Jacque Cheminade ne dit pas que Marx a copié les tenants de l’économie physique. Il replace les choses dans son contexte pour expliquer qu’un autre courant s’est opposé au capitalisme féodal et que c’est lui qui s’est vérifié dans la réalité :
"Marx menace même, parfois, de se transformer en quelque chose de supérieur
à un bon analyste financier, en un partisan de l’économie physique.
Cependant, et c’est là le point essentiel, il est à chaque fois tiré
vers le bas par l’idéologie à laquelle il s’est rallié. Son intégration
au sein des préjugés de l’école économique britannique, notamment à
travers l’influence de David Urquhart et de son ami, protecteur et
mentor, Friedrich Engels, l’empêche de développer ses intuitions. Il
voit le processus d’émission monétaire, de crédit, de rente, de mœurs
bancaires et usurières propres au système britannique comme s’il était
consubstantiel à l’économie physique, au lieu de reconnaître qu’il n’en
est que le parasite. Il voit la réalité à travers les lunettes du
système britannique comme s’il s’agissait de la seule forme
d’organisation financière d’une économie capitaliste. Il s’avère à
plusieurs reprises incapable de considérer le « capitalisme »
différemment du moule où le tient l’oligarchie britannique, ce que Carey
et Laboulaye avaient appelé « une organisation toute féodale » du capitalisme. Marx
prend comme une donnée le système financier et marchand d’Adam Smith et
de David Ricardo, celui de la Compagnie des Indes orientales et de leur
école d’Haylesbury. Il l’analyse parfois de manière très compétente et
critique son fonctionnement mais de l’intérieur, sans en répudier les
catégories. Il arriva à Londres comme Œdipe au royaume de son père, pour
le tuer et devenir aveugle.
Marx est donc un bon analyste
financier et un homme qui a voulu donner à l’économie politique un
contenu social, mais qui n’est jamais parvenu à adhérer à l’école de
l’économie physique, au sens où William Gottfried Leibniz définit la
science économique comme la reine parmi les sciences physiques.
Et c’est pourquoi sa construction mentale de la baisse tendancielle
du taux de profit accompagnant le développement des forces productives
est radicalement fausse. Aveuglé par les catégories mentales de la
perspective financière britannique, Marx,
ne peut prendre en compte la composition technologique du capital comme
source du vrai profit physique, en même temps que la qualification du
travail qui l’accompagne.
Malgré les apparences soulignées par ses disciples, aucune de ses prédictions, dans ses propres termes, ne s’est réalisée.
Toute l’histoire depuis sa mort montre au contraire que le progrès
technique que nous avons connu a accéléré l’accumulation du capital et
permis la progression des salaires réels et de leur part dans le revenu
national. Les périodes d’accroissement de C, de découvertes appliquées
sous forme de technologies et de mécanisation, n’ont pas correspondu à
des crises sociales, mais au contraire, comme pendant les années
Roosevelt aux Etats-Unis et les Trente Glorieuses de l’après-guerre en
Europe, à des périodes de relative prospérité et de paix sociale, la
paix par le développement mutuel. Le taux de profit des capitalistes
industriels n’a pas alors décliné, mais s’est au contraire accru, parce
que ce sont les progressions de C et de la qualification croissante de V
qui ont engendré cet accroissement. Comme Leibniz l’avait souligné en
1671, dans Société et Economie, c’est l’accroissement de C, la
capacité technologique de produire davantage avec moins de travail
musculaire humain, grâce à la maîtrise de principes physiques nouveaux
sous forme de conceptions de machines toujours améliorées, qui engendre
le profit. Les crises sociales, dont celle que nous vivons est une crise
du système, sont au contraire survenues après des périodes de hausse
brutale des actifs financiers et monétaires aux dépens du développement
des forces productives."