Bonsoir.
Il y’a une confusion dans le propos de Joe Chips
(toujours aussi intéressant à lire malgré nos fréquents désaccords)
entre souveraineté et Puissance. Et c’est à cause de cette confusion que sa
critique des souverainistes est en grande partie erronée.
Pour donner une illustration facile à
saisir : la puissance, c’est le calibre d’un flingue. La souveraineté,
c’est la capacité de décider de ce que l’on fait du flingue (on peut le garder
dans son étui, on peut le sortir et choisir de le pointer dans une direction ou
dans une autre, on peut l’utiliser pour négocier ou
pour tirer etc.). Si on a compris cela, on a compris l’essentiel
concernant la distinction entre ces deux concepts qui sont aussi des réalités politiques.
Pour ne pas en rester à
cette illustration simpliste : la souveraineté est la liberté de décider. La puissance, elle, est un concept beaucoup plus complexe qui fait
entrer en ligne de compte une multitude de paramètres (économiques, militaires
etc.) dont l’importance et la combinaison varient selon les moments voire les
lieux, elle est ce qui détermine la hiérarchie des acteurs d’un système
international en concurrence. Ainsi, la puissance n’est pas un absolu, son
utilisation implique une comparaison entre Etats aux capacités variables. Pour
le dire autrement, un Etat est toujours puissant par rapport à d’autres Etats,
la puissance en soi n’a pas de sens en politique.
Maintenant, il faut garder
ceci à l’esprit : un pays très haut dans la hiérarchie de la puissance
peut ne pas être souverain (c’est le cas de la France qui a perdue nombre de prérogative régalienne mais qui reste quoi qu’on en dise une des plus grandes
puissances mondiales, personne de sérieux n’arrivera à me citer dix Etats qui
sont plus puissants que la France). Inversement, et c’est plus difficile à
saisir intuitivement, un Etat au bas de la hiérarchie de la puissance peut être
souverain.
Une précision s’impose
pour pouvoir me faire comprendre avec clarté : je dis que puissance et souveraineté ne
sont pas indissociables mais je ne dis pas qu’il n’y a aucun lien entre ces
deux notions. Pour reprendre l’image du calibre , il est facile de comprendre
que celui qui a le plus gros calibre peut contraindre un acteur qui en a un plus petit , pour ce
dernier , ce manque de puissance peut poser problème car met en péril sa
souveraineté ( sa liberté de décider). Mais malgré ce rapport de force défavorable ,ce dernier peut conserver sa
souveraineté en diversifiant ses alliances avec d’autres Etats puissants et en
les mettant en concurrence les uns avec les autres pour se ménager des espaces
de liberté. Cette stratégie de neutralisation est vieille comme la politique,
c’est ainsi que les petites puissances survivent : par la ruse. L’aptitude
à manipuler plus puissant que soi fait partie de la force.
De là on comprend qu’avoir
des portes avions et des armes nucléaires permet sans aucune contestation
possible d’augmenter la puissance d’un Etat mais ce n’est pas un gage de
conservation de la souveraineté : on a vu des Etats militairement très
puissants ne pas être souverain car conquis de l’intérieur par d’autres
puissances sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré.
Pour revenir au cas
concret de la France, les souverainistes disent ceci : sans la liberté de
décider, on ne peut rien faire. Et je rajouterai qu’augmenter nos capacités
militaires ne changerait rien à cette situation. Muscler
notre secteur productif ? Une excellente idée mais comment on fait si on
n’est même pas libre de choisir de mener cette politique ? Poser les
conditions d’une politique de puissance ? C’est aussi très bien mais
comment je fais si ce n’est pas moi qui décide ? Modifier l’idéologie
profonde des élites françaises en corrigeant notre mode de formation des
élites ? Superbe proposition, comment faire si ce sont des entités qui ont d’autres
intérêts de celui de la France qui sont aux manettes du processus de
sélection ? Et je n’exonère pas du tout ce peuple qui vote pour les mêmes
politiciens depuis des décennies de ses responsabilités, nous sommes les
premiers responsables de cette situation, je ne vais pas m’étendre là-dessus,
c’est une lapalissade. Mais je veux dire ceci : sans la capacité d’agir et de faire, la
problématique la conception d’une stratégie de puissance est impossible. Pour pouvoir, il faut d’abord être souverain,
c’est une question de bon sens. Dans nos conditions, comment s’étonner de
l’attribution de marchés public à une
boîte étrangère alors qu’on n’est pas souverain ?
Les souverainistes posent
ces questions qui sont fondamentales : si ce corps politique appelé France
existe vraiment, est ce qu’il décide de sa destinée ? Si la réponse est
non, c’est qu’ il y’a d’autres entités qui décident à sa place. Alors que
faire ? Réponse : retrouver avant tout la volonté de décider de ce
que l’on veut faire. Ensuite on peut recouvrer la capacité de décider de ce que l’on veut faire.
Voilà le plus petit commun dénominateur des souverainistes : chercher à ce
que le corps politique français puisse décider de ce qu’il veut faire. Nous ne
détenons pas 50 % de notre dette ? La souveraineté, c’est la capacité de
décider de ce qu’on fait de cette dette dans nos intérêts (parce qu’il y’a
plusieurs options, je ne vais pas m’étendre là-dessus), sans liberté de décider
ce sont d’autres qui décideront pour nous au bénéfice d’intérêts qui ne sont
pas les nôtres.