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Sword 19 janvier 2013 16:25

« J’ai été élevé par deux femmes » Le Figaro - 9 janvier 2013 par Jean-Marie Guénois

À 66 ans, Jean-Dominique Bunel, opposé au projet de loi ouvrant l’adoption aux couples homosexuels, décide de sortir du silence pour dire combien sa vie a été perturbée par le fait d’avoir eu deux mamans. 

Ne cherchez pas le scandale, vous ne le trouverez pas. L’homme est posé, assis même sur une vie désormais mûre, sans rancœur excessive, mais passablement gâchée. Sa vie, ce célibataire de 66 ans l’a d’ailleurs « donnée », passant le plus clair de son temps au service d’associations humanitaires dans des pays en guerre. Comme en Bosnie, où il a passé quatre ans, de 1992 à 1996. En Irak, où il coordonnait toutes les aides de Caritas et d’où il a dû être exfiltré en 2004, après l’enlèvement de membres de son équipe. Au Burundi et au Rwanda, où il a vécu une expérience très dure. Il raconte ces mémoires dans un livre publié chez L’Harmattan en 2010, Carnet de guerres d’un humanitaire.

Ce docteur en droit - spécialiste du droit humanitaire et des génocides - n’est donc pas un enfant de chœur, même si ce croyant a gardé sous une carapace de baroudeur, expert en missions d’urgence, un cœur sensible. Très sensible parce que blessé au fond par un drame personnel dont il n’avait jamais parlé mais que le projet du gouvernement de permettre l’adoption d’enfants par des couples homosexuels a, tout d’un coup, révolté. Une révolte intime et sourde.

Comment dire en effet la souffrance d’avoir été élevé par deux femmes, sa mère et l’amie de celle-ci, sans manquer à l’amour qu’il éprouve pour ces deux personnes à qui il doit beaucoup et qui sont aujourd’hui décédées ? Comment parler, sans impudeur, de ce que l’enfant n’avait pas compris de cette relation entre femmes et qui s’est éclairée plus tard, au prix d’un écroulement intérieur ?

D’ailleurs, de cette douleur, il parle mal. Il ne peut pas. On la sent. Elle jaillit à travers un long silence qui suit une question indiscrète et qui reste sans réponse. Elle colore d’émotion un visage pourtant buriné. Il écrira, un jour, peut-être. C’est même décidé, depuis peu. Ces Mémoires-là ne seront plus de guerre, mais de rêves déçus.

Dans cette lente mise au jour, timide, commencée par un simple coup de fil de confiance au Figaro, aucun relent d’homophobie. « Je n’ai jamais souffert de l’homosexualité, assure-t-il. Bien au contraire, rétrospectivement, ma famille était très tolérante pour son époque. » C’était l’immédiat après-guerre. Le court mariage de ses parents est perturbé par une liaison forte qui unit sa mère à l’une de ses amies. Son père quitte le domicile. Les deux amies cohabitent et élèvent les trois enfants. « Ce n’est donc pas le tabou de l’homosexualité qui m’a fait souffrir, mais l’homoparentalité. Les homosexuels doivent naturellement être accueillis avec fraternité ; ils enrichissent l’humanité et s’il faut, bien entendu, leur accorder le plus possible les mêmes droits qu’aux hétérosexuels, cette égalité ne peut évidemment pas s’appliquer à un “droit à l’enfant” qui n’existe nulle part et qui ne figure dans aucun texte. »

Voilà bien ce qui ne passe pas : l’homoparentalité. De quoi a-t-il souffert ? « De l’indifférence des adultes aux souffrances intimes des enfants, à commencer par les miennes. Dans un monde où leurs droits sont chaque jour évoqués, en réalité, c’est toujours ceux des adultes qui prévalent. J’ai également souffert du manque d’un père, une présence quotidienne, un caractère et un comportement proprement masculins, une altérité par rapport à ma mère et à sa compagne. J’en ai eu conscience très tôt. J’ai vécu cette absence de père comme une amputation. »

« Je vous offre un témoignage, il n’a pas valeur de sondage »

Quand on lui objecte que beaucoup d’enfants vivent cette situation en cas de divorce, il rétorque : « Le divorce ne prive pas nécessairement l’enfant de ses deux parents, qui en ont ordinairement la garde partagée ou alternée. Surtout il ne remplace pas le père par une deuxième femme, accentuant ainsi le déséquilibre affectif, émotionnel et structurant de l’enfant. Tous les psychiatres devraient reconnaître que celui-ci ne se repose pas sur une femme comme il le fait sur un homme, et que l’idéal pour lui c’est que l’un et l’autre l’accompagnent d’une manière égale, mais complémentaire. »

Et de préciser : « Lorsque j’étais enfant puis adolescent, je n’avais absolument pas conscience de cela et j’adorais naturellement les deux femmes qui m’élevèrent seules et avec courage. Mais je ne me posais pas de questions sur la nature de leur liaison, que je ne qualifiais donc pas. Mon père, qui avait quitté ma mère lorsque j’avais trois ans, justement en raison de la nature de la relation que celle-ci entretenait, ne fut jamais présent, notamment quand j’avais besoin de lui. Aussi me reportai-je le plus possible sur des hommes de mon entourage, qui prirent une place surdimensionnée et parfois malsaine. »

On n’en saura pas davantage sur les conséquences pour sa vie d’homme. Ce seuil-là est encore infranchissable : « Toute ma vie d’adulte a été bouleversée par cette expérience », lâche-t-il simplement. Mais il s’arrête net : « C’est trop intime… » Pressé, il concède : « Je vous offre un témoignage. Il n’a pas valeur de sondage. D’autres enfants que moi, placés dans les mêmes conditions, ont certainement grandi et réagi différemment. Mais, à ma connaissance, aucune enquête sérieuse n’a jamais été diligentée sur ce sujet dans des conditions scientifiquement indiscutables et portant sur un grand nombre de personnes. Je doute que beaucoup de fils et de filles de couples homosexuels s’ouvrent facilement et honnêtement à des journalistes sur un sujet aussi délicat. C’est déchirant de raconter une souffrance qu’on voudrait taire. »

Aujourd’hui donc, les mots manquent. Reste le cri : « Lorsque j’ai appris que le gouvernement allait officialiser le mariage entre deux personnes du même sexe, j’ai été bouleversé. Non pas tant par le mariage lui-même, qui constitue pour moi plus un sacrement qu’une union civile, mais par le fait qu’on ouvrirait nécessairement cette mesure à l’adoption, institutionnalisant ainsi un état qui m’avait tant perturbé. Il y a là une injustice que je ne peux supporter. »

Il ajoute en juriste : « Je m’oppose à ce projet de loi parce qu’au nom d’un concept dévoyé de lutte contre les inégalités et les discriminations, on refuserait à l’enfant un de ses droits les plus sacrés, qui se fonde sur une tradition universelle et millénaire, celui d’être élevé par un père et une mère. Lorsque deux droits s’opposent : celui-ci et le “droit à l’enfant”, c’est ce dernier qui doit s’effacer. La Convention internationale des droits de l’enfant précise en effet que l’“intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale” (art. 3, § 1). En l’espèce, cet “intérêt supérieur” ne fait aucun doute. »

Mais c’est l’homme blessé qui conclut : « Si les deux femmes qui m’ont élevé avaient été mariées après l’adoption d’un tel projet de loi, je me serais lancé dans ce combat et j’aurais porté plainte contre l’État français devant la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de mon droit à avoir un papa et une maman. »




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