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Joe Chip Joe Chip 19 octobre 2017 10:12

@Semi Kebab

Heimskringla est victime de son narcissisme, comme beaucoup d’entre nous. Nos mères nous ont élevé comme des petits êtres appelés à vivre une vie exceptionnelle, quand les enfants de la plupart des Français il y a encore à peine un siècle voyaient leur vie toute tracée se dérouler sous leurs yeux, sans même qu’ils aient parfois à prendre des décisions : naître, travailler, nourrir sa famille,
se battre pour son pays, point. Cette aliénation de la vie individuelle au profit du collectif, dont nos aïeux avaient à peine conscience, a été remplacée progressivement par un assujettissement intégral de la vie individuelle à l’égo. Nous sommes devenus nos propres bourreaux, à la fois victime passive de nos choix et esclaves de notre mauvaise conscience, intarissable et obstiné dans notre opposition à la vie. Nous avons grandi dans un monde d’infinie possibilité où nous avons fini par croire que nous étions en quelque sorte désignés, appelés voire prédestinés à accomplir un certain nombre de choses, jusqu’au moment où nous avons fait la découverte des limites au contact du réel (et des femmes). C’est à ce moment-là que chez certains la polarité du narcissime originel tend à s’inverser. L’exceptionnalité de l’enfant se décline alors exclusivement sur un mode négatif et différentiel. On n’est plus là pour faire quelque chose mais pour être autre chose. L’adulte se retourne vers la mère : "Tu as menti !"

Il croit donc être confronté à des problèmes singuliers, alors que ce sont des problèmes relativement répandus au sein de la population masculine, pas très originaux. Mais si je lui dis que ces états d’âme sont triviaux, il va mal le prendre, car il accorde en réalité une très grande valeur à la "différence" qu’il voit ou croit interpréter chez lui, à l’expérience subjective de cette singularité. C’est le narcissisme moderne tel qu’il est révélé dans les Confessions de Rousseau :

Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi.
Moi seul. Je sens mon cœur, et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m’a jeté, c’est ce dont on ne peut juger qu’après m’avoir lu.

Retirer sa souffrance à cet individu moderne, torturé par lui-même et masochiste, serait lui retirer sa raison de vivre. En s’accordant avec la vie et avec le monde, il se sentirait peut-être libéré ou en tout cas un peu réconcilié avec lui-même, mais cela lui demanderait de renoncer à une certaine forme d’orgueil (pas au sens de vantardise) et de grandiloquence qui lui permet de supporter le prosaïsme de la vie quotidienne. C’est le long apprentissage de l’humilité au sens philosophique du terme... le fait d’accorder son existence à la grande trame du monde en intégrant consciemment le caractère à la fois tragique et futile de nos petites histoires personnelles, de nos entreprises ou de nos échecs. 

A lire : les pensées de Marc-Aurèle, ça recadre bien.




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