@Croa
Hélas !
« Bien sûr, j’ai conçu ce livre ("La Ferme des animaux") en premier lieu comme une satire de
la révolution russe. Mais, dans mon esprit, il y avait une application
plus large dans la mesure où je voulais montrer que cette sorte de
révolution (une révolution violente menée comme une conspiration par des
gens qui n’ont pas conscience d’être affamés de pouvoir) ne peut
conduire qu’à un changement de maîtres. La morale, selon moi, est que
les révolutions n’engendrent une amélioration radicale que si les masses
sont vigilantes et savent comment virer leurs chefs dès que ceux-ci ont
fait leur boulot. Le tournant du récit, c’est le moment où les cochons
gardent pour eux le lait et les pommes (Kronstadt).
Si les autres animaux avaient eu alors la bonne idée d’y mettre le
holà, tout se serait bien passé. Si les gens croient que je défends le
statu quo, c’est, je pense, parce qu’ils sont devenus pessimistes et
qu’ils admettent à l’avance que la seule alternative est entre la
dictature et le capitalisme laisser-faire. Dans le cas des trotskistes
s’ajoute une complication particulière : ils se sentent coupables de ce
qui s’est passé en URSS depuis 1926 environ, et ils doivent faire
l’hypothèse qu’une dégénérescence soudaine a eu lieu à partir de cette
date. Je pense au contraire que le processus tout entier pouvait être
prédit – et il a été prédit par un petit nombre de gens, Bertrand Russel
par exemple – à partir de la nature même du parti bolchevique. J’ai
simplement essayé de dire : “Vous ne pouvez pas avoir une révolution si
vous ne la faites pas pour votre propre compte ; une dictature
bienveillante, ça n’existe pas.” »
— George Orwell, « Lettre à Dwight Macdonald. 5 décembre 1946 »