Discours prononcé le mercredi 29 Janvier 2013 par Bruno Nestor AZEROT Député de la Martinique
Madame la Garde des Sceaux,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président,
Chers Collègues,
J’ai soutenu jusqu’à maintenant tous les projets et engagements de la
Gauche, mais il y a aujourd’hui une profonde confusion qui m’interpelle.
La liberté de conscience et de vote qui existe au sein de mon
groupe parlementaire, le GDR, me permet d’exprimer une voix qui est
celle d’un homme d’Outre-mer libre et j’en remercie mes collègues du
groupe dont les avis sont divers et très partagés sur ce texte.
Outre-mer, en revanche, la quasi-totalité de notre population est
opposée à ce projet qui bouscule toutes les coutumes, toutes les valeurs
sur lesquelles reposent nos sociétés ultramarines. Cette voix doit être
entendue et comprise. Et nous devons exprimer cette opinion de notre
population qui ne comprend pas ce qui se passe ici et maintenant.
Le
risque est en effet grand d’un profond désenchantement vis-à-vis de la
politique du Gouvernement, voire d’une « cassure morale »
irrémédiable…Car ce texte ne donne pas une liberté supplémentaire, il
fragilise le délicat édifice sur lequel se sont construites nos sociétés
antillaises et guyanaise après l’abolition de l’esclavage. Il y a même à
mon sens risque de rupture du Pacte républicain qui nous lie depuis
deux siècles à la France…
Cette question du mariage homosexuel appelle en effet de ma part des réflexions de fond.
Il est nécessaire de distinguer la question de l’homosexualité de celle
du mariage gay. Et la confondre comme l’ont fait certains orateurs
n’est pas honnête.
L’homosexualité est une pratique qui relève de la
sphère privée, c’est une réalité qu’il faut prendre en compte et
appelle des droits et une protection de vie privée pour ceux qui
pratiquent.
Le mariage gay et l’adoption pour les couples
homosexuels relèvent eux de la sphère publique en ce qu’ils bouleversent
la norme en vigueur en établissant une nouvelle norme en matière de
famille, de filiation, et de transmission patrimoniale.
Sur ce chemin-là, précisément nous ne pouvons suivre.
Peut-on parler en effet de progrès et de nouvelle liberté ?
A l’origine, en établissant le mariage comme institution, la société a
donné un cadre juridique à une donnée naturelle : l’union d’un homme et
d’une femme en vue de procréation d’un enfant. Peut-il en être de même
avec le mariage gay ? A l’évidence non…
Certes aujourd’hui le
mariage est plus un « mariage-sentiment », qu’un « mariage-procréation »
comme il était autrefois. L’enfant n’est plus la finalité du mariage ;
et des personnes hors du mariage peuvent au contraire avoir envie
d’enfant. Ou des couples stériles…
La question qui se pose est
donc de savoir plutôt si le sentiment doit devenir le sens nouveau et
unique du mariage, ouvert à tous les hommes et les femmes, fussent-ils
hétérosexuels ou homosexuels ?
Doit-on révolutionner ainsi le mariage en France et en Outre-mer au risque de perdre nos valeurs fondamentales ?
Allons-nous vers cette société où l’individualisme hédoniste remplacera
nos vieilles doctrines personnalistes et socialistes fondées sur la
solidarité, la liberté, l’égalité ?
La famille, pivot de notre
société depuis les Constituants et la Révolution Française, depuis
l’émancipation de 1848, va-t-elle exploser ? Au sens littéral du terme…
Notre responsabilité est grande devant l’histoire.
Moi,
homme issu d’un peuple opprimé, réduit en esclavage,
où le système social était un système qui refusait à un homme et à une
femme de pouvoir avoir un enfant et de se marier légitimement,
où le mariage était interdit et fut une conquête de la liberté,
j’affirme le droit à l’égalité dans la différence et non dans le même, le semblable, l’unique !
Car enfin, au nom de l’égalité, du refus des discriminations, peut-on établir une équivalence entre tous les couples ?
Je crois au contraire que l’on ne peut mettre fondamentalement sur le
même plan hétérosexualité et homosexualité. Un homme et une femme, ce
n’est pas pareil que deux hommes ou deux femmes ensemble. Etablir une
équivalence, une nouvelle égalité, une nouvelle norme, c’est nier la
réalité ; c’est rétablir une oppression en confondant genre, sexe, et
pratique.
C’est un diktat de la pensée contre l’humanité vitale… et les Droits de l’Homme,… et de la femme.
Refuser cette différence naturelle,
c’est refuser la différence sexuée.
C’est déjà revenir sur l’oppression de la femme et de ses droits émancipés.
C’est instaurer une nouvelle contrainte !
Oui, car il sera interdit de faire la différence désormais entre un homme et une femme, au risque d’être discriminatoire….
Et l’enfant ! puisque deux hommes ou deux femmes ne peuvent procréer,
que va t-on faire ? Car pour procréer, il faut bien un homme et une
femme.
Donc, inéluctablement, il y aura recours à la
procréation médicale assistée car ce désir d’enfants est légitime. Mais
ce n’est pas le Droit qui refuse aux homosexuels d’avoir un enfant :
c’est la Nature. Alors, pour pallier ce problème de stérilité et
d’incompatibilité, on aura recours à la PMA…
Où est donc le progrès
social ? Où est la liberté nouvelle ? Comment voulez-vous qu’un homme
dont les ancêtres ont été vendus et « chosifiés » ne soit pas inquiété
par cela ?
La Gauche a le pouvoir dans cette assemblée. Je suis
un homme de Gauche. Mais parce que je suis de Gauche, je préfère
l’humain et l’humanisme à ce que sous-tend ce texte.
Alors qu’un
tiers des hommes et des femmes d’outre-mer est sous le seuil de
pauvreté, que notre PIB est d’un quart inférieur à celui de l’hexagone
et que 60% des jeunes de moins de 25 ans sont toujours au chômage, n’y
avait-il pas d’autres priorités ?
Que dirai-je à ce jeune
martiniquais qui, entré dans la délinquance, est sans travail, dont les
parents sont aussi sans emploi, est sans logement, et n’a pas de quoi se
nourrir, qui n’a pour seule alternative que de récidiver pour pouvoir
être reconduit en prison pour avoir enfin un toit et à manger ?
Que
lui dirai-je demain ? Que je lui ai offert en tant de Législateur une
grande liberté… non pas du travail, non pas un logement, non pas un
avenir décent et un espoir de vie… mais le mariage pour tous !
A
mon grand regret, mais avec ma conviction d’homme engagé et libre de
Gauche, je ne voterai pas ce projet qui est attentatoire aux libertés et
ne répond pas aux aspirations profondes du peuple. En particulier
Outre-mer…
Je vous remercie.