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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Confucius contre Lao-tseu

Confucius contre Lao-tseu

Les deux principaux courants de la pensée chinoise, le taoïsme et le confucianisme, se sont souvent disputé sur la question de l'engagement politique. Alors que le confucianisme fait de la participation à la marche du royaume la fonction essentielle du lettré, les taoïstes n'ont aucun scrupule à se faire ermites dès lors que le pays a perdu la Voie. Dans cette présentation, Anne Cheng, sinologue émérite et titulaire de la chaire "Histoire intellectuelle de la Chine" au Collège de France, nous présente le fondement de cette opposition.

 

Confucius est considéré comme le penseur qui a eu l’influence la plus marquante sur la civilisation chinoise, un équivalent asiatique de Socrate, qui partage avec lui la particularité de n’avoir jamais mis par écrit les propos qui lui sont attribués aujourd’hui. Son enseignement repose sur le perfectionnement moral de l’individu, qui s’opère par la pratique des rites et par la poursuite incessante de l’étude, c’est-à-dire par l’acquisition de connaissances immédiatement mises en pratique. Pour Confucius, la vertu du sage ne trouve sa raison d’être que mise au service d’un souverain, assistant ce dernier dans l’accomplissement du "décret du Ciel", ce qui implique une observance scrupuleuse des convenances liées à la hiérarchie sociale.

 

Le taoïsme, quant à lui, est une doctrine qui vise à atteindre le Tao, c’est-à-dire le principe par lequel toutes les choses adviennent naturellement. Le "saint" taoïste qui a trouvé le Tao pratique le non-agir : il produit un effet dans le monde sans entrer en interférence avec le cours harmonieux des choses. Alors que le sage confucéen s’enrichit et se perfectionne perpétuellement par l’étude, le saint taoïste se dépouille progressivement de tout ce qui peut entacher sa spontanéité naturelle et l’éloigner du non-agir.

 

 

La divergence de vues entre taoïstes et confucianistes influence aussi bien la conception individuelle du cheminement intellectuel et spirituel que les considérations politiques sur la meilleure façon de gouverner. Dans le Tao-te king, le "livre de la Voie et de la Vertu" attribué à Lao-tseu, le royaume est bien gouverné dès lors que le peuple est maintenu dans l’ignorance et la satiété, la glorification des vertus sociales et morales ne faisant qu’opérer une séparation néfaste au sein de ce qui est confondu dans l’unité primordiale du Tao. Si un pays a perdu la connection avec la Voie (le Tao), le saint taoïste ne peut que s’exposer à la souillure en restant dans le monde, et préservera plutôt son intégrité en vivant au contact de la nature. Pour le confucianiste, en revanche, le sage doit participer en toute circonstance à la vie politique. Dans un régime corrompu, celui-ci mettra tout en oeuvre pour remettre le gouvernement dans le droit chemin, même si cela lui vaut de ne recevoir aucun honneur officiel. Confucius a d’ailleurs cherché toute sa vie le monarque idéal chez qui il aurait pu exercer ses talents sans se compromettre.

 

Cet aspect de la polémique apparaît dans l’anecdote suivante, présente dans les Entretiens de Confucius ( XVIII.6.)

 

"Tch’ang Ts’iu et Kie Gni s’étaient associés pour cultiver la terre. Confucius, passant en char auprès d’eux, envoya Tzeu lou leur demander où était le gué¹. Tch’ang Ts’iu dit : « Quel est celui qui est dans le char et tient les rênes ? – C’est Confucius », répondit Tzeu lou. « Est-ce Confucius de la principauté de Lou ? » reprit Tch’ang Ts’iu. « C’est lui », dit Tzeu lou. Tch’ang Ts’iu remarqua : « Il connaît le gué. »

 

Tzeu lou interrogea Kie Gni. « Qui êtes-vous ? » dit Kie Gni. « Je suis Tchoung lou », répondit Tzeu lou. Kie Gni dit : « N’êtes-vous pas l’un des disciples de Confucius de Lou ? – Oui », répondit Tzeu lou. « Le monde, dit Kie Gni, est comme un torrent qui se précipite. Qui vous aidera à le réformer ? Au lieu de suivre un gentilhomme qui fuit les hommes², ne feriez-vous pas mieux d’imiter ceux qui fuient le monde et vivent dans la retraite ? » Kie Gni continua à recouvrir avec sa herse la semence qu’il avait déposée dans la terre.

 

Tzeu lou alla porter à Confucius les réponses de ces deux hommes. Le Maître dit avec un accent de douleur : « Nous ne pouvons pas faire société avec les animaux. Si je fuis la société de ces hommes³, avec qui ferai-je société. Si la Voie régnait dans le monde, je n’aurais pas lieu de travailler à le réformer. "

 

1. Pour passer la rivière.

 

2. Qui cherche partout des princes et des ministres amis de la vertu, et qui, n’en trouvant pas, passe sans cesse d’une principauté dans une autre.

 

3. Des princes et de leurs sujets.

 

La tendance inverse se trouve chez Tchouang-tseu, qui vante l’attitude du sage qui fuit les charges officielles pour suivre librement les élans de son coeur et trouver la sérénité. L’anecdote suivante illustre bien cette tendance (Tchouang-tseu, XVII) :

 

"Comme Tchouang-tseu pêchait à la ligne au bord de la rivière P’ou, le roi de Tch’ou lui envoya deux de ses grands officiers, pour lui offrir la charge de ministre. Sans relever sa ligne, sans détourner les yeux de son flotteur, Tchouang-tseu leur dit : J’ai ouï raconter que le roi de Tch’ou conserve précieusement, dans le temple de ses ancêtres, la carapace d’une tortue transcendante sacrifiée pour servir à la divination, il y a trois mille ans. Dites-moi, si on lui avait laissé le choix, cette tortue aurait-elle préféré mourir pour qu’on honorât sa carapace, aurait-elle préféré vivre en traînant sa queue dans la boue des marais ? — Elle aurait préféré vivre en traînant sa queue dans la boue des marais, dirent les deux grands officiers, à l’unisson. — Alors, dit Tchouang-tseu, retournez d’où vous êtes venus ; moi aussi je préfère traîner ma queue dans la boue des marais."

 

Cette problématique n’a aujourd’hui rien perdu de son actualité. La question se pose toujours de savoir si, au sein d’un Etat corrompu, l’homme de bonne volonté doit tenter par tous les moyens de redresser la situation en s’investissant dans la vie publique, ou s’il doit plutôt préserver son intégrité en s’écartant des affaires mondaines, et jouir égoïstement de sa liberté. Nous avons vu que ces deux conceptions opposées reposent sur des présupposés différents : alors que l’option taoïste s’appuie sur une vision transcendante des choses, le confucianiste reste étranger à toute métaphysique et ne prend pas en compte ce qui sort du cadre social. Si le premier semble désinvolte, le second peut paraître trop rigide. Le juste milieu consisterait peut-être à bien reconnaître, tout en distinguant, ce qui est de l’ordre du transcendant et ce qui est de l’ordre du social, et de donner à chaque domaine sa juste part.

 

Tags : Chine Philosophie




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113 réactions à cet article    


  • 2 votes
    howahkan hotah Buddha hotah 12 février 2014 12:32

    encore un conflit de plus.......y’en a pas assez ????


    • 8 votes
      Rounga Rounga 12 février 2014 12:44

      Les conflits sont là pour qu’on les résolve, pas pour qu’on les évite.


    • 1 vote
      howahkan hotah Buddha hotah 12 février 2014 13:14

      Salut je comprends oui mais pas pour moi ,les conflits doivent être compris en profondeur et non pas pensés en profondeur , conflit = problème = souffrance, l’ énergie qui est derriere la souffrance est le seul catalyseur que nous ayons pour ne plus penser la vie mais vivre la vie dont les problèmes ..et si solution il y a ,elle sera montrée par la compréhension profonde du conflit et jamais par la résolution aveugle de celui ci car sans rapport avec le cœur du conflit.....

      long sujet...salutations


    • 4 votes
      Qaspard Delanuit Qaspard Delanuit 12 février 2014 13:21

      "Les conflits sont là pour qu’on les résolve, pas pour qu’on les évite"


      Espèce de confucéen ! smiley

    • 1 vote
      howahkan hotah Buddha hotah 12 février 2014 13:27

      en fait il me semble qu’on ne fait qu’éviter tous les problèmes-conflits en fonçant dans des solutions...sans jamais savoir la racine des dits problèmes....a titre personnel et aussi global .....


    • vote
      howahkan hotah Buddha hotah 12 février 2014 13:28

      euh cela dit, le sujet me semble intéressant ca me rappelle mes années 1970....on lisait ça à l’école...


    • 4 votes
      Éric Guéguen Éric Guéguen 12 février 2014 12:59

      Merci Rounga pour ce passionnant sujet. Je connais bien Anne Cheng pour avoir écouté tous ses cours au Collège de France. Je vous donne mon point de vue dès que possible.


      • vote
        micnet 12 février 2014 13:13

        Superbe article, très intéressant ! Le parallèle entre Confucius et Socrate est très bien vu !


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          Rounga Rounga 12 février 2014 13:24

          Et je peux même prolonger ce parallèle : Tchouang-tseu, dans son œuvre, n’a de cesse de tourner Confucius en dérision, le mettant en scène dans des situations où il est édifié par un maître taoïste dont la sagesse est supposée supérieure. Le reproche que fait Tchouang-tseu à Confucius, c’est de suivre une voie qui a pour résultat de se couper du principe premier, le Tao, en exaltant des vertus morales qui ne font qu’éloigner les hommes de leur spontanéité première. Or, je retrouve dans ce reproche une forte similitude avec celui que Nietzsche fait à Socrate : celui d’avoir sorti la forme (côté apollinien) de l’informe (côté dionysiaque), et d’avoir mis en valeur une morale qui bride les instincts des individus. Cela renvoie à l’article que Eric Guéguen a posté récemment.


        • 3 votes
          Éric Guéguen Éric Guéguen 12 février 2014 13:28

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          Gollum Gollum 12 février 2014 13:49

          Or, je retrouve dans ce reproche une forte similitude avec celui que Nietzsche fait à Socrate : celui d’avoir sorti la forme (côté apollinien) de l’informe (côté dionysiaque), et d’avoir mis en valeur une morale qui bride les instincts des individus. Cela renvoie à l’article que Eric Guéguen a posté récemment.


          Il y a similitude mais ça s’arrête là. Nietzsche vise la part animale de l’homme, les instincts, le dionysiaque.. Lao-Zi vise l’union du Ciel et de la Terre, le non-agir étant l’action suprême fécondée par le Ciel. Ce qui implique détachement et renoncement à soi, alors que Nietzsche veut libérer les instincts afin d’exalter l’homme.. 

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          erQar erQar 12 février 2014 20:11

          @Rounga
          -
          mis en valeur une morale qui bride les instincts des individus
          -
          Attention, la morale est ce qui fait la différence entre l’homme et l’animal.
          -
          Mais aussi dans la réflexion, il faut ajouter que dans le règne animal, les animaux tuent pour leur survie tandis que l’homme tue parfois uniquement par plaisir.
          -
          Attention, je ne dis pas que nous sommes complètement différents des animaux.


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          Gollum Gollum 12 février 2014 13:43

          Intéressant cette dialectique entre Kong Fou Tseu et les Taoïstes..


          Première remarque. Pour Guénon, Confucius correspond à la voie exotérique alors que le Taoïsme est d’emblée ésotérique.

          Je ferai remarquer aussi que Confucius en prônant la culture de l’individu est plus proche de l’esprit occidental que du véritable esprit chinois qui à mon sens est celui des Taoïstes.

          Que disent les Taoïstes ? Qu’il faut cultiver le non-agir (Wu Wei) qui n’a rien à voir avec la passivité telle que la comprendrait un occidental, au j’m’en foutisme..

          Non, le non-agir, c’est diminuer l’homme pour que le divin circule à l’intérieur de celui-ci et que ce soit celui-ci qui agisse, à la place de l’homme.

          En fait cela correspond à l’homme intérieur de Saint-Paul : "ce n’est plus moi qui agit, c’est Christ qui agit à travers moi". Bref, l’idéal chrétien et l’idéal taoïste sont les mêmes.. Réduire la part de l’humain et de l’ego pour laisser la place au divin, qui lui seul est habilité à agir et qui sait, véritablement, ce qu’il est bon de faire..

          La dialectique chinoise du Yin et du Yang d’ailleurs correspond à la même logique sous-jacente dans les Évangiles..

          "Celui se met en avant sera diminué" "les premiers seront les derniers", etc.. qui dévoilent une logique non-linéaire et qui est la même que celle que Lao-Zi propose..

          Suffit de lire le Tao-Te-King pour s’en apercevoir..

          La conférencière prône un équilibre entre les deux façons de voir. Non. La façon de voir taoïste est supérieure. Simplement, pour y arriver il faut d’abord se cultiver soi-même, donc suivre la voie confucéenne de culture de l’individu, à condition de savoir que cela aura une fin et que l’on aboutira dans une façon de faire qui soit celle du détachement et du non-agir..

          D’ailleurs la logique taoïste veut que pour avoir un esprit taoïste il faut d’abord faire le contraire…

          Donc le Taoïsme est le meilleur système philosophique pour comprendre le christianisme de l’intérieur..

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            Rounga Rounga 12 février 2014 14:12

            Gollum,
            Je vous rejoint sur de nombreux points. Cependant, j’avoue que je doute souvent que Confucius soit vraiment resté au stade exotérique. La citation des Entretiens qui me pousse dans ce sens est celle que cite Anne Cheng. La dernière strophe "A soixante-dix ans je suivait les élans de mon cœur sans sortir du droit chemin", montre que le résultat de la voie confucéenne est finalement une libération de l’être par rapport aux règles. L’observance des rites a pour but d’orienter le cœur de l’individu vers la bonne voie, mais elle n’est pas une finalité en soi. Un commentateur de Lao-tseu, Wang Bi, au IIIème siècle avant J.C., faisait la remarque suivante :
            "Confucius a fait corps avec le principe suprême inconditionné, lequel est ineffable, c’est pourquoi il n’en parle pas, tandis que Lao-tseu évolue encore dans l’être, c’est pourquoi il ne cesse de s’en gargariser."
            Ce qui est en accord avec le passage suivant des Entretiens (XVII.18.) :
             Le Maître dit : « Je voudrais ne plus parler. – Maître, dit Tzeu koung, si vous ne parlez pas, qu’aurions-nous, vos humbles disciples, à transmettre ? » Le Maître répondit : « Est-ce que le Ciel parle ? Les quatre saisons suivent leur cours ; tous les êtres croissent. Est-ce que le Ciel parle jamais ? »


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            Alexandre Banquet 12 février 2014 16:35

            Gollum

            Il est très fructueux de comparer Christianisme et Taoïsme, et vos comparaisons sont intéressantes. Mais je pense que vous vous trompez complètement, pour plusieurs raisons dont la principale est celle-ci : vous faites comme si les questions de Dieu et du Tao, de la Voie, n’avaient aucune importance dans l’équation. 
            Vous dites du Wu Wei "C’est diminuer l’homme pour que le divin circule à l’intérieur de celui-ci, et que ce soit celui-ci qui agisse". Quel divin ? Le Tao n’est pas Dieu. Le Tao c’est profondément... personne. le Wu Wei ce n’est pas le non-agir pour qu’un Autre agisse à votre place, c’est votre devenir une fois que vous ne répondez plus a l’univers par la volonté, par l’intentionnalité, mais par la puissance(Te) spontanée du fond des choses, de la "nature"(Ziran). Ce n’est pas le divin qui doit "circuler", si cette image est appropriée, mais le Tao, dont le comportement ressemble plus à celui de l’eau qu’à Dieu. Pratiquer le Wu-Wei, c’est comme ne pas obstruer le lit d’une rivière car : "La grande Voie se répand comme un flot"(XXXIV, trad Leiris-Houang), ou"La Voie est comme une eau impétueuse"(Trad.J.Levi). 
            Plus largement, il n’est pas sûr que l’on puisse parler de métaphysique pour la pensée chinoise, et elle n’est pas dualiste. Nos catégories : Esprit et Matière n’y sont pas efficientes. Même à l’époque du Taoïsme en tant que tel, c’est à dire en tant que religion. Les êtres humains peuvent bien avoir 10"âmes"(Je vous renvoie à Maspero, "Le Taoïsme" en particulier). Cela engendre un clivage important entre les religions d’Abraham et la spiritualité chinoise.

            Vous dites : "La dialectique chinoise du Yin et du Yang d’ailleurs correspond à la même logique sous-jacente dans les Évangiles.."pardon, mais vous exagérez. Vous confondez l’éthique chrétienne, et la cosmologie chinoise...
            A la rigueur on peut associer Héraclite et son énantiodromie, et le Taiji.

            Par ailleurs, la "logique sous-jacente" des Evangiles, synoptiques et apocryphes, est difficile à saisir, en dehors de raconter Jésus/Dieu, d’inspirer la foi, et d’inviter à suivre son exemple.
            Il y aurait tant d’autres choses à dire sur les aspects irréconciliables du Christianisme et du Taoïsme de Lao-tseu. Le fait que celui-là soit une religion révélée, les différences de conception de la temporalité, etc...
             
            A propos de Confucius, et de ses Entretiens en particulier, il faut dire ici que Anne Cheng a soulevé le débat philologique, complexe, autour de cette question, et pour résumer une des idées de ce débat : la parole de Maître Kong telle qu’elle nous est parvenue, sous la forme des Entretiens, pourrait très bien être une construction opérée sous la dynastie des Han, pour donner au pouvoir impérial un socle idéologique. Donc, comme pour Socrate, Jésus, et même Lao-Tseu, mais peut-être dans une moindre mesure, l’intention initiale de Confucius a sûrement subi quelques distortions. Cela c’est du point de vue du texte, car au fond les pouvoirs chinois, et des pays sur lesquels la culture chinoise a rayonné, ont souvent utilisé les paroles de Confucius comme outils de fabrication du consentement. 
                

          • vote
            Gollum Gollum 12 février 2014 17:43

            Bonjour. Merci de votre apport.


            Je vais réagir à vos remarques.

            Vous dites du Wu Wei "C’est diminuer l’homme pour que le divin circule à l’intérieur de celui-ci, et que ce soit celui-ci qui agisse". Quel divin ? Le Tao n’est pas Dieu.


            Bien évidemment je fais usage de concepts occidentaux afin de bien me faire comprendre. Ceci dit si le Tao n’est pas Dieu il est quand même, il me semble, image de l’Absolu.

            L’analogie que je fais entre Saint Paul agit par Dieu (Christ ou Esprit Saint peu importe) et le sage chinois agit par le Tao me semble pertinente. Dans les deux cas il faut faire taire son individualité afin de laisser parler le Tout Autre.


            Le Tao c’est profondément... personne. Effectivement mais cette impersonnalité a existé chez quelques penseurs chrétiens. Je pense au dominicain Eckhart notamment.


            e Wu Wei ce n’est pas le non-agir pour qu’un Autre agisse à votre place, c’est votre devenir une fois que vous ne répondez plus a l’univers par la volonté, par l’intentionnalité, mais par la puissance(Te) spontanée du fond des choses, de la "nature"(Ziran).


            Pour moi cela revient au même. La nature au sens chinois n’est pas quelque chose d’imparfait bien au contraire. Rien à voir avec la nature telle que le conçoit un occidental, fruit du hasard et de la nécessité..


            Ce n’est pas le divin qui doit "circuler", si cette image est appropriée, mais le Tao, dont le comportement ressemble plus à celui de l’eau qu’à Dieu. 


            Tout a fait d’accord avec cette image fluide de l’eau. Mais en Occident on dit que Dieu écrit avec des lignes courbes (Paul Claudel si je ne m’abuse). Vous voyez donc bien qu’en Occident aussi on a conscience que la logique divine n’est pas une logique linéaire.

            Vous dites : "La dialectique chinoise du Yin et du Yang d’ailleurs correspond à la même logique sous-jacente dans les Évangiles.."pardon, mais vous exagérez.


            Non. Il est vrai que les Évangiles sont moins explicites quant à cette logique. Néanmoins, la logique non linéaire des Évangiles est bien perceptible : Si vous voulez être grand dans le Royaume de Dieu soyez le plus humble sur terre, ressemble fort au Qui s’incline sera redressé du chapitre 22 du Tao Te King et qui exprime la même idée. Du reste je ne suis pas le seul à avoir exprimé cette idée, bien d’autres se sont aperçus qu’il y avait là des affinités..



            Il y aurait tant d’autres choses à dire sur les aspects irréconciliables du Christianisme et du Taoïsme de Lao-tseu. Le fait que celui-là soit une religion révélée, les différences de conception de la temporalité, etc


            Je crois que cela semble irréconciliable si on reste à la surface des choses. Je pense qu’en profondeur il y a beaucoup de points communs. Mais certes, il y a de grandes différences.


             L’absence de révélation. Mais les Taoïstes s’expriment comme s’ils disaient la Vérité toute nue sans l’avouer de façon explicite. Eckhart quand il faisait ses sermons disaient des choses sur Dieu et il affirmait : ceci est la Vérité. Il y a donc une part de foi pour adhérer aux textes taoïstes. D’ailleurs Lao-Tseu disait : Quand le fou entend parler de la Voie il rit aux éclats. Seul l’homme doué (l’homme qui commence à percevoir les choses sous leur vrai aspect) peut comprendre le Taoïsme.


            L’absence du sacrifice. Mais cela concerne toutes les traditions asiatiques qui sont beaucoup plus dans la contemplation introvertie que dans l’action extérieure. Néanmoins le moine occidental, trappiste, bénédictin, vit comme un sage de l’Orient, sans sacrifice sanglant et vise le même dépouillement..


            Au fond l’essence de toute authentique sagesse est le détachement, le reste étant accessoire.

            La mort à soi-même qu’elle se fasse dans le sacrifice concret ou non est la constante de toute tradition spirituelle.


          • vote
            attis attis 12 février 2014 18:21

            Le Tao c’est profondément... personne. Effectivement mais cette impersonnalité a existé chez quelques penseurs chrétiens. Je pense au dominicain Eckhart notamment.


            Et surtout chez le pseudo-Denys l’ aréopagite.
            Quelle différence entre "la femelle mystérieuse" et "la divine ténèbre" ?


            Le Tao te jing est purement ésotérique, et les évangiles portent un message ésotérique qui, bien qu’ il n’ ait pas ou peu été exploré par la suite, rapproche le christianisme du taoïsme. Le problème de ces textes est qu’ ils s’ adressent avant tout aux mystiques ayant déjà eu accès aux vérités occultes, pas aux théologiens, philosophes ou exégètes qui découpent en tranche des textes qu’ ils sont incapables de comprendre.


            Pour ce qui est de Confucius, et pour rester dans le domaine des comparaisons orient/occident, je le situerai quelque part entre Voltaire et Rousseau.


          • vote
            Alexandre Banquet 12 février 2014 21:34

            Gollum


            Je ne suis toujours pas convaincu par le rapprochement , que je considère abusif, que vous voulez faire entre le christianisme et le Taoïsme de Lao-tseu en particulier. 

            Et par soucis d’efficacité je vais vous répondre d’une manière synthétique.


            Vous ne trouverez nulle part dans le Lao-tseu, le Tchouang-tseu, ou même chez Confucius, ou chez Wang-bi, une notion équivalente de notre "Absolu" pour qualifier le Tao. 

            Je vous renvoie par exemple au Lao-tseu (41) :

            "Le grand carré n’a pas d’angles

            Le grand vase est long à parfaire

            la grande musique est avare de notes

            La grande image n’a pas de forme

            le Tao est trop grand pour avoir un nom"

            (trad J.Levi)


            Il faut considérer les différences de structures linguistiques entre les deux cultures, qui sous-tendent un rapport au réel radicalement différent. 

            Ce qui me fait dire, et pour répondre, à un deuxième point : il y a effectivement dans la culture chrétienne la mystique et la théologie négative, pour contrecarrer l’arrogance des dogmes, par conséquent point n’est besoin d’un syncrétisme Tao/Dieu. On peut les comparer bien sûr.Mais Maître Eckhart, et les autres maîtres du courant apophatique ont un pouvoir de subversion suffisant pour ne pas avoir recours dans la pratique a un système philosophique exotique. Au moins il y a le même point de référence : Dieu.

            Alors que de l’autre côté :

            "La Voie qui a voie n’est pas la vraie Voie 

            le nom qui a nom n’est pas le vrai nom" (Lao-tseu 1)


            Il y a dans le christianisme, même mystique, un point de référence, nommément DIEU, vers lequel convergent les objets de la théologie, de la téléologie, de la sotériologie, de l’ontologie, et j’en passe des moins -gie... On est en rapport avec Dieu, on ne fait pas l’expérience d’être Dieu. Et ceux qui l’on prétendu ont été, la plupart du temps, persécutés. 

            Hors, le sage taoïste, le daoshi, n’est pas en rapport avec le Tao, il ne fait même pas l’expérience du Tao, mais peut-être quelque chose d’un peu différent, même bien après Lao-tseu, au début de l’ère chrétienne : 

            "il a le coeur identique au ciel et il est sans connaissance ; il a le coeur identique au Tao et il est sans corporéité"

             (Livre de l’ascension en occident) 


            D’ailleurs, le dialogue Bouddhisme-christianisme est beaucoup plus fructueux, si on veut vraiment un dialogue syncrétique avec l’orient. 


            Autre point, sur la nature : votre réponse dépasse le cadre de la comparaison, mais je dirais ceci : dans le cadre de la bible, Dieu est la source, le créateur de l’univers et des êtres. Or même dans le Taoïsme religieux, ecclésiastique, des six dynasties, qui accueille manifestement un panthéon, la notion de création est absente :

             "les dieux et l’univers sortirent presque ensemble du Chaos, sans que les dieux, malgré une légère antériorité, aient rien à faire dans la création"(Maspero "le taoïsme")

             

            Il y a aussi une conception panthéiste de la nature en occident(conf.Spinoza) "Deus sive natura", mais même cette idée n’est pas équivalente au ziran du vieux maître. Celui-ci se contente de dire que la nature est : ainsi, d’elle même. Aussi, hasard et nécessité peuvent être considérer comme des interprétations de certains aspects du réel, c’est à dire des réductions. Mais "le grand carré n’a pas d’angles". 


            Pas de point de référence extérieur, pas de lois, pas de Logos, pas de tout Autre, si ce soucis de dissiper l’Ego est présent aussi dans la spiritualité chinoise, et hindoue, et bouddhiste(qui est l’hindouisme emballé pour l’exportation...) ce n’est pas suffisant pour qu’on puisse dire que, mutatis mutandis, Dieu et Tao, Jésus et Lao-tseu, St Paul et daoshi : même combat.


            Je ne nie pas les rapprochements que vous avez fait, et je le redis, c’est intéressant. 

            Ce que je réfute c’est vos conclusions, qui sont identiques à vos prémisses :

            Dieu et Tao, au fond, c’est pareil. 

            Maintenant il est toujours possible de trouver des similarités entre les choses. Par exemple : 

            La pomme et le litchi sont des fruits.

            Mais au lieu de dire :

            une pomme est un fruit, un litchi est un fruit, mais une pomme n’est pas un litchi.

            Vous dites :

            une pomme est un fruit, un litchi est un fruit, donc une pomme est un litchi.

             


          • vote
            Rounga Rounga 12 février 2014 23:22

            La conférencière prône un équilibre entre les deux façons de voir.

            C’est vrai que déclarer "il faut trouver le juste milieu", c’est la conclusion couille molle, ça ne mange jamais de pain. Surtout qu’effectivement, conclure ainsi alors que les deux alternatives sont, en l’état, complètement opposées et inconciliables, ça ressemble plutôt à un refus de choisir. Si on affirme qu’il faut un juste milieu, il ne faut pas seulement le dire, il faut aussi établir dans quelles conditions ce juste milieu est possible.
            Je pense que la solution réside dans la formule "il faut rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu". Confucius déclare la transcendance inconnaissable, et préconise de d’abord connaître le monde avant de s’engager dans des spéculations métaphysiques, tandis que les taoïstes ont tendance à ne voir que la transcendance, ce qui leur fait négliger les affaires du monde.
            Feng Youlan, dans le Nouveau Traité sur l’homme, établit quatre milieux, c’est à dire quatre manières d’être au monde :
            -le milieu naturel : c’est le milieu de la satisfaction des instincts
            -le milieu utilitaire : le milieu de la satisfaction des intérêts
            -le milieu culturel : le milieu du respect de certaines règles morales
            -le milieu transcendant : le milieu de la communion avec le principe suprême
            Il fait remarquer que les taoïstes dénigrent les milieux utilitaire et culturel, mais ont tendance à confondre les milieux naturel et transcendant. A l’inverse, les confucianistes rejettent les milieux naturels et transcendants, et confondent parfois l’utilitaire et le culturel. La solution serait de reconnaître l’existence de ces quatre milieux, ainsi que leur hiérarchie, le milieu naturel étant qualitativement le plus bas, et le milieu transcendant le plus élevé. Chaque milieu aboutit,après un saut qualitatif, au milieu supérieur.
            Je remarque au passage que Feng Youlan n’est pas mentionné dans l’Histoire de la pensée chinoise de Anne Cheng...


          • vote
            Gollum Gollum 13 février 2014 09:20

            Rounga : Confucius déclare la transcendance inconnaissable, et préconise de d’abord connaître le monde avant de s’engager dans des spéculations métaphysiques, tandis que les taoïstes ont tendance à ne voir que la transcendance, ce qui leur fait négliger les affaires du monde.


            Je ne crois pas que le taoïste néglige les affaires du monde. Cela est un regard d’occidental. Encore une fois, pour un taoïste, la meilleure façon de s’occuper de quelque chose, est de ne pas s’en occuper. Logique paradoxale à laquelle il faut s’habituer. Le taoïste par la culture du non-agir, agit par émanation comme disent les kabbalistes, par influence, subtile. En se retirant dans le secret, la méditation, en pratiquant le non-agir, le vide de l’âme, le sage a plus d’influence que n’importe quel prince qui se pense être aux commandes




            Il fait remarquer que les taoïstes dénigrent les milieux utilitaire et culturel, mais ont tendance à confondre les milieux naturel et transcendant. 



            Je ne crois pas à une telle confusion. Simplement pour un taoïste, la nature est le canal d’expression de cette transcendance. Et même le meilleur canal.



            A l’inverse, les confucianistes rejettent les milieux naturels et transcendants, et confondent parfois l’utilitaire et le culturel. 


            Le culturel mène toujours à l’utilitaire. C’est une dégradation fatale du culturel comme la technique est le fruit entropique fatal des sciences.


          • vote
            Gollum Gollum 13 février 2014 09:51

            Vous ne trouverez nulle part dans le Lao-tseu, le Tchouang-tseu, ou même chez Confucius, ou chez Wang-bi, une notion équivalente de notre "Absolu" pour qualifier le Tao. 

            Je vous renvoie par exemple au Lao-tseu (41) :

            "Le grand carré n’a pas d’angles

            Le grand vase est long à parfaire

            la grande musique est avare de notes

            La grande image n’a pas de forme

            le Tao est trop grand pour avoir un nom"


            Ben je suis désolé mais je trouve que cette citation va tout à fait dans mon sens.. 


            Le grand carré n’a pas d’angles par exemple est une image que l’on retrouve chez Nicolas de Cues, où il dit dans La docte ignorance, qu’une sphère infinie, meilleure image de Dieu, est à la fois carré, triangle, cercle et ligne…


            La grande musique avare de notes est clairement une coincidentia oppositorum au sens de Jung comme au sens de Nicolas de Cues.


            Le Tao qui n’a pas de nom fait clairement penser à la théologie apophatique où il est impossible de nommer, qualifier l’Absolu. Certes, ce terme n’est pas utilisé, mais à mon sens, cela est accessoire.


            Il y a dans le christianisme, même mystique, un point de référence, nommément DIEU, vers lequel convergent les objets de la théologie, de la téléologie, de la sotériologie, de l’ontologie, et j’en passe des moins -gie... On est en rapport avec Dieu, on ne fait pas l’expérience d’être Dieu.


            Simple question de vocabulaire pour moi non essentielle.. Mais Eckhart relativise Dieu en mettant au-dessus la Gottheit ou déité. Même chose chez Angelus Silésius qui veut aller au-delà de Dieu même, dans un sans fond non nommable..


            Cette dialectique Dieu/déité est la même que celle de l’Hindouisme entre Bramah Dieu créateur et le brahman, principe absolu.


            L’unité parfaite se trouve dans la déité. Alors que Dieu implique un rapport entre Dieu et l’homme. Il y a encore dualité à ce niveau. C’est toute la différence entre un mystique chrétien pour lequel cette dualité est toujours maintenue, alors que pour un non-dualiste d’Orient (ainsi qu’Eckhart et ceux qui lui ressemblent), il y a unité parfaite.


            Hors, le sage taoïste, le daoshi, n’est pas en rapport avec le Tao, il ne fait même pas l’expérience du Tao, mais peut-être quelque chose d’un peu différent, même bien après Lao-tseu, au début de l’ère chrétienne : 

            "il a le coeur identique au ciel et il est sans connaissance ; il a le coeur identique au Tao et il est sans corporéité"


            Identité du cœur du sage avec celui du Ciel, avec le Tao, sans corporéité, cela est l’Absolu.


            D’ailleurs, le dialogue Bouddhisme-christianisme est beaucoup plus fructueux, si on veut vraiment un dialogue syncrétique avec l’orient. 


            Je n’aime pas ce terme de syncrétisme, je préfère parler d’unité par-delà les mots, sur le plan de l’essence des choses.. Mais je suis d’accord que le bouddhisme présente un réel intérêt. Ceci dit, le bouddhisme s’est trouvé en accord avec le taoïsme puisque celui-ci l’a énormément influencé pour donner le bouddhisme tchan, puis zen au Japon. Du reste l’Orient a beaucoup moins de difficultés que l’Occident pour faire des emprunts, se laisser aller à des influences, sans avoir l’impression de perdre son identité. En Occident, on aime les oppositions tranchées qui semblent toujours insurmontables alors qu’en fait (à mon sens) il n’en est rien.


            la notion de création est absente : ça aussi ça se discute ! Le un engendra le deux, le deux engendra le trois, et le trois engendra les dix mille êtres.


            Si ça ce n’est pas de la Création je ne sais pas ce que c’est.. On y retrouve même la trinité chrétienne. Certes il n’y a pas le Père, le Fils..


            Pas de point de référence extérieur, pas de lois, pas de Logos, pas de tout Autre


            Le Tao est loi à lui seul. Sans lui, rien ne fonctionne, plus d’harmonie de la nature à laquelle un chinois est ultra sensible.. Il n’utilise pas le terme de loi.. et alors ? Est-elle pour autant absente ?


            une pomme est un fruit, un litchi est un fruit, donc une pomme est un litchi.


            Si l’important est le fruit qui nourrit, que ce soit une pomme ou un litchi dans le fond on s’en fout…


            Et ce que je dis c’est que l’essence de toutes les religions est toujours la même : renoncer à soi-même. Vivre dans le détachement absolu vis à vis de tout : biens matériels, relations affectives, doctrines philosophiques, celles-ci n’étant que le doigt qui montre la lune et non la lune elle-même..


          • vote
            Rounga Rounga 13 février 2014 11:17

            Alexandre Banquet,

            Tout d’abord, merci de votre contribution enrichissante.
            J’aimerais revenir sur vos commentaires, à l’appui de Gollum.
            Les répugnances que vous affectez à trop rapprocher les conceptions taoïstes et chrétiennes ne seraient-elles pas une manière d’isoler la pensée chinoise et de l’ériger en altérité radicale par rapport à la pensée occidentale ? C’est là le reproche que font beaucoup de sinologues, dont Anne Cheng, à François Jullien. Car en effet, si nous partons du principe que les termes de Dieu et de Tao se réfèrent tous les deux à "quelque chose", alors soit les chrétiens et les taoïstes se rapprochent tous les deux d’un même "quelque chose", soit ils parlent de deux "quelque choses" complètement différents. Il faut donc choisir, et si les termes de "Dieu" et de "Tao" se rapportent à deux "quelque chose" différents, alors il y en a un des deux à éliminer, car les deux ne peuvent pas coexister. On empêche dont un pont de s’ériger entre Chine et Occident.
            Vous me direz que je fais dans le réalisme, et qu’on peut attribuer aux termes "Dieu" et "Tao", non pas des choses, mais des centres de gravité d’une façon de voir particulière, d’une "vision de l’esprit". Mais cela ne revient-il pas à isoler chaque camp dans sa subjectivité propre, et à rendre le dialogue impossible ?


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            Rounga Rounga 13 février 2014 11:42

            Le un engendra le deux, le deux engendra le trois, et le trois engendra les dix mille êtres.

             


            Si ça ce n’est pas de la Création je ne sais pas ce que c’est.. On y retrouve même la trinité chrétienne.


            Attention sur ce point. Cette citation du Laozi concerne en fait les trigrammes, et non des hypostases comme dans la Trinité.


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            llsalv 13 février 2014 16:49

            J’ai suivi avec intérêt le débat Gollum, Alexandre et Rounga.
            Même si je ne suis pas d’accord avec tout ce que disent Gollum et Rounga (notamment l’argument final de Rounga sur Dieu et Tao comme "quelque chose", il y a carrément une hérésie si je puis dire) je pense qu’ils sont fondés à repérer des similitudes et qu’on peut insister autant qu’on veut sur les différences, elles ne pourront annihiler les premières.
            Tel que je le vois Gollum a exprimé la dynamique du Tao dans le champ conceptuel occidental qui est "causaliste" : il accuse, il isole les causes (les boucs émissaires), il ontologise au lieu de faire dans le processuel. Mais une fois qu’on sait dépasser ça, quelle importance ?
            C’est sûr qu’il n’y a rien de tel en Orient et c’est pourquoi il est "hérétique" d’évoquer des "quelques choses" pour le Tao, car "quelques choses", étymologiquement veut dire "quelques causes". Et le Tao n’est pas cause, quand il est vrai, Dieu est cause première.
            Mais même cette opposition radicale apparente sous le rapport de la cause ne constitue pas à mes yeux un obstacle définitif de Dieu et du Tao.
            J’y vois une invitation à penser une "synthèse majorante" (pour parler en termes piagétiens) qui me parait d’autant plus accessible que contrairement à ce que j’ai vu dans le fil, l’Orient a bel et bien une origine sacrificielle qui interpelle d’autant plus sous le rapport du christianisme que son histoire peut alors se lire comme un dépassement de la "mise en accusation", ce à quoi précisément invite le christinianisme.

            Bon, tout ça est bien trop vite dit, mais ça traîne dans ma tête depuis mes lectures assidues et post-girardiennes de François Jullien. J’en ferai un article un jour...

            Pour conclure, je crois la synthèse orient-occident aussi possible que la synthèse homme-femme. La différence ne risque pas plus de se perdre que lors d’une copulation smiley


          • vote
            Rounga Rounga 13 février 2014 17:19

            notamment l’argument final de Rounga sur Dieu et Tao comme "quelque chose", il y a carrément une hérésie si je puis dire

            J’ai justement mis "quelque chose" entre guillemets car j’étais conscient du caractère "hérétique" de la chose. Mais il fallait bien que je passe par là pour montrer à Alexandre ce qui me gêne dans sa manière de présenter les choses.


          • vote
            Anténor 18 septembre 2016 00:55

            @llsalv

            Tout à fait d’accord vous et avec Gollum sur les similitudes troublantes entre christianisme et taoisme. Je dirais pour ma part que l’analogie se fait en distinguant l’ancien du nouveau testament d’une part, et Lao tseu de Confucius d’autre part. Il y a dialectique générative entre chacun dans une logique institué / instituant qui nous ramène à celle de la Trinité, ou pour parler "anthropologie dynamique" (avec Ballandier) le mouvement fondateur de l’ordre et du désordre ( le père et le fils). On retrouve même une structure narrative quasi universelle commune à l’évangile de Jean et au yi king. Je pense d’ailleurs que le yi king commenté par confucius est ce qui se fait de mieux pour saisir la quintessence de l’esprit chinois tant dans son exotérisme (culte, religion, famille et engagement) que son ésotérisme (alchimie, théologie négative, wu wei et détachement). Ce qui m’amène à conclure que le taoisme est la religion des dieux (un idéal, le saint esprit) que l’on peut atteindre qu’après maîtrise de la pratique (moïse et confucius). Jesus l’immanentiste serait-il un Taoiste incompris dans un monde de confucéens zélés ?


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            Éric Guéguen Éric Guéguen 12 février 2014 14:53

            Bon, ça y est, j’ai tout lu et tout écouté.
            Vidéo parfaitement synthétique, et texte très bien écrit, merci pour tout ça.

             

            En ce qui me concerne, il y a un autre parallèle que je serais tenté de faire : Lao-Tseu/Platon d’un côté, Confucius/Aristote de l’autre. Le premier couple prônant un détachement quasi complet de la matière dans l’effusion spirituelle, le second l’actualisation de la puissance de l’esprit dans l’ordonnancement terrestre.

            Mais attention, je ne connais pas suffisamment la pensée chinoise pour émettre autre chose que des pistes d’étude.

            Si je comprends bien les choses, je serais d’accord avec Rounga pour dire qu’il y a bien plus que de l’exotérique chez Confucius, mais en même temps, et contrairement cette fois à ce que dit Rounga, l’attachement à la politique n’empêche nullement l’emploi de la métaphysique, soit la recherche des causes premières qui, précisément, nous permettent d’inférer l’animalité politique de l’homme, que celui-ci soit chinois ou grec.

             

            Je me permettrais enfin une autre hypothèse : j’ai l’impression que le taoïsme est plus exposé que le confucianisme, à la fois à la récupération autocratique et à celle de l’hédonisme marchand. À mes yeux, on n’évite jamais la question politique, et pour qu’un sage puisse penser en paix, il faut un minimum d’ordre, de paix, de sécurité que garantissent l’activité politique. Cette solidarité entre les contingences d’ordre politique et la finalité spirituelle de l’être humain, je comprends chaque jour qu’Aristote l’a pensée mieux qu’aucun autre. D’où son actualité, et d’où, en vertu du parallèle que j’ai énoncé plus haut, l’intérêt que je porte à Confucius, que j’étudierai à fond dès que possible.

            En attendant, m’est avis qu’entre la pensée chinoise, la pensée grecque et la pensée islamique de la belle époque (celle qui s’est saisie justement des Grecs), il y a comme la recherche de principes véritablement universels. À méditer ?...

             
            PS : Connexion de s’écrit pas "connection". Savez-vous pourquoi je me permets de vous le dire ? Parce que je fais systématiquement la même erreur. smiley


            • vote
              Gollum Gollum 12 février 2014 15:03

              Bon je vais m’absenter quelque peu je ne vais pas pouvoir en dire beaucoup..


              Lao-Tseu/Platon d’un côté, Confucius/Aristote de l’autre.

              C’est tout à fait pertinent. Cela correspond à deux grandes classes d’esprit : les introvertis avec Lao-Tseu et Platon, plutôt portés sur l’essence des choses et la Transcendance. Et les extravertis, Confucius et Aristote, portés sur l’immanence et l’action, avec l’utilitarisme qui va avec..

              On retrouve quelque peu cette dualité dans le Christianisme entre Pierre et Paul d’un côté et Jean (avec Jacques ?) de l’autre..

              On pourrait en trouver d’autres..

            • 1 vote
              Qaspard Delanuit Qaspard Delanuit 12 février 2014 15:17
              Moi je ne trouve pas du tout de relation entre Lao-Tseu et Platon. Je dirais au contraire que Confucius est à mettre en relation avec le raisonnable Platon qui donne des conseils sur la bonne organisation de la Cité, tandis que Lao-Tseu ressemble à Diogène de Sinope, le philosophe sauvage et inconvenant.


            • 1 vote
              Éric Guéguen Éric Guéguen 12 février 2014 15:20

              Vous remportez la manche : la comparaison avec Diogène est peut-être, après coup, plus pertinente en effet.


            • vote
              Éric Guéguen Éric Guéguen 12 février 2014 15:23

              Peut-être, dans ce cas, y a-t-il à la fois du platonisme et de l’aristotélisme dans le confucianisme...


            • vote
              Qaspard Delanuit Qaspard Delanuit 12 février 2014 15:27

              Il me semble bien, en effet. 


            • 1 vote
              Qaspard Delanuit Qaspard Delanuit 12 février 2014 15:28

              D’ailleurs, je n’ai jamais vraiment cru à une opposition entre un courant platonicien et un courant aristotélicien. 


            • vote
              Éric Guéguen Éric Guéguen 12 février 2014 15:44

              "Opposition" n’est pas le mot idoine. En fait, je parlerais plutôt d’une divergence d’ordre anthropologique. Pour l’un, l’homme est animal politique et ce statut fait partie intégrante du travail rationnel ; pour l’autre, le travail rationnel est suffisamment noble pour négliger la vie politique. Pour l’un la politique est organique, vivante, pour l’autre c’est davantage une nécessité terre à terre n’apportant rien à l’acte cognitif.


            • 1 vote
              Rounga Rounga 12 février 2014 15:46

              Il faut bien avoir à l’esprit que nous comparons deux modes de pensée qui s’articulent de manière assez différente, ne serait-ce qu’à cause du langage, propice à une description analytique des choses chez les Grecs, plus combinatoire chez les Chinois. Pour cette raison, les parallèles que nous pouvons tracer entre les penseurs chinois et européens, s’ils peuvent se révéler pertinents, s’avèreront toujours incomplets. D’où leur multiplicité.

              P.S. Eric, merci pour la "connexion".


            • vote
              Qaspard Delanuit Qaspard Delanuit 12 février 2014 17:15

              Aristote et Platon sont différents mais tellement complémentaires qu’on pourrait les croire complices. smiley


            • vote
              Gollum Gollum 12 février 2014 17:58

              Bien sûr dans la comparaison de Guéguen que je trouve toujours valide, il faut quand même réajuster avec deux univers mentaux différents. L’esprit grec n’est pas l’esprit chinois. Mais la différence entre deux types d’esprit, les essentialistes, mystiques, contemplatifs, et les substantialistes, utilitaristes, pragmatiques, demeure.


              On peut d’ailleurs avoir parfois cette dualité dans la même personne.

            • 2 votes
              Morpheus Morpheus 12 février 2014 16:29

              La vrai question n’est pas « ne rien faire et jouir égoïstement de la vie » ou « se mêler de résoudre la corruption dans le gouvernement ».
               
              La vrai question - et le vrai problème - réside dans le fait de chercher, chez Confucius comme chez Aristote, la vertu dans le Prince, plutôt que dans l’assemblée du peuple.
               
              Une assemblée populaire a plus de vertu et de sagesse que tous les Princes et tous les sages réunis, parce que, précisément, dans cette assemblée, la grand nombre ne veut pas le pouvoir, mais jouir de la vie, non pas égoïstement, mais dans le partage commun - tant des tâches que des biens qui en résultent.


              • 2 votes
                Éric Guéguen Éric Guéguen 12 février 2014 16:36

                Morpheus, sauf votre respect, il faut lire davantage Aristote et écouter moins Chouard.
                 
                Les millions de consommateurs contemporains, ne veulent-ils pas précisément "jouir de la vie" ? Être sage, n’est-ce pas plutôt savoir qu’il y a un temps pour tout, un temps pour "jouir de la vie" et un temps - certes plus fastidieux - pour organiser la vie en commun permettant cette jouissance ? Vous en connaissez beaucoup autour de vous des gens qui seront capables de rogner un peu de leur temps de consommation pour s’adonner gratuitement à cette tâche, sans rien gagner d’autre en échange que la satisfaction d’avoir fait son devoir ? Honnêtement ? Là aussi il y le petit nombre et le grand nombre. Le petit nombre de ceux qui accepteront spontanément leur office, et le grand nombre de ceux qui traîneront les pieds.


              • vote
                Qaspard Delanuit Qaspard Delanuit 12 février 2014 17:11

                "Les millions de consommateurs contemporains, ne veulent-ils pas précisément "jouir de la vie" ?"


                Actuellement, c’est évident. Cependant il est difficile de savoir si c’est une propriété essentielle de l’espèce humaine ou bien une anomalie historiquement localisée. 


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