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Joe Chip Joe Chip 4 février 2017 15:24

@Qaspard Delanuit

Merci. Ces relations peuvent remonter très loin, en fait. On retrouve par exemple des thèmes et mêmes des expressions similaires dans le vieux blues du sud des USA et certains textes médiévaux (lais, récits de vie monastique). Présence du Diable à la croisée des chemins, séduction surnaturelle, tentation et pacte satanique, démon de midi, marginalité... l’expérience du moine acédieux (c’est à dire en proie à un tourment métaphysique proche de notre dépression) est très similaire à celle du bluesman. 

Ce que beaucoup de conspirationnistes ne comprennent pas, ou plutôt ne veulent pas comprendre, c’est que l’omniprésence du diable est une chose normale, triviale et rassurante dans une société chrétienne, surtout dans le cas des Etats-Unis où la culture majoritaire a subi l’influence de l’animisme africain, via la culture haïtienne. Les maîtres blancs ont souvent repris à leur compte les superstitions des esclaves noirs pour mieux les assujettir. Mais cette imprégnation culturelle se faisant toujours à double sens, des éléments de culture animiste ont peu à peu filtré dans le folklore du vieux sud américain, qui était naturellement plus réceptif que le nord industrialisé et iconoclaste des puritains. En poussant un peu loin, on peut même retrouver cette influence vaudou dans la dégaine "effrayante" et les rituels païens du Ku-Klux-Klan. Mais il vaut mieux ne pas leur dire.  

Donc le diable du rock’n’roll correspond exactement au diable de notre Moyen-Age : il est partout, absolument corrupteur et sensuel, il cherche à posséder les femmes et à distraire les hommes en les vidant de leur énergie (acédie). 

Jusqu’à récemment, seuls les conservateurs américains les plus durs et les paranos interprétaient tout ça au premier degré. Malheureusement, internet et la mondialisation anglophone nous renvoient aujourd’hui tout ce folklore sous un format pop mal digéré, avec de bons gros grumeaux d’ignorance et de paranoïa collective. 

On exhibe en fait le Diable pour le chasser et l’exorciser, pour le fixer dans une forme matérielle que l’on peut tenter de combattre, de conjurer, d’assimiler ou même de séduire (relation sexuelle pour les sorcières) en tentant de lui dérober une partie de son pouvoir magique (pour avoir plus de succès, d’argent, etc.). Ces usages que l’on peut assimiler à de l’exorcisme collectif perdurent en particulier au sein d’une partie des élites américaines - notamment les élites du sud, qui affectionnent les fraternités du style "skulls and bones" où l’on met en scène graphiquement "la crémation des inquiétudes" (cremation of care) en reproduisant un sacrifice humain. Le but de ces rituels est d’exorciser la mauvaise conscience qui va de pair avec l’exercice du pouvoir. Les élites se débarrassent ainsi symboliquement de leur culpabilité et de la responsabilité de leurs actions en assimilant - via la métaphore du rituel - une qualité traditionnellement prêtée à Satan dans le folklore chrétien : celle de ne nourrir aucun remord en vivant exclusivement dans le présent. Certains y verront du satanisme, moi j’y vois une forme théâtralisée d’exorcisme collectif.      

Il y a sans aucun doute des dérives proprement "satanistes" qui peuvent se lier ponctuellement aux pratiques de certains groupes animés par une idéologie prométhéenne radicale, mais à mon avis elles ne sont nullement représentatives et concernent plutôt des "officines" de second rang : groupes religieux charismatiques, militants athées, parvenus de la pop et autres vieilles putes comme Madonna... 

Mais le vrai Diable, c’est à dire le mal au quotidien, reste celui que l’on ne peut pas matérialiser. D’ailleurs Bernanos l’assimilait à une moiteur, une apathie... perspective autrement plus effrayante que le Diable finalement sympathique, costumé et familier qui accompagnait la vie des hommes du Moyen-Age.   

Donc le problème de nos amis complotistes, c’est qu’ils ont en quelque sorte le nez sur le guidon et qu’ils voient les choses par le petit bout de la lorgnette, en tombant très souvent dans un littéralisme désespérant de bêtise.




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