Jeudi 31 janvier 2013 :
Karachi : un témoin accable le contre-espionnage français.
Un professionnel du renseignement affirme que les services
"savaient" pour le financement occulte de la campagne de Balladur via
des contrats d’armement.
Un professionnel du renseignement affirme que le contre-espionnage
français était au courant dès 1994 d’un financement occulte de la campagne de
Balladur via des contrats d’armement et dès 2002 de la piste financière de
l’attentat de Karachi qui a coûté la vie à quinze personnes. Le témoignage de
Gérard Willing, qui dirigeait une société de renseignement privé, est pris au
sérieux par les enquêteurs et les parties civiles qui vont demander de
nouvelles auditions, selon des sources proches de l’enquête.
La Direction de la surveillance du territoire (DST) "savait tout
dès 1994-1995" sur un financement de la campagne présidentielle d’Édouard
Balladur grâce à des rétrocommissions liées aux contrats d’armement avec
l’Arabie saoudite (Sawari II) et le Pakistan (Agosta), a témoigné Gérard
Willing dans un entretien à l’AFP après une audition lundi chez le juge
antiterroriste Marc Trévidic. La DST a, selon lui, surveillé le siège de
campagne du Premier ministre, filmant les allers et venues et "les valises"
d’argent liquide. Les services "n’ignoraient rien", a affirmé cet
homme, qui dit avoir travaillé ponctuellement pour la DST.
C’est dans ce cadre, selon lui, que la DST lui aurait demandé
d’identifier des personnes filmées devant le QG de M. Balladur qui réfute tout
financement occulte de sa campagne. Mais, selon M. Willing, "tous les
documents ont été détruits en 2011". Gérard Willing a réaffirmé par
ailleurs avoir fait, dès le 13 mai 2002, cinq jours après l’attentat, un compte
rendu oral à l’intention de la DST, faisant le lien entre l’attentat et une
piste financière. Il aurait également rédigé une note écrite à l’intention du
général Philippe Rondot, alors patron du renseignement français.
Les services français "savaient" tout.
Dans cette note consultée par l’AFP, Gérard Willing écartait, sur la
base des témoignages de correspondants au ministère britannique des Affaires
étrangères et du chef d’état-major de la marine indienne, la piste d’al-Qaida,
privilégiée par le juge Jean-Louis Bruguière. Il émettait "l’hypothèse"
d’un attentat commis en représailles après l’arrêt, en 1996, des commissions et
leur "captation par les amis orientaux du camp chiraquien" après
l’élimination des premiers intermédiaires, Ali Ben Moussalem, Abdul Rhaman
El-Assir, et Ziad Takieddine. Leur mise à l’écart a financièrement "lésé
beaucoup de monde", notamment au Pakistan, selon Gérard Willing.
La thèse d’un détournement des commissions est aussi défendue par M.
Takieddine, mis en examen dans le volet financier du dossier. Mais "la DST
n’a pas tenu compte" de sa note, explique Gérard Willing. Cette piste d’un
attentat de représailles est privilégiée par le juge Trévidic, qui a repris
l’enquête en 2007, après la découverte fortuite, en 2008, dans les locaux de la
Direction des chantiers navals (DCN), du rapport Nautilus écrit quelques
semaines après l’attentat, et qui faisait état de la piste financière.
Le juge a récemment demandé la déclassification de la note de M.
Willing, jamais versée au dossier. "Les services français savaient et ont
tout caché, ils devront s’expliquer devant la justice", a réagi Gilles
Sanson, qui a survécu à l’attentat et pour lequel "on est au coeur d’une
affaire d’État".
Son avocate, Me Marie Dosé, estime que ce témoignage "confirme que
les services étaient au courant de la piste financière depuis 2002".
Avocat des familles, Me Olivier Morice a condamné "l’entrave au
plus haut niveau de l’État" dans cette affaire.
http://www.lepoint.fr/economie/karachi-un-temoin-accable-le-contre-espionnage-francais-31-01-2013-1622141_28.php