Quelque
part dans les îles du Pacifique, nous devrions pouvoir trouver au moins
deux anthropologistes mélanésiens vieillissants qui, étudiant leur cas,
seraient stupéfaits par les superstitions primitives d’un Alan
Greenspan, actuellement président de la Réserve fédérale, d’un Krugman
ou d’un Strauss-Kahn. On peut presque entendre l’un d’eux dire à son
collègue : « Tu ne vas pas me croire, ces cinglés d’universitaires
français et américains croient encore au "Culte du cargo" ! Tiens,
regarde par exemple les socialistes français : ils attendent l’arrivée
d’un mystérieux cargo allemand venu décharger sa cargaison d’argent sur
les berges de la Seine ».
Il y a bien eu, dans certaines îles de Mélanésie, des gens qui
rêvaient au retour des bâtiments chargés de biens manufacturés
américains, livrés dans la foulée de la mobilisation de guerre. Mais à
comparer avec les errances du Wall Street Journal ou des adhérents de la
société du Mont-Pèlerin, l’accent mis par les vétérans mélanésiens de
la Deuxième Guerre mondiale sur l’utilité des biens acquis à cette
période, dénote un sens louable des réalités économiques relativement
aux folies actuelles d’un Krugman. Nos sauvages monétaristes de Paris,
de Washington et d’ailleurs se couvrent de ridicule, eux qui attendent
la livraison par le FMI de monnaie virtuelle, l’argent flashe le temps
d’une microseconde vacillant sur l’écran d’une calculette de poche
(monnaie calculée comme il se doit par le modèle Black-Scholès)... et
n’arrive jamais.
C’est de cette façon qu’il faudrait juger le professionnalisme
économique des adeptes du « Culte du cargo », comme celui
des banquiers irresponsables qui sont à l’origine du désastre du LTCM,
et cela vaut, bien sûr, pour Strauss-Kahn et Krugman. Les interventions
du Président aux récentes conférences de Washington ne furent hélas,
pour l’essentiel, que la déclinaison d’une litanie extraite du « Culte
du cargo ».