Dans un entretien
du 20/12/2OO4, Bernard Debré, chef de service d’urologie à l’hôpital
Cochin, et Philippe Even, président de l’Institut Necker avaient sonné le tocsin, mais les puissants lobbys de l’industrie pharmaceutique n’ont jamais été contraint par les pouvoirs publics de modifier leurs habitudes.
Comment
réagissez-vous au retrait du Vioxx et aux doutes sur le Celebrex ?
Bernard Debré : Ces affaires, comme d’autres concernant
certaines statines et certains antidépresseurs, posent le problème
des essais thérapeutiques présentés par les laboratoires pour
obtenir une autorisation des médicaments. Beaucoup d’essais
sont mal conçus, biaisés, voire falsifiés et souvent trop
dispersés sur la planète, dans le seul but d’élargir les
marchés. Avec 20 000 malades sur 800 sites, les résultats,
dilués, ne peuvent pas être fiables.
Deuxième critique, la plupart des essais sont réalisés contre
placebo et non pas contre un médicament similaire, déjà autorisé.
Donc, rien ne prouve que ce nouveau médicament ait un effet
supérieur à ceux qui existent déjà. Enfin, 90 % des essais ne
sont jamais publiés ou révélés , car les laboratoires
sélectionnent ceux qui paraissent montrer une efficacité de la
molécule et cachent ceux qui démontrent qu’il n’y a pas
d’effet, voire qu’il peut exister certains risques. Et c’est
ce qui s’est passé dans l’affaire du Vioxx et d’autres.
Philippe Even : Un des problèmes vient de ce qu’il y a eu,
jusqu’en 1984-1985, des avancées thérapeutiques formidables
permettant de contrôler assez bien une grande partie des maladies.
Mais l’industrie pharmaceutique a mangé son pain blanc.
La biologie est devenue si complexe qu’on ne découvre plus de
médicaments d’action large, capables de conquérir de vastes
marchés - les fameux "blockbusters" à plus de 1 milliard
d’euros par an. Les découvertes ne concernent plus que des
pathologies précises et limitées, donc des marchés étroits. Les
grands laboratoires essaient donc de faire du chiffre par le nombre
de boîtes vendues, ce qui amène parfois au dérapag
L’Agence
française (Afssaps) et l’Agence européenne du médicament
sont-elles à l’abri d’une mise en cause comme celle qui a touché
la Food and Drug Administration (FDA) américaine ?
P. E. :
Certainement pas. L’Agence française est bâtie sur le même
modèle que la FDA, mais la FDA, c’est 10 000 personnes, tandis que
l’Afssaps ou l’Agence européenne, c’est quelques centaines.
Par ailleurs, les experts des agences sont trop souvent liés à
l’industrie pharmaceutique. Et 70 % du budget de l’Agence
européenne sont fournis par l’industrie pharmaceutique, qui est
ainsi en situation d’être juge et partie.
Pensez-vous
que, en France, le contrôle du médicament soit suffisamment
efficace ?
B. D. : Les
laboratoires fabriquent de plus en plus de médicaments qui ne
sont en fait que très légèrement différents de ceux existants.
Ce sont presque des copies, qu’on appelle "me too" dans
le jargon médical, et qui ne présentent pas d’intérêt
thérapeutique supérieur. Il n’est pas normal que l’Afssaps
donne une autorisation de mise sur le marché pour ces produits
simplement pour que les laboratoires rebondissent avec un nouveau
brevet protecteur et évitent les génériques.
Ces médicaments
sont promus comme des nouveautés et ils coûtent cher à
l’assurance-maladie. Dans cette affaire, la faute n’est pas à
rechercher du côté des laboratoires, qui cherchent leur intérêt
financier. Le problème est au niveau gouvernemental et
paragouvernemental.
P. E. : Il y
a d’autres problèmes au niveau gouvernemental. Au moment de la
mise sur le marché d’un médicament, les indications
thérapeutiques sont bien ciblées. Et puis, sur le terrain, on
constate des dérives majeures dans la prescription. La publicité
des laboratoires, les visiteurs médicaux qui font du marketing
auprès des médecins, le laxisme généralisé des prescripteurs,
l’absence de formation médicale continue indépendante de
l’industrie, tout converge pour que les indications initiales
soient dépassées.
(...)
Sources
(*). Entretien du 20/12/04 réalisé par Cécile Prieur pour le journal Le Monde
L’article "Du labo à la pharmacie" par Florent Latrive publié dans Libération du 03/01/2005
L’article "Le circuit français de l’autorisation" paru dans Le Monde du 21/12/04
Bibliographie
"Savoirs et pouvoir, pour une nouvelle politique de la
recherche et du médicament" - Auteurs : Debré B. et Even P. - Éditeur :
Le Cherche Midi (2004).
"Le grand secret de l’industrie pharmaceutique" - Auteur : Philippe Pignarre - Éditeur : La Découverte (2003).
Source web