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Joe Chip Joe Chip 27 mars 2019 11:14

@Yakaa

Ce qu’il dit est faux, cela laisse entendre que les élites françaises ne sont pas responsables de la situation du pays ou de sa perte d’influence. On entend jamais des députés allemands expliquer à la population qu’ils sont pieds et poings liés quand ils arrivent au pouvoir alors qu’ils font partie de l’Europe, je trouve même cela assez honteux et affligeant pour un dirigeant politique de venir faire ce genre de confession quand il n’est plus aux responsabilités, c’est tout à fait le genre de rationalisation que les politiciens français d’après-guerre utilisaient pour se dédouaner de la défaite de 40 et justifier leurs attitudes ou leur absence de décision durant les années 30, à coups de "on ne pouvait rien faire, on dépendait des Anglais, des Américains, des Russes...". 

Et pour cause, en Allemagne les choses sont posées depuis Maastricht et surtout l’arrêt de la cour constitutionnelle de karlsruhe 30 juin 2009 qui a tiré les leçons du référendum de 2005 et décrit clairement l’Europe comme une "organisation internationale" et plus précisément une "union juridique fondée sur le droit international" qui ne peut se prévaloir d’une souveraineté comparable à celle des Etats qui la composent. 

L’Europe des traités est un cadre juridique inspiré principalement par l’ordolibéralisme allemand. Ce cadre n’est pas fédéral ni même confédéral, et n’évolue pas dans ce sens contrairement à ce que clament les eurosceptiques. A l’intérieur de ce cadre (de principes, de règles définies par les traités) les décisions communes sont prises selon la méthode de l’intergouvernementalité qui vise à déboucher sur des compromis a minima âprement négociés

entre Etats souverains, où tout l’enjeu est d’exploiter à son avantage les efforts coopératifs des autres tout en faisant le moins de concession possible. Les décisions sont prises ainsi à la "majorité qualifiée" avec une dimension contraignante, autrement dit les "perdants" de la négociation doivent appliquer les décisions de la majorité qualifiée, y-compris quand celles-ci sont contraires à l’intérêt du pays.

Or, les élites françaises ne cachent pas qu’elles sont perdantes mais n’expliquent jamais pourquoi  :
1) les termes de ces traités ont été ratifiés par le parlement français ; se plaindre de l’application de règles auxquelles on a consenti est une forme d’irresponsabilité, pour ne pas dire de lâcheté. 

2) en adoptant une posture de coopération préalable avec l’Allemagne sur tous les sujets, au nom du sacro-saint "couple franco-allemand", les Français renoncent de facto à leur pouvoir d’influence et de décision au profit d’une stratégie de compromis favorable au pays le plus puissant. Et sur ce point il existe d’innombrables témoignages de pays qui n’attendaient que la France tienne tête à Berlin pour suivre, mais cela ne vient jamais, les responsables français font savoir leur désaccord mais s’alignent par principe sur l’Allemagne. 

Les élites françaises jouent donc un double-jeu depuis 30 ans, mentant sur l’orientation politique de l’Europe et la nature même de l’Union en s’efforçant de dissimuler ce qui ressemble à une impuissance consentie et organisée. Et de ce point de vue, les eurosceptiques transis comme Asselineau entretiennent la confusion en laissant croire que l’Europe serait cette entité "supranationnale" imposant ses décisions à la pauvre France impuissante, ce qui est une caricature bien pratique pour déresponsabiliser les autorités françaises.

Car on voit bien que l’Europe ne pèse rien politiquement. Un mot de Trump ou un froncement de sourcil de XI jiping, et tout le poulailler européen caquète d’effroi en venant chercher à Paris un peu de prestige et de légitimité historique afin de "peser" face à la Chine millénaire. C’est la faute des Français si nous sommes incapables d’utiliser à notre profit nos "avantages concurrentiels" dans le cadre européen. Macron prend la responsabilité et assume le risque politique de dire au président chinois tout ce qui déplaît aux Européens mais au lieu d’utiliser cette posture gaulliste pour défendre nos intérêts et notre position en Europe, il préfère se prévaloir d’une hypothétique "souveraineté européenne" qui ne correspond à aucune réalité politique et juridique, et formule des propositions chimériques que Bruxelles et Berlin s’empressent de rejeter. 
La France est ainsi en première ligne dès que l’Europe est secouée mais n’en retire aucun avantage politique au sein de l’UE, par sa propre faute ou plutôt celle de ses représentants qui consentent à mettre la puissance française au service de l’Europe tout en ayant paradoxalement renoncé à l’utiliser à leur propre profit pour peser davantage dans l’Union. 
 
Dans l’Europe actuelle, il aurait été possible de décider autrement en choisissant par exemple de se mettre à la tête des "pays du sud" pour tenir tête aux Allemands. C’est ce que les Italiens et Espagnols attendaient en 2010 mais au au lieu de ça, les dirigeants français depuis Sarkozy se complaisent dans un rôle de "junior partner" à côté de l’Allemagne, justifiant cet alignement servile par la rhétorique éculée du "couple franco-allemand". Pour l’Allemagne, c’est facile, une France alignée signifie une Europe alignée. Les autres pays ont reçu le message : la France s’est mise hors-jeu en Europe, donc désormais il faut directement négocier avec l’Allemagne sans rien attendre des dirigeants français. 
 
Tout cela est d’ordre politique et n’a rien à voir avec la nature des traités qui sont la conséquence d’une impuissance consentie et organisée plutôt que sa cause. De ce point de vue, Montebourg est un beau spécimen assez représentatif de l’hypocrisie et de la médiocrité des élites françaises depuis 40 ans. 




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