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Joe Chip Joe Chip 7 janvier 2017 15:25

@Squalll

Ca fait 40 ans que les Américains agitent ces thématiques et la condition socio-économique des noirs n’a jamais été aussi mauvaise. Dans les années 50-60 il y avait une classe moyenne noire en formation mais celle-ci était structurée par la religion et, même si c’est un tabou, par des réminiscences de la société sudiste. Les alcooliques, les drogués et les marginaux étaient ostracisés (c’est ce que raconte le blues). On portait le costume, on travaillait, on priait... bref les noirs avaient intégré les vertus austères du puritanisme WASP et, peu à peu, leur situation économique évoluait même si ces progrès étaient masqués par la ségrégation qui sévissait encore dans certains Etats. 

Puis arrivèrent les années 60 et tout cet héritage, problématique, paradoxal mais fécond, fut balayé par le militantisme et le gauchisme des campus où il n’y avait pour ainsi dire aucun noir. Des blancs diplômés, sans doute bien attentionnés, expliquèrent aux noirs que tout ce qui constituait les piliers de leur communauté n’étaient qu’un héritage des institutions racistes et ségrégationnistes, ce qui n’était d’ailleurs pas entièrement faux, mais surtout très réducteur. 

En réalité, ces blancs cherchaient davantage à se débarrasser de leur culpabilité liée à l’esclavage. 

On se débarrassa donc de tous les symboles liés à l’histoire des afro-américains : l’autorité des pasteurs fut remise en question, le féminisme s’attaqua au statut de l’homme noir (cf la séquence avec Aretha Franklin dans le film Blues Brothers qui est une collection de clichés folkloriques sur les noirs, mais d’un point de vue de "gauche") et la pratique religieuse déclina, l’éducation fut aussi remise en cause par la théorie déconstructionniste. 

Or, cette théorie avait mûri dans l’esprit de jeunes bourgeois blancs (français et américains) et ne pouvait donc produire que des effets désastreux dans le contexte du prolétariat noir. Chez nous, elle a mis près de 30 ans à produire des effets aujourd’hui très visibles (surtout dans les campagnes). Mais dans les fragiles communautés noires urbaines des années 50-60, la déstabilisation a engendré des conséquences immédiates : hausse vertigineuse de la criminalité, trafic de drogue, prostitution... autant de fléaux bien entendu liés à la pauvreté mais qui étaient auparavant refoulés aux marges de la communauté noire par une morale puritaine stricte héritée... de la période esclavagiste. 

Les latinos, dans l’ensemble, n’ont jamais adhéré à ces concepts de la bourgeoisie blanche. Ils ont continué à organiser leur communauté autour des valeurs du travail, de la religion, de la solidarité... il existe aussi des gangs et beaucoup de problèmes sociaux, mais il y a aujourd’hui une classe moyenne latino-américaine qui a quasiment rattrapé la classe moyenne anglo-saxonne sur le plan économique.  

Je ne pense pas que tout soit faux, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi ces idéologues ne parviennent pas à voir les effets catastrophiques de ces discours. Pointer du doigt les blancs, les hommes, les hétéro pour affirmer qu’ils constituent une caste privilégiée, alors que précisément les blancs sont tout autant touchés par le déclassement social me semble absurde. En plus de donner bien sûr des excuses pour justifier l’échec des populations mal intégrées économiquement, entretenant ainsi leur frustration et ressentiment à l’égard de la société.

Bah, c’est vieux comme le monde, c’est la théorie du bouc émissaire. Dans la mythologie antiraciste américaine, le "white trash" (blanc pauvre) est devenu le responsable des malheurs du noir pauvre. En outre monter le prolétariat "ethnique" contre la classe moyenne "blanche" déclassée est une excellente stratégie en termes d’horizontalisation des conflits de classe (lumpenprolétariat contre prolétariat). Les noirs et les arabes (pour schématiser) pensent que tous leurs malheurs sont liés à la domination des "hommes blancs" mais ne peuvent s’en prendre concrètement qu’aux hommes blancs pauvres, en étant par ailleurs encouragé par une partie de la bourgeoisie blanche pour les raisons que j’ai expliquées dans mon premier post.

D’où viennent ces discours ? Comment se sont-ils développés aux États-Unis et pourquoi ont-ils encore une quelconque crédibilité ? J’ai essayé d’en discuter avec des Américains, on m’a répondu que c’était un vieux complot de l’URSS, qui agissait dans des entreprises de subversion des esprits dans les facs américaines, pour déstabiliser le pays. C’est possible, mais l’explication me parait trop facile et datée. 

Oui, c’est soit la faute des communistes russes ou des intellectuels français. C’est comme ça que les conservateurs américains refoulent toute forme d’auto-critique pour justifier les contradictions flagrantes de leur modèle social.

En fait, cette opposition superficielle entre conservatisme ultra et progressisme ultra définit précisément le modèle américain, qui est une synthèse dynamique entre un conservatisme hérité de la tradition puritaine (calvinisme) et un "protestantisme" au sens littéral qui provient de la tradition luthérienne. Luther était une sorte d’enragé professionnel, qui remettait absolument tout en question - à l’exception des injustices sociales et économiques. S’il se rebellait contre le pouvoir inique de l’Eglise romaine, il encourageait au contraire les seigneurs allemands à écraser les paysans qui réclamaient - au nom de la Réforme - un égalité formelle sur le plan économique. 

Ces deux tendances se justifient et se renforcent à travers un jeu d’oppositions et de liens de réciprocité qui traversent toute la société américaine. C’est ce qui explique le visage profondément contrasté des Etats-Unis, avec d’un côté les conservateurs ultra-puritains créationnistes, et de l’autre les progressistes qui recherchent une égalité de droit absolue et réclament, en réalité, une "réforme" sociétale permanente. 

Voilà pourquoi la société américaine semble toujours osciller entre ce conservatisme religieux absurde et ce progressisme révolutionnaire, les deux mouvements s’entraînant et s’alimentant à travers une relation dialectique permanente. Rien à voir avec les Russes et les communistes.

Si tu maîtrises la langue de Shakespeare, je t’encourage à voir un excellent documentaire de la BBC en plusieurs volets, "The protestant revolution" qui montre très bien l’impact énorme que cette religion a eu sur la formation des Etats-Unis.

 

  




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