Quelques paroles de Rudolph Steiner lors d’un
échanges avec les jeunes de l’Ecole Waldorf de Stuttgart, le 16 janvier
1923. Ces propos sont rapportés par le Dr W. J. Stein, qui enseignait
l’histoire dans cette classe
- Dites moi à quelle époque c’est passé ce que votre maître vous a raconté ?
Les enfants répondirent :
- Au moyen-âge .
- Sans doute, dit le Dr Steiner , mais on peut préciser davantage.
Voyez-vous, au récit des aventures de Parzival, on peut très bien
reconnaître l’époque du huitième au neuvième siècle [1].
Ce furent des temps sanglants. Les hommes étaient habitués à vivre dans
le sang. Partout s’étendaient encore des forêts sauvages. On se battait
dans ces forêts. Partout on y consommait encore des sacrifices
sanglants. A travers ces forêts passaient de temps à autre des figures
lumineuses et claires, vêtues de cuirasses éclatantes. Lorsqu’elles
s’approchaient des lieux où habitaient le hommes dans la forêt, ceux-ci
se rassemblaient et discutaient entre eux et cessaient de se battre et
de piller.
Ces chevaliers passants, qui apparaissaient de temps à autre dans leur
cuirasses brillantes, faisaient régner à cette époque sanglante un ordre
sanglant. Le centre de cette chevalerie dispersée en tous lieux,
c’étaient les chevaliers du roi Arthur, ou, comme on peut encore les
nommer, « les chevaliers au glaive ». Leur centre de rayonnement était
dans le nord de la France et en Angleterre. Mais il y avait à cette
époque d’autres chevaliers. Réfléchissez bien : Les chevaliers d’Arthur
étaient les chevaliers du Glaive. Que peuvent bien avoir été les autres
chevaliers ?
Le Dr Steiner laissa les enfants chercher. Il les aida jusqu’à ce qu’enfin l’un des écoliers déclare :
- Les autres étaient les « les chevaliers du Verbe ».
- Oui, vraiment, dit le Dr Steiner, cela est tout à fait juste. Les
autres étaient véritablement des « chevaliers du Verbe ». Le verbe, la
parole, c’est aussi une épée, mais une épée peu ordinaire. La parole,
c’est l’épée qui sort de la bouche de l’homme [2]. Et voyez-vous, c’est de cette épée qu’il est question ici.
Le Dr Steiner me prit le livre des mains et commença à lire, interrompant sa lecture par des explications [3] :
"l’épée supporte le premier coup, mais au suivant elle se brise"
- L’épée du Graal, dit le Dr Steiner, se brise quand elle vieillit. Il
faut alors la rapporter à la source ce dont il ne reste que des
fragments transmis par la tradition. Le passé doit être rajeuni à la
source de vie. C’est là, à la source de l’esprit que l’épée du Graal se
reconstitue [4].
Si tu la porte à la fontaine,
Elle redeviendra neuve par la Vertu de l’Eau.
Mais prends le flot de la source
Au rocher, avant que la lumière ne la touche
Comme nous poursuivions notre lecture, commentant les passages, il fut
également question de la source, de la fontaine. Wolfram la décrit
ainsi : Sur la fontaine il y avait une boule, sur cette boule était
assis un dragon. Le Dr Steiner dit alors :
- Le dragon qui est assis sur la fontaine dont jailli la source,
représente la sauvagerie des hommes de cette époque. Cette sauvagerie,
qui est celle des forces du sang, Parzival doit la vaincre [5].
Voyant que le Dr Steiner était prêt à dire encore bien des chose, je
formulai une question à laquelle nous n’avions pas encore trouvé de
réponse. J’avais fait remarqué aux enfants que dans Parzival certains
événements sont décrits plusieurs fois. Par exemple, la double rencontre
de Parzival avec Yeschute, l’épouse du duc Orilus. Puis la rencontre
avec Sigune, ou celle avec Kundry, ou encore la double arrivée de
Parzival au château du Graal etc. J’interrogeai donc :
- Monsieur, nous n’avons pas pu nous expliquer pourquoi dans le
Parzival, les mêmes scènes se trouvent deux fois, et la seconde fois
plus pures, plus nobles, meilleures.
Alors le Dr Steiner répondit :
- Si les scènes du Parzival apparaissent toujours deux fois, c’est
parce que d’abord, on y revit le passé. On s’aperçoit alors qu’il est
stérile. Ensuite, se produit une rénovation, les faits sont rénovés à la
source de l’Esprit et deviennent alors féconds. D’ailleurs, toutes les
scènes du Graal ont un double sens, historique d’une part et
universellement humain d’autre part. L’être humain, par exemple, doit
toujours retourner à la source, comme Parzival, qui reste en liaison
avec la source de l’esprit en envoyant constamment les chevaliers qu’il a
vaincu à la femme qui veille sur la source.
Telles sont les paroles que prononça alors le Dr Steiner."
Notes :
[1]
Le consensus universitaire veut que le Arthur historique ayant inspiré
toutes ces légendes soit un personnage du sixième siècle
[2]
Symbole classique tiré de l’apocalypse de Jean. Très important pour
comprendre la signification de certaines épées dans le conte du Graal :
pourquoi le héros reçoit une nouvelle épée, pourquoi elle se brise,
comment une mauvaise épée est restaurée en une bonne épée...
[3] Parzival livre IV, les explications de Sigune concernant les propriétés de l’épé que Parzival a reçue au château du Graal
[4]
Steiner ne décrit pas là quelque chose qui a trait au pouvoir de la
parole d’une personnes, mais plutôt le nécessaire processus de
régénération qui est entrepris lorsqu’une nouvelle communauté
initiatique se manifeste dans la matière. Elle apporte un nouvel
enseignement, tiré de la source de l’Esprit, la gnose, dans lequel on
retrouve les traces laissées par les enseignements du passés
réactualisés.
[5]
Il est évidant que ce dragon est également présent en chaque homme et
que ce récit ne relate pas (seulement ?) les aventures d’un Perceval
historique mais décrit les étapes d’un processus intérieur comme Steiner
le précise un peu plus loin.