Si on part
du postulat que le média module les interactions sociales et que par conséquent,
une mutation des moyens de diffusion de l’information a pour effet d’engranger
un changement de société, la question qui est posée à 50 min 30 sec est extrêmement
importante et elle oblige à penser que ces transformations vont bien au-delà de
la notion de verticalité et d’horizontalité. Je m’explique :
- Face à la verticalité
des médias institutionnels, à leur monopole du formatage des esprits et à la
propagande oligarchique, l’horizontalité d’internet apparaissait comme un espace
de liberté virtuel qui pouvait permettre à tout un chacun de chercher l’information
de façon autonome, qui possédait un énorme potentiel en termes de pluralisme, d’échange
et de circulation de l’information et qui par ses qualités devait ringardiser la
pensée unique oligarchique.
- Seulement,
l’humain a tendance à s’accrocher à ses croyances, à ses préjugés, à ses idées préconçues,
à son paradigme, tout simplement parce que ces éléments sont constitutifs de
son identité. Ainsi, après un certain temps de rodage, les gens ne vont plus sur
internet pour découvrir des idées nouvelles mais pour confirmer celles qu’ils
possèdent déjà. Pour arriver à ce résultat, d’une part, ils entrent en contact préférentiellement
avec des personnes qui ont des idées similaires aux leurs et d’autre part ils
mettent en place des stratégies d’évitement face à des opinions contraires. Les
usagers se retrouvent donc dans des clans qui les tient au chaud dans leur sorte
de zone de confort intellectuel. Les algorithmes de personnalisation renforcent
cette tendance anthropologique au « tribalisme » puisque les
plateformes renvoient leurs utilisateurs vers des personnes similaires,
réenclenchant ainsi des logiques de groupe pour maximiser la satisfaction
des usager.s Au bout du processus, l’internaute se retrouve enfermé dans ses
propres certitudes, radicalise progressivement ses points de vue et se retrouve
dans l’incapacité ne serait-ce que de prendre en compte l’existence de contenus
dissonants.
-Mon point
est le suivant : si on admet ton postulat de départ Alban, alors force est
de constater que l’émergence du média
internet ne conduira pas seulement à une horizontalisation des rapports sociaux
mais aussi à leur polarisation sectaire ! Finit les grands
clivages des siècles passés qui structuraient les masses, nous entrons à l’ère
de l’atomisation des rapports sociaux en de multiples sectes qui constituent des
bulles au sein desquelles l’information circule dans un cercle contraint. Les
réseaux sociaux sont en fait des machines qui obéissent à des logiques
sectaires fonctionnant en cercle fermé, la multipolarisation des systèmes de
représentation qui en découle et les dynamiques d’enfermement idéologique vont conduire
à l’abêtissement et à la brutalisation du débat public.
Brutalisation
parce que chaque bulle aura tendance à se purger des éléments non conformes
pour se préserver du sentiment d’insécurité lié à la remise en question des
opinions communément admises, et cela passera par des logiques d’exclusions
méprisantes. La controverse ne sera envisagée que pour convertir un adversaire
et si ce n’est pas possible, pour le vaincre par tous les moyens possibles, y
compris par le recours à l’agressivité qui va devenir un registre normal de l’expression.
Abêtissement si l’adversaire a du répondant,
il sera alors inondé de messages vulgaires, trollesques et absurdes dans le but
de l’irriter et de le dénigrer de façon personnelle, ce qui de manière générale
baissera considérablement le niveau des débats.
Comprenons-nous
bien, je ne parle absolument pas de morale, je fais une analyse comportementale
prospective en partant de ce constat : les êtres humains sont des
créatures extrêmement sociales qui construisent leur paradigme conformément à
leurs affiliations à des groupes. Pour donner un
exemple concret, les paranoïaques du grand complot ont fait niche sur internet,
ils ne sont pas les seuls, loin de là mais c’est l’un des groupes les plus à la
pointe dans ce processus de polarisation sectaire. Je pense aussi aux cybers
militants d’un certain parti politique que je ne citerai pas mais bon, tout le
monde aura compris …