien qu’il
l’accommode à la réalité ; il ne le corrige
point, il le modifie, et en le modifiant il le rappelle sans cesse, avec le
regret profondément senti et pathétiquement exprimé de ne pouvoir le conserver dans sa pureté absolue. Il y a dans toutes les
parties des Lois un retour continuel et
comme un soupir vers la République. Supposer qu’elles sont une exécution fidèle des
principes de la République, c’est assurément les méconnaître ;
mais c’est les méconnaître bien plus encore, que de supposer qu’elles
sont en contradiction avec elle.
Leur caractère propre est dans une juste
mesure de ressemblances et de différences. Un examen détaillé des Lois
nous montrera les unes et les autres sous toutes leurs
faces.