Critique de la démocratie athénienne
"Nous ne sommes pas en démocratie" est une des phrases les plus répandues, notamment par la gauche dite 'dissidente', à la tête de laquelle nous trouvons Etienne Chouard ainsi que beaucoup d'autres. Donc, tous nos problèmes actuels viendraient de l'absence de démocratie, de l'absence d'une réelle égalité entre les citoyens.
Le modèle de la "vraie "démocratie serait donc à chercher du côté d'Athènes au 5è siècle av JC, épicentre du monde Antique.
Mais qu'en est-il réellement de cette démocratie Athénienne ? Seconde question découlant directement de la première : est-ce un manque de démocratie dont nous souffrons aujourd'hui ou est-ce tout simplement la démocratie en elle-même qui constitue le problème ?
Définitions préalables
- La République : désigne avant tout l’objet même du pouvoir politique : le bien commun, la chose publique (" res publica "). Par extension c’est l’Etat de droit représenté un gouvernement légitime dont le pouvoir ne s’exerce que sur des hommes libres. L’aristocratie ou la démocratie ont pour objet cette res publica
- La démocratie (demos = peuple et kratos = pouvoir). Il s’agit du gouvernement du peuple "par le peuple". L’égalité constitue donc le moteur de ce régime. En pratique à Athènes, soit le lieu d’origine de ce régime, se réunissaient l’ensemble des citoyens afin de voter les lois.
- L’ochlocratie (okhlos = foule) : L’ochlocratie est une forme de gouvernement dans lequel la foule a le pouvoir d’imposer sa volonté. L’ochlocratie est considérée comme une dérive possible de la démocratie
- L’aristocratie (aristoi = les meilleurs et kratos = pouvoir) consiste en un gouvernement constitué "des meilleurs" parmi les individus d’une communauté. C’est à dire, d’une part les plus ’capables’ et d’autre part les plus ’vertueux’ d’entre eux.
- L’oligarchie (oligarkhía = pouvoir par le petit nombre) désigne le fait qu’un "petit nombre" de personne exercent le pouvoir. Il peut s’agir alors d’une aristocratie (= gouvernement des meilleurs), d’une ploutocratie (= gouvernement des plus riches), d’une technocratie (= gouvernement des scientifiques et autres techniciens)
- La timocratie (Timokratia = pouvoir par l’honneur) consiste en un gouvernement dont le fondement constitue la recherche de l’honneur (notion définie par Platon)
La démocratie vue par Platon
Avant d’aborder directement les écrits de Platon, voici 2 vidéos rappelant certaines "vérités" sur la démocratie athénienne dans laquelle l’idéale "égalitaire" fut en réalité un leurre, d’autant qu’Athènes n’a eu de cesse d’entretenir des velléités conquérantes. Un peu comme la gauche colonialiste sous Jules Ferry...
Voici les 5 types de constitutions envisagées par Platon, citées dans l’ordre décroissant de la meilleure à la pire :
- L’aristocratie ou La constitution parfaite, en laquelle tout est commun (femmes, enfants, éducation, moyens de défense) et où les gouvernants sont philosophes (thèse célèbre des " philosophes-rois " = pouvoir et sagesse sont réunis en une seule main).
- La timocratie (fondée sur l’honneur)
- L’oligarchie (fondée sur l’appétit des richesses)
- La démocratie (fondée sur l’égalité des riches et des pauvres)
- La tyrannie (fondée sur le désir -négation même de la politique car absence de lois)
Ainsi, pour Platon, la démocratie constitue le "pire des régimes républicains" (la tyrannie n’étant pas considérée comme républicaine). Platon théorise même l’aspect évolutif des régimes, la démocratie finissant par conduire...à la tyrannie. Schématiquement, cette évolution ressemble à ceci :
Démocratie —> Ochlocratie —> anarchie —> Tyrannie
Extraits de La République (562 b- 564 a)
"Mais n’est-ce pas le désir insatiable de ce que la démocratie regarde comme son bien qui perd cette dernière ? I.e., la liberté ? En effet, dans une cité démocratique, tu entendras dire que c’est le plus beau de tous les biens, ce pourquoi un homme né libre ne saurait habiter ailleurs que dans cette cité. (…) Lorsqu’une cité démocratique, altérée de liberté, trouve dans ses chefs de mauvais échansons, elle s’enivre de ce vin pur au-delà de toute décence ; alors, si ceux qui la gouvernent ne se montrent pas tout à fait dociles et ne lui font pas large mesure de liberté, elle les châtie, les accusant d’être des criminels et des oligarques. Et ceux qui obéissent aux magistrats, elle les bafoue et les traite d’hommes serviles et sans caractère. Par contre, elle loue et honore, dans le privé comme en public, les gouvernants qui ont l’air d’être gouvernés et les gouvernés qui prennent l’air d’être gouvernants. N’est-il pas inévitable que dans une pareille cité l’esprit de liberté s’étende à tout ? Qu’il pénètre dans l’intérieur des familles, et qu’à la fin, l’anarchie gagne jusqu’aux animaux ? Que le père s’accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, que le fils s’égale à son père et n’a ni respect ni crainte pour ses parents, parce qu’il veut être libre, que le métèque devient l’égal du citoyen, le citoyen du métèque, et l’étranger pareillement. (…)Or, vois-tu le résultat de tous ces abus accumulés ? Conçois-tu bien qu’ils rendent l’âme des citoyens tellement ombrageuse qu’à la moindre apparence de contrainte ceux-ci s’indignent et se révoltent ? Et ils en viennent à la fin, tu le sais, à ne plus s’inquiéter des lois écrites, afin de n’avoir absolument aucun maître. Eh bien ! c’est ce gouvernement si beau et si juvénile qui donne naissance à la tyrannie. (…) Ainsi, l’excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude, et dans l’individu, et dans l’Etat. "
En évoquant l’aboutissement du régime à la "tyrannie", Platon ne faisait, en réalité que s’appuyer sur des faits historiques puisque, suite à la défaite d’Athènes face à Sparte lors de la guerre du Péloponnèse, s’est établi ce qu’il est convenu d’appeler le "régime des trente". Soit 30 oligarques qui ont pris le pouvoir et abolit la plupart des institutions démocratiques.
Par ailleurs, les analogies de ce siècle démocratique athénien avec notre chère "démocratie représentative" actuelle ne manquent pas : démagogie, formation de "groupes de pression" dans les affaires de la Cité, relativisme de plus en plus présent,...bref tout un ensemble de comportements que Socrate avaient dénoncés, dénonciations qui aboutirent...à sa condamnation à mort
Mais il y a une cause racine à tout cette dérive, cause qui fut envisagée par Platon puis ensuite, des siècles plus tard théorisée par un libéral appelé Tocqueville : l’individualisme !
L’évolution démocratique théorisée par Alexis de Tocqueville
Voici un extrait du fameux ouvrage de Tocqueville : De La démocratie en Amérique dans lequel il dénonce l’importance accordé au "nombre" inhérent à la démocratie et à son évolution (fatale) en ochlocratie puis à la tyrannie à laquelle conduit la "masse".
"Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.
Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, prévoyant, régulier et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre"
L’évolution démocratique, avec sa recherche de toujours plus d’égalité accompagnée d’une atomisation de plus en plus profonde des individus finit par aboutir à un monde effrayant, tel qu’ont pu le décrire Georges Orwell ou encore Aldous Huxley. Voilà les dangers potentiels de la démocratie.Or, historiquement qu’avons-nous constaté depuis plus d’un siècle en pays démocratiques :
- 2 guerres mondiales les plus meurtrières de toute l’Histoire de l’Humanité
- L’avènement des 2 plus grands totalitarismes de toute l’Histoire, ayant tous deux prospéré sur l’influence de la "masse" des individus.
- Une atomisation des sociétés occidentales, avec un égoïsme grandissant partout, la Toute-puissance du marché faisant fi des frontières car faisant la loi. Avec, en parallèle, un accroissement égalitaire sur le plan politique et sociétal, et une inégalité ’de fait’ de plus en plus accrue sur le plan matériel et social.
- Une inversion des valeurs traditionnelles qui se traduit par un rejet de toute forme d’essentialisme (car jugée ’facho’) avec pour corollaire un rejet de la Nature (théorie du genre, etc...) tout ça au nom de l’égalité
Et Tout cela, répétons-le avec force, en parfaite analogie avec l’évolution de la Démocratie Athénienne au 5ès av JC
Enfin évoquons Jean-Jacques Rousseau, le père du "Contrat Social" et l’un des principaux théoriciens de la "souveraineté populaire", donc peu soupçonnable d’être taxé de ’vilain réactionnaire’ et qui, pourtant, estimait que c’était l’Aristocratie qui était le meilleur des régimes. J’invite donc tous les gens se revendiquant "de gauche" à relire attentivement le Contrat Social (Livre 3, ch V)
"
Les premières sociétés se gouvernèrent aristocratiquement. Les chefs de famille délibéraient entre eux des affaires publiques ; les jeunes gens cédaient sans peine à l’autorité de l’expérience. De là, les noms de Prêtres, d’anciens, de Sénat, de Gérontes. les sauvages de l’Amérique septentrionale se gouvernent encore ainsi de nos jours et sont très bien gouvernés...
Tags : Démocratie Culture Etienne Chouard
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