L’esprit libertarien américain
Exigez le respect de vos droits et libertés
Commençons par mentionner que le terme « libertarien » n’a rien de commun avec celui de « libertaire », ces deux termes sont aussi éloignés l’un de l’autre que Daniel Cohn-Bendit l’est de Ron Paul. Les premiers sont des conservateurs et les seconds en France sont mit dans la catégorie des progressistes.
Pour ceux qui sont peu au fait des spécificités américaines, disons que c’est un libéral-populisme. Etrange rapprochement de termes qui, dans les catégories françaises, semblent totalement irréconciliables. Mais rapprochement qui, aux USA, fait sens : un libertarien est partisan de la liberté individuelle, et même de l’individualisme, mais aussi de la défense du peuple contre les puissances d’argent, le ciment de cette alliance a priori impossible (d’un point de vue français) étant l’individualisme organique défendu par la Constitution des Etats-Unis.
Ce courant incarne la permanence dans l’histoire des États-Unis d’un esprit pionnier et indépendant qui exprime un aspect essentiel de l’idéal américain : La refondation d’un homme qui, à la fois rebelle aux injonctions de la société et fidèle aux valeurs morales, parviendrait par ses propres moyens à retrouver sa juste place dans la nature.
Aux USA, la constitution avec un grand « C », joue pratiquement le rôle d’une personne artificielle du Souverain – une autorité symbolique, dont la fonction politique n’est pas sans évoquer l’écho religieux du principe protestant d’autorité de l’Ecriture.
Les libertariens préconisent d’utiliser la Constitution, en revenant à son esprit initial (donc avant Lincoln, et surtout avant Theodor Roosevelt), pour refonder un système de pouvoir appuyé sur les localismes, contre le centralisme capté par l’oligarchie impérialiste. Là encore, la démarche peut surprendre un Français : En France, le localisme est vu en général comme une menace contre la puissance protectrice de l’Etat-nation. Mais il faut se souvenir que les USA ne sont pas un Etat-nation, en tout cas pas au sens européen du terme. Il existe une « nation » américaine, mais ce n’est pas une « nation » au sens européen du terme. Il existe un Etat américain, mais ce n’est pas un Etat au sens européen du terme. La tradition américaine est très différente de la Française : là-bas, l’Etat est vu non comme le protecteur des citoyens, mais comme une menace sur les libertés.
Pour illustrer ce phénomène, il y’ a l’affaire « Bundy Ranch » au Nevada, une crise sans précédent opposant « We, the people », au gouvernement fédéral qui a défrayé la chronique au mois d’avril aux USA dont les détails sont expliqués dans cet article.
La population locale a commencé à manifester son hostilité au gouvernement fédéral qui règne au loin et qu’elle considère comme étranger.
Les fédéraux ont commencé littéralement un siège et ont établi un cordon de sécurité autour des lieux à l’aide des agents armés jusqu’aux dents et même des blindés et des hélicoptères.
Dès que la nouvelle a été connue, un mouvement populaire s’est organisé, des milices de partout aux États-Unis ont décidé d’aller se déployer sur place, avec armes et bagages.
Aux États-Unis, il est légal pour les citoyens de s’organiser en milices de volontaires, de s’entraîner et de disposer d’armes modernes. Ces milices généralement très conservatrices sont extrêmement méfiantes envers le gouvernement fédéral.
Quand il a été su que des snipers avaient été déployés pour intimider des protestataires, les miliciens ont aussi déployés les leurs.
En haut : sniper tenant en joue les protestataires
En bas : sniper miliciens en position de tir vers les forces fédérales.
Cette crise s’est soldée par la défaite du gouvernement fédéral états-unien, qui n’a pas voulu risquer un affrontement qui aurait probablement, littéralement, mis le feu aux poudres, le gouvernement fédéral n’est pas prêt à livrer une guerre civile qui commencerait par un mouvement sécessionniste rapide et brutal après des affrontements armés et sanglants.
En 2011, en Arizona, des anciens militaires et vétérans de guerre ont décidé de se regrouper en milices armées afin de protéger les manifestants d’occupy wall street contre les abus des forces de l’ordre. Leur projet : ouvrir le feu sur les policiers qui ne respecteraient pas le Droit et la Constitution américaine (amendement 1 et 2).
Cela peut choquer en France mais ce genre d’ initiative a le mérite d’équilibrer le rapport de force entre les manifestants (non armés) et la police (armée) dans un pays où le port d’arme constitue un droit sacré constitutionnel qui est censé permettre aux citoyens de se préserver de la tyrannie.
Et aussi, si la répression policière ne violait pas délibérément les droits élémentaires par la force et la violence, les milices n’auraient pas lieu d’agir.
On peut noter qu’il existe une certaine convergence entre ce mouvement libertarien conservateur et les mouvements progressistes d’extrême gauche sur la protection des libertés fondamentales.
Les Américains, pour des raisons culturelles très profondes, ne vont pas opposer au mondialisme le même type de résistance que les européens. Leur mode de résistance, c’est la défense des autonomies locales par le droit constitutionnel et dans le cadre de la Constitution, contre le centralisme qui sert de base à l’impérialisme.
L’impérialisme américain est vu par ce courant comme une stratégie visant, en entraînant les USA vers l’aventure extérieure et la ruine économique, à détruire la Constitution des Etats-Unis, pour rendre possible un véritable coup d’Etat, et la confiscation du pouvoir par une oligarchie s’appuyant sur l’Empire pour détruire la Nation.
Bien comprendre ceci : il ne s’agit pas démanteler la souveraineté des USA, mais au contraire de la faire vivre à travers la déconcentration des pouvoirs. Il y a là une nuance très importante, et sans doute difficile à saisir pour un Français : aux USA, la force qui dissout la souveraineté veut le centralisme et l’éclatement, et la contre-force qui refuse la dissolution de cette souveraineté veut la déconcentration et la Constitution. Les catégories françaises ne permettent tout simplement pas de penser de manière adéquate les catégories américaines.
Pour résumer leur idéologie, elle se caractérise par :
- la méfiance à l’égard des oligarchies (financières et bureaucratiques) ;
- la volonté de refonder la souveraineté nationale, en particulier en matière commerciale (en faisant sortir les USA de l’OMC ) et financière (en fermant la FED avec rétablissement de l’étalon-or à la clef) ;
- le refus des législations liberticides (abolition du Patriot act) ;
- la défense de la famille (y compris dans son droit à choisir l’éducation reçue par les enfants) ;
- la volonté de mettre fin à l’Empire américain, avec le retour au pays des troupes US présentes à l’étranger. Ils veulent en général d’une Amérique qui s’occupe de ses propres problèmes et cesse d’en créer dans le monde, recommandent que l’Amérique cesse d’aider Israël (ainsi que les ennemis d’Israël), et traite désormais l’Etat juif en pays certes non hostile, mais pas nécessairement allié.
On peut penser que leur foi dans l’individualisme américain comme moteur de progrès est une erreur, il se trouve encore aux Etats-Unis une majorité de gens qui ne voient pas que l’individualisme est le terreau du centralisme, lui-même terreau du totalitarisme. On pourra s’étonner que des Américains continuent à croire que le retournement de leur projet collectif contre sa pure expression provient uniquement de la perversion de ce projet, et non d’un vice inscrit dès l’origine dans sa matrice même.
Mais ce qu’on retient surtout, c’est qu’il existe une Amérique encore capable de se penser autrement que comme la plèbe de l’Empire, une Amérique profondément attaché à ses libertés fondamentales, une Amérique, donc, qui, si elle s’impose à la faveur du chaos, fichera la paix au monde.
Quant à savoir si cette Amérique trouvera son destin dans la reprise de son projet libéral et individualiste… ça, c’est le problème des Américains. S’ils veulent continuer à essayer leur voie spécifique, grand bien leur fasse ! Tout ce qu’on leur demande, c’est de l’essayer chez eux.
Sources
Scriptoblog , the revolutio a manifesto ( Ron Paul)
Tags : Etats-Unis
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