On voit bien
que ce qui frustre Oukacha, c’est qu’en lisant cette charte, il ne voit qu’une
succession de principes qui sont énoncés alors qu’il préférait que les auteurs
expriment leur sentiment. Par exemple, la phrase « D’un point de vue
constitutionnel, tous les citoyens quel que soit leur religion, leurs croyances
ou leurs convictions philosophiques, sont égaux ». Oukacha souhaiterait
que les auteurs expriment leur approbation de l’égalité en dépit de la
différence religieuse alors que ces derniers expriment simplement leur adhésion
au principe dans cette charte.
En fait, Oukacha
semble ne pas comprendre quelque chose de fondamental :
la République n’est pas une communauté de sentiments mais une collectivité
fondée sur des principes et ce n’est que parce qu’elle est organisée autour de
ces principes que nous pouvons faire maison commune indépendamment de nos
sentiments. Le principe relève de l’organisation collective alors l’expression
d’un sentiment relève de l’individu. Attention, je ne dis pas qu’il n’existe
pas dans notre communauté nationale d’affects ou de sentiments partagés, ce
serait absurde, mais ces derniers ne fondent pas notre régime politique.
Par exemple,
monsieur Dupont peut très bien avoir le sentiment que les témoins de Jéhovah
sont des abrutis et que leur abrutissement en fait des êtres inférieurs. Et c’est
son droit de le penser et même d’exprimer son sentiment personnel. Mais cela ne
veut pas dire qu’il n’adhère pas au principe selon lequel ces témoins de Jéhovah
doivent être traité comme les autres citoyens par notre constitution. Même s’il
a le sentiment que ce sont des êtres inférieurs, il peut tout à fait adhérer au
principe d’égalité constitutionnelle qui s’applique à tous, y compris à eux.
Un autre
exemple encore plus facile à comprendre : le principe de liberté d’expression. En
ce qui me concerne, j’ai une répugnance très profonde pour les carricatures de
Charlie Hebdo qui représentaient les soldats morts au Mali juste après leur décès, j’ai le sentiment
qu’il faudrait être inhumain pour ne pas avoir la moindre considération pour les
familles des victimes. Et pourtant, parce que j’adhère au principe de liberté d’expression,
je considère qu’ils ont le droit de faire ces carricatures. Ce n’est pas parce
qu’on adhère au principe de liberté d’expression qu’on ne peut pas avoir de
sentiment très négatif vis-à-vis d’une expression. De la même manière, ce n’est
pas parce qu’on adhère au principe d’égalité devant la loi qu’on ne peut pas
avoir le sentiment que certains sont supérieurs ou inférieurs, il n’y a pas de
contradiction.
On voit donc
que principes et sentiments se situent à deux niveaux différents. Tous les
reproches que Oukacha fait sur le fait que les auteurs de la charte n’ont pas
exprimé leur plaisir à ceci ou cela n’ont donc pas lieu d’être.