Eau contre pétrole : Benoît Gallerey, le fact-checkeur gausseur et... menteur
Benoît Gallerey, comme il se présente lui-même, est un « journaliste spécialiste des réseaux sociaux, pionnier du genre à la télé (LCI) puis à la radio (RTL) ». Il officie aujourd'hui sur BFMTV. Sa dernière chronique porte sur les théories complotistes qui se multiplient sur les réseaux sociaux au sujet de la sécheresse. Et notre pionnier va fort maladroitement essayer de nous présenter une information du journal Marianne comme une théorie du complot émanant de cerveaux malades sur la Toile...
Sécheresse : les théories complotistes se multiplient sur les réseaux sociaux - @bengallerey pic.twitter.com/BZ1p0UlMCh
— BFMTV (@BFMTV) May 12, 2023
La chronique commence très mal, quand Benoît Gallerey nous donne sa définition, toute personnelle, du scepticisme (appliqué au sujet de la sécheresse) : « Le scepticisme, c'est quand on contredit les données scientifiques sur le sujet. » Non, Benoît, ce n'est pas ça. Jusqu'à nouvel ordre, le scepticisme, c'est douter (des données scientifiques à ce sujet). Si on contredit les données scientifiques, on ne doute plus, on affirme une position hétérodoxe. Ce sont deux choses très différentes. Bref, cher Benoît, pour reprendre l'antienne camusienne, mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde... Et, en ces temps troublés, il n'est pas opportun d'ajouter au malheur du monde.
Passons sur la suite immédiate, où notre journaliste se gausse des crétins, dont certains doivent bien regarder BFMTV, qui contestent le réchauffement climatique (global et sur le long terme) car il a fait froid cet hiver dans leur pays, ou qui contestent la sécheresse parce que la météo a annoncé de la pluie durant le week-end (une pluie, aussi abondante soit-elle ces dernières semaines, qui ne devrait pas suffire à remplir les nappes phréatiques). De la pédagogie, sans raillerie, siérait mieux à votre noble fonction, très cher Benoît.
Mais place maintenant au croustillant. Écoutons le débunker gausseur :
Benoît Gallerey : Certaines de ces théories sont si répandues que l'AFP a même dû publier un démenti argumenté, regardez, un "Non, le gouvernement ne vole pas l'eau des Français pour l'échanger contre du pétrole au Moyen-Orient"...
Bruce Toussaint : Ah ! Ah ! Ah !
Benoît Gallerey : Vous riez, mais y a vraiment des chaînes YouTube très suivies qui affirment cela, sans trembler, et sont likées, très regardées. Imaginez un immense entonnoir caché sous l'Hexagone pour alimenter en douce les pays du Golfe. J'ai lu qu'il y avait des millions de mètres cubes envoyés en Arabie saoudite, hein, par exemple, en douce, là encore, comme l'eau.
Bruce Toussaint : On pourrait presque en rire si ça ne prenait pas tant d'ampleur en ligne.
Benoît Gallerey : On hésite en effet entre rire et pleurer...
Doit-on rire du rire gras de Bruce Toussaint ? Telle est la question. Un rire gras qui masque mal un gros mensonge. Car que nous disent nos deux olibrius ? Que ce sont ces maudits internautes (vous, nous), ces youtubeurs (malheureusement) très suivis, qui colportent en ligne toutes ces âneries. Les internautes seraient donc à l'origine de la rumeur folle selon laquelle le gouvernement français voudrait échanger de l'eau contre du pétrole ?
Lisons donc l'article de l'AFP, celui-là même sur lequel se fonde notre bon Benoît :
D'où viennent ces allégations ?
Tout est parti d'un article publié dans Marianne le 28 septembre 2022 (lien archivé ici). Le magazine révèle qu'au printemps 2022, un groupe d'hommes d'affaires mené par Xavier Houzel, négociant international en hydrocarbures, a rencontré plusieurs conseillers de l'Elysée et du gouvernement afin de leur présenter un projet visant à exporter l'eau turbinée de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas (Bouches-du-Rhône).
A l'heure actuelle, l'eau sortant de cette centrale est déversée dans l'étang de Berre. Problème, cet apport en eau douce perturbe gravement l'écosystème de la plus grande lagune méditerranéenne française. Depuis 2006 et une condamnation par la justice européenne, la centrale de Saint-Chamas est obligée de réduire son débit afin de limiter ces rejets.
Selon Xavier Houzel, cité dans Marianne, l'eau douce récupérée en aval de la centrale "doit d'abord servir à assouvir les besoins locaux, par la mise en bouteilles ou la création de réservoirs tampons destinés aux villes avoisinantes et aux agriculteurs. Une fois ces besoins satisfaits, si l'on pouvait faire tourner Saint-Chamas à 100% de ses capacités, cela laisserait encore un grand volume d'eau disponible", qui pourrait être troqué avec des pays en manque d'eau contre d'autres matières premières, dont du pétrole.
Selon Marianne, le projet d'un coût évalué à "300 millions d'euros", prévoirait ainsi de faire partir quotidiennement "19 tankers de 200.000 mètres cubes de Fos-sur-Mer" et "48 tankers de 80.000 mètres cubes du port de Lavéra", près de Marseille.
Lire la suite de l'article pour plus de précisions. Mais l'essentiel est là : c'est Marianne, un magazine pro, qui a lancé l'information, pas de méchants internautes sous pseudos, pas des complotistes fous, ce que le vaillant journaliste de BFMTV "oublie" de nous dire. Cela s'appelle un mensonge par omission. Qui permet à notre trublion de se payer à bon compte la tête de ses têtes de Turc préférées : les internautes s'exprimant en ligne, hors du contrôle des chiens de garde de son espèce.
Écoutons d'ailleurs une journaliste de Marianne nous présenter son enquête :
L'enquête de Marianne est à lire ici.
Il eût été plus délicat pour Benoît Gallerey de s'en prendre à ses confrères Emmanuel Lévy et Vanessa Ratignier, les deux enquêteurs, et de se gausser d'eux.
Il eût été aussi plus délicat de se moquer de Gabriel Amard, député de La France insoumise, membre de la Commission développement durable et aménagement du territoire, qui s'est fait l'écho de l'enquête de Marianne dans l'enceinte de l'Assemblée nationale :
"Alors que nous venons de connaître une terrible sècheresse, la présidence de la République envisagerait de troquer 4 milliards de m3 d'eau par an contre des hydrocarbures", dit @gabrielamard, en se référant à un article de Marianne. Il réclame l'abandon du projet. #DirectAN #QAG pic.twitter.com/7dK45NV1D9
— LCP (@LCP) October 11, 2022
La vidéo de Twitter buguant parfois, la voici sur YouTube :
Comme le note Marianne, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a confirmé que des rencontres avaient bien eu lieu au sommet de l'État, entre des porteurs de projet et des conseillers, pour discuter de la possibilité d'échanger de l'eau douce française contre des hydrocarbures étrangers. « Ce projet n'a pas franchi la barrière des conseillers et en aucune manière nous ne l'envisageons », a toutefois assuré le ministre.
En résumé, la "théorie" qui fait ricaner les preux journalistes de BFMTV n'émane pas des obscurs réseaux internétiques, mais d'un magazine reconnu, elle a été diffusée par un député, et confirmée par un ministre. Ce que les laquais de BFM taieront. Le projet "eau contre hydrocarbures" a bien existé. Il n'a seulement pas été retenu par les conseillers de l'Elysée et du gouvernement. C'est la seule chose que certains internautes imprudents ont négligé, ou n'ont tout simplement pas lu. Pas de quoi se foutre de leur gueule.
Tags : Information et Médias Internet Journalisme Pétrole et essence Web 2.0 Désinformation Changement climatique Réseaux sociaux Eau Conspirationnisme Zététique
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