Le Maroc et la jurisprudence turque
Le Maroc et la jurisprudence turque
Le Maroc est-il en train de jouer la même partition que la Turquie, à savoir celle du « chantage aux migrants » vis-à-vis de l'Union Européenne ?
Ce qui est certain est que nous assistons depuis quelques jours à un véritable assaut sur l'enclave espagnole de Ceuta. Profitant des marées permettant de gagner Ceuta par la nage (1 mort tout de même) mais aussi de l'inaction évidente des forces marocaines, des centaines de « migrants » principalement Marocains mais également sub-Sahariens ont gagné ces derniers jours Ceuta avec comme objectif le continent européen. D'abord de nuit comme ici :
... puis, en 24 heures, les choses se sont accélérées : 5 000 d'entre eux (dont 1 500 présumés mineurs) ont pénétré dans l'enclave. Hier soir, vers 23h30 selon La Verdad de Ceuta, ce sont bien des Marocains qui auraient « cassé la porte de l'école Juan Morejon et envahi le centre ». 20 minutes plus tard, la police nationale espagnole a dû intervenir pour mettre un terme à des affrontements entre migrants marocains. Sur d'autres images on voit des policiers espagnols déloger des « mineurs » venus se cacher dans le jardin d'une maison.
Finalement, lundi soir, la police marocaine est intervenue pour disperser la foule candidate à l'émigration vers l'Europe au niveau du poste-frontière de Ceuta, intervention très très tardive...
Le stade Benoliel devrait accueillir les Marocains adultes qui se trouvent dans la rue pour ensuite procéder à leur expulsion vers le Maroc. Quant aux mineurs, ils seront hébergés à Piniers et aux entrepôts de El Tarajal.
Pourquoi ?
Après tout le Maroc n'est pas en guerre. Une première explication est, en revanche, à explorer du côté de la situation sociale. Si en avril 2020, le tiers des salariés déclarés du secteur privé étaient inscrits par leurs employeurs pour bénéficier de l'indemnité que servait alors le Fonds spécial pour la gestion des effets du Covid (liée à la chute du tourisme notamment) et que le chômage avait alors explosé de plus de 70%, le Maroc a fait preuve de résilience au cours de la crise. Un classement global d’attractivité de début mai 2021 la placé au 2ᵉ rang en Afrique, ceci grâce à plusieurs secteurs d’activité économique dont le textile, l’agroalimentaire, l’aéronautique, l’automobile qui ont soutenu cette résilience impulsée par le gouvernement. Néanmoins sur le volet social, chômage et sous-emploi (18,2 %), inactivité des jeunes (21,9 %) et insertion des femmes sur le marché du travail (21,3 %) sont autant d'indicateurs de difficultés qui perdurent. Ouarda, 26 ans, deux enfants et au chômage a expliqué à l'AFP que “J’ai appris par Facebook qu’il était possible de passer, j’ai pris un taxi avec une amie car je n’arrive plus à nourrir ma famille”. Le Maroc, quasi narco-Etat est bel et bien incapable d'assurer la survie d'une partie de sa population. Voilà une première explication.
Ensuite, il faut garder en tête que Ceuta, Melilla et les 3 autres territoires dits les « Plazas de soberania » que sont les îles Zaffarines, les îles Alhucemas et le rocher de Vélez de la Gomera qui comptabilisent environ 151 000 habitants en tout (80 000 pour Ceuta, 72 000 pour Melilla et 350 pour le rocher d'Alhucemas), territoires espagnols faisant partie de l'UE avec comme monnaie l'euro, sont toujours revendiqués par le Maroc depuis son indépendance en 1956. Le Maroc les considère comme « occupés » et reliquats de la colonisation.
Et puis un autre élément de réponse plus contextuel est donné par Mohamed Said Soussi (Northern Human Rights Observatory) : « Les jeunes gens qui ont fait la traversée sont tous Marocains et viennent de la ville de Fnideq et de quelques autres du Royaume. C'est une arme de pression dans les mains du Maroc dans ses relations avec l'UE et l'Espagne. » a-t-il confié au site Yabiladi.
Voir ici : https://en.yabiladi.com/articles/details/109994/arrival-thousands-moroccan-migrants-ceuta.html
Mohamed Benaïssa, Président de l’Observatoire du nord pour les droits de l’Homme basé à Fnideq confirme que cette nouvelle vague de migrations concerne avant tout “des mineurs, mais également des familles, tous marocains” et que cette vague “pourrait être en lien avec la crise diplomatique entre le Maroc et l’Espagne”.
Face à l'embarras de la coalition de gauche espagnole au pouvoir, l'opposition de droite (Parti Populaire et Vox) a vivement réagi dénonçant l'inaction du gouvernement. Vox qualifie même le Maroc de « voisin et ennemi » et voit dans cette invasion une réponse à l'affaire de l'hospitalisation de Brahim Ghali en Espagne pointant le fait que le Ministre des Affaires Etrangères marocain avait, le 8 mai dernier, prévenu qu'il y aurait des « conséquences » à la décision de Madrid d'avoir accueilli le militant indépendantiste sahraoui. Brahim Ghali, chef du Front Polisario, a en effet été hospitalisés à l'hôpital de Lognono (nord de l'Espagne), peut-être même à la demande de l'Algérie (selon El Païs). Le conflit au Sahara occidental, ancienne colonie espagnole classée “territoire non autonome” par les Nations unies en l’absence d’un règlement définitif, oppose depuis plus de 45 ans le Maroc au Polisario, soutenu par l’Algérie. Le Polisario réclame un référendum d’autodétermination alors que Rabat propose une autonomie sous sa souveraineté.
Mais l'Espagne n'est pas le seul Etat de l'UE a être défié. L'Allemagne également est dans le viseur du royaume chérifien depuis le mois de mars dernier au point que le Maroc avait suspendu tout contact avec l'ambassade allemande à Rabat. Il est repproché à l'Allemagne des positions hostiles et « actions attentatoires » à l'intérêt supérieur du royaume. En premier lieu, c'est la position de l'Allemagne vis-à-vis du Sahara Occidental que le Maroc juge contraire à la position de Trump en décembre 2020 (qui a reconnu la souveraineté du Maroc sur ce territoire). En cause également le rôle du Maroc en Libye, le Maroc n'ayant pas été invité à la conférence de Berlin sur l'avenir en Libye qui s'est tenue en janvier 2020, non-invitation qui a été vécue comme un camouflet. A cela s'ajoute des accusations de « complicité à l'égard d'un ex-condamné pour des actes terroristes » (le présumé Mohamed Hajib, condamné à 10 ans de réclusion au Maroc pour terrorisme, peine ramenée à 5 ans, personnalité accusée de publier des critiques sur le Maroc sur les RS). Mohamed Hajib, Germano-Marocain est considéré comme l’ennemi public numéro 1 des services secrets marocains.
Une fois de plus on assiste à l'impuissance diplomatique et la faiblesse de cette UE incapable de faire respecter ses frontières et objet de chantage aux migrants. La Turquie hier et aujourd'hui, le Maroc aujourd'hui et sans doute demain ?
Tags : Maroc Migrants
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