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J.GRAU 31 juillet 2011 22:44

Merci d’avoir pris la peine de répondre à mon message. Je ne sais pas si tu liras celui-ci, car 5 jours ont passé, mais je vais quand même essayer de répondre à tes questions et remarques.

Pour comprendre la différence entre monisme et matérialisme, je pense que l’exemple de Spinoza est utile. Spinoza a lu Descartes et s’en est inspiré, mais il lui reproche d’avoir une philosophie incohérente. Pour Descartes, il y a dans la réalité deux principes indépendants et irréductibles l’un à l’autre : la pensée et l’étendue (c’est-à-dire la matière). La nature est matérielle, Dieu est pure pensée, et l’homme est - on ne sait trop commun - une union entre un morceau de matière (le corps) et une substance purement spirituelle, l’âme. Avec Descartes, on a une philosophie typiquement dualiste, puisqu’elle prétend expliquer la réalité à l’aide de deux principes radicalement différents. Pour Spinoza, ce point de vue est irrecevable. Pour lui, il n’y a qu’un seul principe : Dieu, c’est-à-dire la Substance, c’est-à-dire la Nature, c’est-à-dire la totalité de ce qui est. Ce Dieu a une infinité d’attributs - de propriétés essentielles - mais nous n’en connaissons que deux : la pensée et l’étendue. L’homme est donc à la fois pensée et matière, et on ne saurait réduire l’un à l’autre. En fait, ce sont deux aspects d’une seule et même réalité. On ne peut dire (comme on tendance à le faire les idéalistes) que la pensée met le corps en mouvement. On ne peut dire non plus (comme le font les matérialistes) que la pensée est simplement le résultat de processus matériels. Pour Spinoza, le corps et l’âme n’agissent pas l’un sur l’autre : ils agissent ensemble, ils ne font qu’une seule et même réalité. On voit donc ici, à travers cet exemple, qu’un philosophe peut être moniste (non dualiste) sans être matérialiste.

On pourrait également prendre l’exemple de Berkeley qui, avec des arguments qui étaient loin d’être stupides, rejetait purement et simplement l’existence de la matière. Pour lui, la matière n’est qu’une idée abstraite, qui ne correspond pas à l’expérience concrète que nous avons du monde. C’est une invention des scientifiques et des philosophes. Avec Berkeley, on a une philosophie ultra idéaliste, et pourtant moniste - dans une certaine mesure, cependant, car elle fait intervenir un Dieu transcendant.

Au sujet de Marx, il est possible que je l’aie présenté de manière trop schématique. Il faudrait que je le lise (car je suis loin d’avoir tout lu) et que je relise ce que j’ai déjà lu. De toute manière, c’est toujours une lecture stimulante.

Enfin, au sujet des motivations humaines, et en particulier de la classe bourgeoise, je crois qu’il y a à la fois un désir de conservation et un désir d’outrepasser toute limite. Ce mélange était sans doute plus visible dans d’autres catégories sociales ou à d’autres époques. Si nous considérons la noblesse féodale, ou même celle de l’Ancien Régime, on peut voir qu’elle était mue à la fois par le désir de consolider sa puissance matérielle et par le désir de montrer son détachement à l’égard des contingences matérielles. Les nobles faisaient des guerres ou des mariages pour accroître leurs fortunes. Mais cela faisait aussi partie de leur mentalité de risquer leur vie et de dilapider leur fortune dans des fêtes somptueuses. Pour expliquer ce genre de comportement, je ne suis pas sûr qu’une théorie matérialiste, même très raffinée comme celle de Marx, soit suffisante.

Avec la bourgeoisie, c’est évidemment autre chose qui est en jeu. Cette classe, contrairement à la noblesse, tirait son orgueil de sa prudence, de sa vertu d’"économie". La "science" appelée "économie" est d’ailleurs une discipline qui a été taillée sur mesure pour la classe bourgeoise. On pourrait donc penser que des théories matérialistes sont tout à fait pertinentes pour expliquer le comportement des bourgeois. Seulement il y a dans cet appétit effréné de richesses quelque chose qui s’apparente à ce que les Grecs appelaient l’ubris, la démesure. Même si les grands bourgeois ont cessé d’imiter les anciens nobles, même s’ils ne mettent plus en jeu leur vie dans des duels, ils semblent -pour certains d’entre eux en tout cas - prêts à prendre beaucoup de risques pour accroître leur puissance.
 
Bien entendu, il y a aussi là-dedans des effets de système. Par exemple, les fonds de pension ou de placement se font concurrence, et c’est pourquoi ils proposent des taux de rendement complètement délirants. Mais la structure économique n’explique pas tout. Il y a derrière la dérégulation financière une volonté politique de mettre fin aux règles les plus élémentaires de la prudence. J’y vois là comme une ivresse comparable à celle des nobles de la fin de l’Ancien Régime, qui continuaient à faire des fêtes somptueuses sans voir l’approche de la Révolution (alors que Rousseau avait bien vu, lui, que les inégalités sociales finiraient par engendrer des explosions de violence).




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