La plupart des observateurs se sont attardés sur la
dimension psychologique de Donald Trump et de Kim Jong-Un en omettant
l’essentiel, à savoir les tactiques déployées de part et d’autres. Car dans le
fond, c’est cette dimension là qui est importante dans les surenchères verbales
de ces derniers mois et non les
considérations rapides et superficielles sur leur prétendue folie.
Kim Jong-Un est déterminé à protéger la Corée du nord et le
régime qu’il dirige (si pas réellement, au moins institutionnellement et
symboliquement) et est persuadé qu’il ne peut le faire que par le développement
de l’armement non conventionnel nord coréen. A l’inverse, l’objectif de Trump (qui
fait écho à celui des administrations précédentes) consiste à amener le régime
nord coréen à cesser le développement d’armes de destructions massives et des
vecteurs balistiques longues portées susceptible de les transporter.
Théoriquement, Trump avait un éventail de choix pour
atteindre son objectif mais il a choisi la confrontation, ce qui lui a toujours réussit dans le monde
des affaires. C’est le jeu de « la poule mouillée ». Ceux qui ont vu
« the Apprentice » se souviendront que c’est le mode de négociation privilégié de
Trump : deux conducteurs lancent leurs voitures l’une contre l’autre en
accélérant, celui qui se dégonfle et s’écarte est le perdant. Il perd
précisément à cause de sa rationalité. Si un individu parvient à convaincre ses
concurrents qu’on ne peut le raisonner, il gagne. Le gagnant l’emporte parce
qu’il a su faire croire qu’il est complètement aveugle au danger et donc
irrationnel. Ironiquement, l’irrationalité devient un stratagème
rationnel. C’est une méthode de
négociation propre au milieu d’affaire newyorkais persuadé qu’ il convient d’avancer des
assertions de nature à déstabiliser la partie adverse en instillant en elle le
doute et la peur afin de pouvoir remporter la mise. En affaire, Trump s’est
toujours montré impulsif, erratique, belliqueux, revanchard, capricieux, peut
être s’agit-il de manifestations réelles de son tempérament narcissique mais
peu importe, ses postures, ses messages menaçants sont l’expression d’un calcul
rationnel. Trump applique au domaine de la politique des principes dont il a pu
éprouver l’efficacité dans les transactions financières, c’est un mode de
communication qu’il maitrise parfaitement. C’est ce qui explique son ton acerbe
et sa brutalité grossière et assumée envers Kim Jong-Un, il s’agissait de faire
plier le régime coréen par la terreur verbale et les déplacements de troupes,
il s’agissait de le faire renoncer aux armes nucléaires et engager des
négociations en position de force.
Seulement , le monde du business est très différent du monde
politique , ce n’est pas la même chose de menacer un rival de l’accabler de
milliers de poursuites judiciaires contre
lequel il devra se défendre à un cout ruineux qui le conduira à la banqueroute
à menacer un dirigeant politique d’une nation de 25 millions d’âmes du feu de
la colère nucléaire. Au contraire, ces
fanfaronnades et menaces étaient
complètement contre productives : non seulement le régime nord coréen ne
s’est pas dégonflé mais en plus cette rhétorique guerrière à laquelle il a
répondu avec la même agressivité (d’où la surenchère permanente dans les communiqués)
l’a convaincu de la nécessité absolue d’accélérer son programme de
développement d’armement non conventionnel en vertu du principe d’équilibre
de la terreur. Trump n’a pas compris
que dans le jeu de la poule mouillé appliqué à la dissuasion nucléaire,
l’acteur rationnel ne s’écarte pas, au contraire il accélère, il serait complètement irrationnel pour une puissance moyenne de renoncer à se doter
de capacités nucléaires stratégiques alors qu’elle est sous la menace d’une
grande puissance, puisque l’arme nucléaire a précisément pour fonction
d’égaliser les règles du jeu, Kim Jong-Un
n’est pas un crétin. Les messages enflammés de Trump n’ont fait que souder
les nord- coréens derrière leur gouvernement et stimuler leur fièvre guerrière.
Pire, ils ont effrayés les sud coréens qui
se sont vus obligé de tendre la main au nord pour ne pas finir en victime d’un
dérapage. Opportunité sur laquelle le nord a sauté pour tenir les Etats unis à
l’écart de futures négociation avec le sud. La rhétorique de Pyongyang a
complètement changé, Séoul n’est plus traité de pantins aux ordres des yankees et
est exhorté à régler les différents entre coréens et de l’autre coté la politique de Séoul diverge de celle de Washington.
Trump conservera certainement le mode de fonctionnement qui
lui a tant réussit en tant que chef d’entreprise mais dans un contexte politique,
ça s’avérera une faiblesse. Le match est loin d’être terminé mais sans même
parler des progrès technologiques nord coréens qui ont ébahit les communautés du renseignement, Kim Jong-Un
a remporté ce round haut la main, il a réussit à créer un désaccord entre la Corée
du sud et les Etats unis et à engager des négociations à ses propres
conditions. Etre qualifié de dirigeant réaliste et perspicace par Poutine, ce n’est
pas rien.