Avec la photo d’Art :
Michel Onfray, en 2012. Photo Eric Larrayadieu.
http://www.liberation.fr/politiques/2015/09/14/un-philosophe-entre-le-marteau-et-l-enclume_1382556
un article intéressant :
Onfray, un philosophe entre le marteau et l’enclume
Même si on avait lu tout Antonio Gramsci, on aurait du mal à définir la
curieuse notion d’intellectuel, qu’il a explorée de fond en comble.
Elle s’éclaire (en se réduisant) si on ajoute « engagé ». Dès lors on
peut penser à des philosophes, des sociologues, des historiens, des
écrivains qui, en tant que tels, interviennent activement dans le débat
public, en pesant sur lui et en le (dés)orientant. Les plus célèbres
sont Bertrand Russell, Sartre, Foucault, Bourdieu, Eric Hobsbawm,
Pasolini, Jürgen Habermas même… La notion de « philosophe médiatique »,
évidemment récente, est, elle, plus floue, ou « glissante », parce que
tantôt elle fait aller vers la philosophie tout court et tantôt fait
tomber dans le brouhaha médiatique. Ainsi que Bernard-Henri Lévy ou
Alain Finkielkraut, Michel Onfray est un philosophe médiatique. Mais
comme les bruits qu’il fait dans les médias sont plus forts, simples,
audibles sans effort, que ne sont directement accessibles les thèses
qu’il expose dans ses ouvrages de philosophie, on a parfois quelque mal à
dire « ce qu’il pense », en entendant par là ce que l’application au
réel de son intelligence et de sa sensibilité « produit ».
Matérialisme.
Que retiendrait-on de la pensée d’Onfray si on s’en tenait à ses
livres, et si on faisait abstraction de tout ce qu’il peut dire à la
radio, dans les journaux, sur des plateaux de télévision (tout ce qu’il
peut y affirmer avec une certaine délectation, autrement il se
« retirerait », mais aussi, parions-le, un certain énervement d’avoir à
proférer vite ces paroles que Nietzsche disait devoir relever de la
« rumination », dont il tente de se libérer en le projetant sur les
médias eux-mêmes) ? On décèlerait, à coup sûr, une certaine cohérence.
Onfray n’a jamais fait que développer, depuis le Ventre des philosophes
ou Cynismes, une « ontologie matérialiste », que son dernier livre,
Cosmos, expose systématiquement.
Comme tous les matérialistes, d’Epicure, Démocrite ou Lucrèce à Marx,
Michel Onfray a tenté de reconstruire une théorie de l’être qui soit
l’« inverse » de celle qui a toujours dominé en Occident et qui trouve
son origine idéelle ou idéaliste essentiellement chez Platon (puis le
néoplatonisme chrétien), pour qui la réalité n’est pas « ce qu’on voit,
ce qu’on sent », le sensible, mais l’Idée. Cette ontologie matérialiste
implique évidemment, d’abord, que « dans le ciel », il n’y a rien, hors
les corps astraux, pas de puissances « supra-sensibles », pas de
« fantaisies théologiques », pas de dieux, pas de Dieu. Ensuite que
toute réalité est corporelle, que la nature n’est rien d’autre qu’espace
et temps, temps des astres, temps des cycles saisonniers, temps de la
germination, temps de la fécondation, temps du travail, travail du
temps. Enfin que vivre, de façon nietzschéenne, c’est dire « oui » à la
vie, oui à ce qui la porte, oui à une « érotique solaire », oui aux
plaisirs qui lui donnent « sens », direction et signification, et que ne
devraient pas entraver les fausses peurs, les superstitions, la morale
du ressentiment, l’autoflagellation, les culpabilités créées ad hoc pour
freiner la joie d’être.
« Il n’y a qu’un monde et pas d’arrière-monde ; que de la physique et
pas de métaphysique ; que de la psychologie et pas de métapsychologie »,
lit-on dans Cosmos. Même les violentes attaques contre la psychanalyse
et contre Freud, qui ont suscité tant de polémiques et des accusations
de malfaisance, participent de cette volonté de vider et le ciel et la
terre de toute force « obscure », insaisissable, somme toute
« religieuse ».
« Simplification ».
Hédonisme, matérialisme, athéisme (et « post-anarchisme ») : telles
sont les bornes entre lesquelles la pensée de Michel Onfray s’est
déployée, telles sont les pistes qu’il a explorées dans la volumineuse
Contre-histoire de la philosophie, pour y découvrir les penseurs et les
écrivains exclus par la « pensée dominante » (fut-elle marxisante).
Paradoxalement, chez Onfray, qui a élaboré donc une philosophie
cohérente, une esthétique (« emprunter aux artistes leurs voies d’accès
au monde »), une morale, une ontologie, et dont sans doute la politique
du côté du « peuple » est la passion, manquent une théorie du droit et
une théorie politique. Dont devinent néanmoins les linéaments tous ceux
et celles qui suivent avec ravissement (ou écoutent sur France Culture)
les cours qu’il donne à l’Université populaire de Caen. Et qui fait
partie de son œuvre comme Libération fait partie de l’œuvre de Sartre
(ainsi que Sartre le disait).
Un philosophe peut vivre dans une « caverne », entouré de livres
poussiéreux, tel que le représentait, en méditation, Rembrandt. Un homme
des médias ne le peut guère, vivre caché : il parle, « intervient »,
débat, répond aux questions, en sachant qu’il doit forcément se plier à
la « sommation à la simplification » (Bourdieu), que l’attention s’évade
lorsqu’on fait une phrase trop longue ou utilise un mot compliqué. Un
philosophe médiatique est entre le marteau et l’enclume (ou la
faucille) : sûrement inconscientes sont les raisons qui le poussent à se
mettre dans cette situation inconfortable - et ce ne peut être la
« gloire », dont les épicuriens, si chers à Michel Onfray, disaient la
quête vaine et « non naturelle ».
Robert Maggiori
Publié par Libération le 14 septembre 2015
Comme on risque de ne pas le voir pendant un bon moment, notre philosophe préféré ; ne soyons pas ingrats !
Mao,
un petit gars du peuple, né dans le sous-prolétariat, particulièrement critique à son égard, mais lui reconnaissant sa fidélité de classe, exprimée souvent, plus au moins maladroitement !
... en mémoire de mon père, héros anonyme du sous-prolétariat, persécuté et torturé par les curés franquistes !
CQFD