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Commentaire de Po-houen Wou-jen ????

sur Patrick Rambaud : "Le maître"


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Le fou de T'chou Po-houen Wou-jen ???? 5 mars 2015 23:04

   @gaijin


   Permettez-moi de répondre à vos propos. 

    Il (J.F. Billeter) dit exactement la même chose que moi :
il faut se distancier de la pensée occidentale pour saisir la pensée chinoise telle qu’elle est 

    Ce que vous dites est vrai dans l’absolu. Je rajouterais cependant, pour lever toute ambiguïté, que ce dont il s’agit ici, c’est de laisser de côté toutes nos idées pré-conçues, ou fausses idées que nous pouvons avoir, s’il l’on tient vraiment à apprendre quelque chose, quel qu’il soit. En d’autre mot, de savoir laisser de côté une partie de notre bagage (culturel), à commencer par les vêtements qui sont sales, lorsque nous sortons de chez nous... 

   En tenant compte des propos que vous avez tenu dans les commentaires précédents, j’ai toutefois peur que vous vous méprenez sur le personnage. Je me trompe peut-être. La démarche de J.F. Billeter nous invite effectivement à laisser de côté, en partie, la manière dont nous avons l’habitude de raisonner, c’est-à-dire comme un occidental. Et encore plus précisément, d’apprendre à se détacher des modes de représentations spécifiques à notre héritage culturel. Pourquoi faire ? Pour étudier dans le cas précis, comme il se doit, la culture chinoise. Mais il ne dit jamais que nous devrions faire fi de notre culture d’occidental, que nous devrions faire un vide complet dans notre esprit pour appréhender la culture chinoise, elle radicalement autre. Ce serait tout simplement impossible. La phrase est d’ailleurs erronée. La culture chinoise n’est pas radicalement différente de la nôtre. Elle a seulement d’autres points de repères, qu’elle a développé au fil du temps.

   Ce que nous propose de faire J.F. Billeter n’est pas aussi aisé qu’on pourrait le croire. Pour avoir une bonne démarche d’apprentissage, il faut certes savoir laisser de côté les idées que nous tenons, par habitude, pour juste. Mais cela ne signifie pas pour autant tout laisser derrière nous. L’expérience proposée n’est pas radicalement autre. La Chine n’est pas une exo-planète. Ce que s’attache à faire ce monsieur, c’est d’identifier, avec acuité, les points de convergence entre tel aspect rencontré, et tel aspect contenu dans notre bagage culturel d’occidental. Pourquoi. Parce que l’expérience décrite par un individu terrestre est la même pour tous. Cet individu à tout intérêt à établir des ponts, des passerelles entre ce qu’il connaît et ce dont il est confronté, pour faciliter l’appréhension de l’élément qui lui parait, au premier abord, inconnu. 

   Exemple. Lorsque vous l’écoutez, il rapproche sur certains points le Zhuangzi des écrits de Montaigne, de Novalis, de Pic de la Mirandole, ou encore de Paul Valéry. Par ailleurs, il invite aussi à faire le rapprochement entre la mystique chrétienne et la mystique taoïste. 

   Je vous propose une bête métaphore pour comprendre ce dont il retourne vraiment, parce que cela peut aller très loin comme mode de raisonnement. Je sais que vous connaissez tous cette image, mais je me permets de vous la redessiner à l’occasion, pour appuyer notre propos. Imaginez un poisson dans un bocal, l’eau représente alors la culture du poisson. Si vous ne mettez jamais votre poisson dans un autre bocal — qui a une autre température, une autre composition saline —, le poisson n’aura pas tout simplement qu’une vague idée du goût de son eau. Il est habitué au goût particulier de son nectar, et ne fait plus trop attention aux délicates sensations gustatives qu’elle contient. Mettez le alors dans l’autre bocal. Il va être affolé, excité devant un nouveau territoire à conquérir. Il se peut qu’il s’acclimate très bien, au prix de nombreux efforts. Mais il se peut qu’il s’acclimate très mal à ce nouveau milieu, à ce nouveau nectar qui lui donne des nausées... Laissez le mijoter un moment smiley Remettez le dans son bocal originel. Il va d’abord, dans un moment qui est très court, ne plus sentir du tout l’eau sur ses écailles, son corps ne sachant plus à quel type d’eau il doit se méfier... Puis, le poisson prend alors une grande bouffée d’air fraîche, il retrouve le doux nectar de son pays natal. Mais... il découvre alors sur ses papilles des sensations dont il n’avait depuis longtemps plus fait attention... Et ces sensations ne sont pas forcément très agréables... Ce qui peut le pousser à repartir. 

   Après, ne me faites pas dire que ce que je raconte c’est n’importe quoi, puisque je ne peux pas savoir ce que le poisson ressent réellement (petite réf. au dialogue entre Huishi et Zhuangzi sur le pont de la rivière Hao, pour ceux qui connaissent smiley ...)

   Vous avez bien compris où je veux en venir. Tout le monde a déjà vécu cela un jour. Le "point névralgique" proposé par J.F. Billeter, c’est tout simplement qu’il est assez ardu de savoir reconnaître, sur son palais, toutes les sensations gustatives d’une eau, lorsqu’on est habitué à boire cette dernière, qui irrigue tout notre corps. 

   Ceci-dit, et ce sera le mot de la fin, surement le plus important (comme quoi cela ne sert parfois à rien à tourner autour du pot), absolument toute la démarche de ce sinologue suisse est de réfuter le mythe de l’altérité, d’une Chine foncièrement différente. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a fait parlé de lui il y a quelques années avec un pamphlet intitulé : Contre François Jullien. 

   Oui, le mec il fait carrément un livre contre intel. Il faut avoir les couilles... Ce F.J. s’avère être le sinologue parisien le plus en vogue, surtout parce qu’il a écrit un nombre considérable d’ouvrages, bien volumineux, traduit en plusieurs dizaines de langues. (Il utilise un bon verbiage incompréhensible pour beaucoup...). Ce François Jullien, qui a une formation de "philosophie" (je mets en parenthèse, sous-entendu philosophie moderne) et en sinologie, a cru bon de propager l’idée le mythe de l’altérité. A savoir que la Chine est radicalement autre, incomparable, incommunicable. En fait, ce n’est pas le premier zozo à l’avoir fait, nombre de sinologue ont eu avant lui cette démarche, d’ailleurs trop. Mais le fait est qu’aujourd’hui, nous ne sommes plus en 1900. Mais en plus, il a le culot de faire de sa méthode un véritable paradigme  qui consiste à s’éloigner de la philosophie grecque en utilisant la pensée chinoise, pour pouvoir regarder, du dehors, la pensée occidentale

   Jean Lévi le nomme Jou-lien, le miroir de la vacuité .........

   Bref..... si vous voulez lire un ouvrage de J.F. Billeter, je vous conseille à 200% La Chine trois fois muette, aux édition Allia. C’est un très petit bouquin par la taille, mais grand par le contenu. Il y explique entre autre, selon lui, la réaction en chaîne qui nous a mené là où nous sommes aujourd’hui, dans notre monde occidental. Il parle de Venise, de la montée en puissance de la valeur marchande... Ce n’est pas un tableau complet, mais ses remarques sont très pertinentes. Enfin, il parle surtout du fait qu’aujourd’hui la Chine est trois fois muette. On ne l’entend parler ni de son passé lointain, ni de son passé récent, ni de son présent. Un vaste programme.

et il faut connaitre la philosophie en la mettant en pratique .....  

    Si je voulais vous taquiner, je vous dirai que votre phrase est redondante. La vraie philosophie, celle que nos ancêtres grecques pratiquait, était par nature pratique. C’est la réinterprétation de la philosophie, effectuée à l’époque moderne, le problème. Pensez aux travaux de Pierre Hadot... à la Culture de soi. 

   Sinon, en dehors des bouquins de Jean Lévi qui sont très bons, mais dans un autre style (Billeter et Lévi s’apprécient mutuellement, mais n’ont pas la même approche), je vous recommande Les corps dans le taoïsme ancien de Romain Graziani, qui présente encore un autre point de vue... Et qui s’inspire aussi des travaux de Billeter.


    Si vous n’êtes toutefois pas convaincu, je vous poserai une ultime question, en lien avec ce dont vous avez écouté...

    Est-ce que la sensation du corps émane de l’esprit, ou bien est-ce que c’est depuis le corps que surgit l’esprit ? 

   La dernière de cette vision serait-elle exclusivement chinoise, serait incomparable à notre tradition occidentale ? 
    

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