Le 28 novembre 2010, sur son blog, Jean Quatremer écrivait :
"La zone euro rongée de l’intérieur.
Pour dire les choses crument, la zone euro est attaquée, pour l’essentiel,
non de l’extérieur par de mystérieux fonds spéculatifs américains ou chinois,
mais de l’intérieur, par ses propres banques, assurances, fonds de pension,
gérants de patrimoine, établissements financiers divers qui gèrent l’épargne
des particuliers (votre assurance-vie, par exemple, ou votre livret A), des
entreprises et leurs propres fonds.
Ce sont eux qui, en effet, possèdent la très grande majorité de la dette
européenne et ce sont donc eux qui font grimper les taux d’intérêt, acculant
certains pays de la zone à la faillite.
Prenons le cas irlandais : fin 2009, selon des statistiques de la Banque
centrale européenne (1), sa dette publique était de 64 % du PIB (elle est
maintenant de 98 %), soit 104 milliards d’euros. Sur cette somme, 75 milliards
étaient possédés par des non-résidents.
Mais là où cela devient intéressant, c’est que sur ces 75 milliards, 15
milliards seulement appartiennent à des établissements qui ne sont pas dans la
zone euro (pour l’essentiel, des banques britanniques).
En clair, l’Irlande a été déstabilisée par les établissements de la zone
euro et par personne d’autre.
La Grèce, ce n’est pas un hasard, est dans la même situation : 78 % de
sa dette souveraine est possédée par des non-résidents, ces non-résidents étant
à 85 % domiciliés dans la zone euro.
Au Portugal, manifestement le prochain domino, la proportion est
respectivement de 78 % et de 80 %...
L’Espagne, elle, est moins exposée, ce qui fait douter d’une contagion :
seulement 55 % de sa dette est possédée par des non-résidents, dont 65 % sont
des résidents de la zone euro.
On ne peut manquer de remarquer que ce sont les pays qui ont le plus
internationalisé leur dette, même au sein de la zone euro, qui sont les plus
fragiles : en vendant leur dette hors de leurs frontières, les États ont
renoncé à exercer un quelconque contrôle.
Est-ce un hasard si l’Italie, dont la dette était pourtant, fin 2009, de
115 % du PIB, reste à l’abri des turbulences ? De fait, seule 34 % de sa dette
est possédée par des non-résidents.
De même, la dette britannique, qui explose pourtant, n’est
internationalisée qu’à hauteur de 28 %, et, hors UE, l’américaine à 50 % et la
japonaise (plus de 200 % du PIB) à moins de 5 %...
Et la France ? Sa dette n’est détenue qu’à 55 % par des non-résidents,
mais elle possède la dette la plus internationalisée, puisque 45 % de celle-ci
appartient à des établissements hors zone euro.
Autrement dit, les « marchés » qui déstabilisent la zone euro, ce sont,
pour l’essentiel, nos propres banques qui ont pourtant été sauvées par
l’endettement des États qu’elles leur reprochent désormais.
Ce sont elles qui mettent en péril, au nom de la défense de l’épargne
qu’elles collectent, l’économie de ces pays, voire la survie de la monnaie
unique.
http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2010/11/la-zone-euro-rong%C3%A9e-de-lint%C3%A9rieur.html