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Mao-Tsé-Toung Mao-Tsé-Toung 23 mai 2019 09:31

EXTRAITS (suite)
@Mao-Tsé-Toung

4. « La quantique a été conçue de toutes pièces par quelques théoriciens géniaux »

Toute l’histoire de la physique démontre l’inverse : au tout départ, il n’y a pas une théorie brillante jaillie du cerveau d’un physicien, mais plutôt des expériences menées en laboratoire qui présentent des résultats inattendus. Puis, et seulement ensuite, des théoriciens se penchent sur ces résultats, cherchent à les comprendre, et vont mettre en place de nouveaux concepts, utiliser de nouveaux outils…

La physique quantique n’échappe pas à la règle : au tout départ, il y a quelques expériences qu’on ne comprend pas, l’effet photoélectrique, le rayonnement du corps noir, le spectre lumineux des atomes. Puis viennent les théoriciens géniaux, Albert Einstein, Max Planck, Niels Bohr, qui comprennent que ces expériences révèlent en fait la nature quantique de la lumière et de l’atome. Puis encore quelques expériences fondamentales, des électrons qui rebondissent bizarrement sur du nickel, des atomes d’argent étrangement déviés par un champ magnétique, un métal qui conduit parfaitement à basse température… Et ensuite à nouveau des théories et des concepts, la dualité, le spin, la supraconductivité.

La physique se construit dans ces aller-retour fertiles entre expérimentateurs et théoriciens, et les expériences viennent souvent en premier, sauf rares exceptions (par exemple la prédiction de l’antimatière ou du boson de Higgs). Dans un petit livre que je viens d’écrire, « Mon grand mécano quantique », je raconte ainsi onze de ces expériences clés de l’histoire de la quantique, et comment elles ont suscité des avancées théoriques majeures comme la supraconductivité, découverte en 1911 mais comprise seulement en 1957 !
L’invention de la supraconductivité. Crédits : Petites histoires quantiques, Marine Joumard, coll., _La physique autrement_
5. « Einstein a été le pire ennemi de la quantique »

Pauvre Einstein ! On l’affuble souvent du rôle d’opposant acharné de la quantique. Sa célèbre phrase Gott würfelt nicht (« Dieu ne joue pas aux dés ») y est pour beaucoup. Pourtant, non seulement Einstein n’est pas opposé à la quantique, mais mieux : il en est à l’origine ! C’est en 1905, suite aux travaux de Max Planck, qu’il écrit un article fondateur. Il y propose que la lumière est composée de petits corps individuels et quantifiés, les photons. Il recevra même le prix Nobel pour ce travail et non pour sa théorie de la relativité. Ce n’est pas tout. Einstein a écrit plusieurs autres articles majeurs en quantique, par exemple la prédiction de la condensation de Bose-Einstein, ou l’idée de l’émission stimulée qui permettra l’invention des lasers.

Alors pourquoi cette réputation ? Tout vient des débats qu’il a eu avec Niels Bohr, notamment sur la notion d’interprétation et de réalité quantique. La quantique décrit-elle vraiment le monde réel, qui serait alors intrinsèquement probabiliste ? N’y aurait-il pas des variables cachées qui permettraient de mieux comprendre certains des plus grands paradoxes de la quantique ? Ces passionnants débats vont culminer avec un article qu’il écrit en 1935 avec Podolsky et Rosen où il réfute l’idée de non-localité. Plus tard, des expériences d’intrication et de violation des égalités de Bell lui donneront tort et montreront l’absence de variables cachées : Dieu semble finalement bien jouer aux dés… Gardons juste en tête qu’Einstein reconnaissait pleinement la pertinence de la physique quantique pour décrire le monde à petite échelle, qu’il admirait la justesse de ses prédictions, mais qu’il avait juste des soucis avec certaines de ses implications, notamment liées à la notion de localité.
6. « La quantique ne sert à rien »

Comme toute recherche fondamentale, la physique quantique n’a pas à se « justifier » d’être utile. Comprendre comment fonctionne le monde à l’échelle de l’atome a été, à mon avis, une des plus grandes conquêtes de l’esprit humain, même si cela ne devait finalement servir à rien ! Mais rassurez-vous, la quantique est probablement la discipline la plus utile de la physique moderne. Car une fois que les physiciens ont compris le fonctionnement de la lumière, des atomes et des électrons, ils ont été capables les manipuler. Ils sont ainsi passés du stade de la compréhension à celui de l’invention. Le laser est souvent cité comme magnifique exemple d’invention quantique. Mais il n’est pas seul : l’IRM dans les hôpitaux, les diodes électroluminescentes (LED), les mémoires flash, les disques durs, tous ont été inventés par des physiciens de la quantique.
Les lasers, les trains à lévitation, ou l’IRM, des applications de la quantique. Mon grand mécano quantique, Marine Joumard, Ed. Flammarion

Mieux encore, le transistor, ce petit composant qui se niche dans tous les microprocesseurs au cœur de vos smartphones et ordinateurs préférés, ce transistor à l’origine de la révolution numérique a été inventé par trois physiciens de la quantique, William Shockley, John Bardeen et Walter Brattain. Et de nombreux chercheurs et ingénieurs travaillent à concevoir aujourd’hui, en laboratoire, les inventions quantiques du futur, comme les ordinateurs quantiques, mais aussi de nouvelles cellules photovoltaïques, des composants thermoélectriques, de nouvelles sources de lumière ou de nouvelles méthodes pour les télécommunications.
7. « La quantique pourrait expliquer certaines médecines alternatives ou autres phénomènes mystérieux »

De nombreuses croyances en des phénomènes paranormaux ou en certaines « médecines » se réclament ou s’inspirent de la physique quantique. Un des plus célèbres défenseurs de cette approche, l’indo-américain Deepak Chopra, a développé une sorte de mysticisme quantique, où il utilise tout un jargon scientifique pour justifier d’une sorte de spiritualité New Age, à coup de « champs énergétiques », « d’onde de probabilité », de « réharmonisation énergétique », ou de « dualité ». Tout cela l’amène à supposer certains liens quantiques entre pensée, conscience, matière et univers.

De même, des « médecines quantiques » proposent des soins en envisageant le corps comme un « champ vibratoire et énergétique », siège d’« états vibratoires » ou bien de « bio-résonances ». Ces « médecines » proposent à la vente tout un appareillage aux noms savants pour « corriger les déséquilibres énergétiques », voire mesurer les « biofeedbacks ».

Deux procédés malhonnêtes sont ici à l’œuvre. D’abord, « faire scientifique », c’est-à-dire légitimer son discours avec des termes scientifiques. Ces pseudosciences exploitent le fait que la quantique semble mystérieuse afin d’expliquer d’autres « mystères ». Mais, nous venons de le montrer, la quantique n’est pas mystérieuse. Elle est vérifiée par l’expérience non seulement en laboratoire mais aussi dans notre quotidien, à l’œuvre quand on allume une prise électrique ou qu’on utilise son smartphone. Alors qu’aucun des phénomènes décrits par ces médecines ou croyances n’a de base scientifique ou n’a pu être vérifié scientifiquement. Et surtout, les mots ont un sens très précis en physique quantique qui n’ont rien à voir avec leur emploi abusif dans ces pseudosciences.

Une autre tricherie consiste à extrapoler à notre échelle les propriétés quantiques. Après tout, notre corps est bien composé d’atomes, qui, eux, sont quantiques, alors pourquoi pas ? Soyons clairs : les propriétés quantiques comme la superposition d’état ou la quantification cessent à notre échelle. On a été capable ces dernières années de le démontrer en laboratoire, grâce à des expériences menées entre autres par Serge Haroche récompensé par le prix Nobel en 2012. Les physiciens ont montré que dès qu’un objet interagit trop avec son environnement et qu’il est trop gros, il cesse d’être quantique. À notre échelle, les « objets » comme le cerveau humain sont donc tout simplement trop volumineux, nos températures terrestres trop élevées, sans compter l’air qui nous entoure, pour qu’un être humain puisse présenter un comportement quantique.

Je ne veux pas pour autant me poser en une sorte de censeur moralisateur qui déciderait le vrai du faux du haut de sa science. Je ne condamne ni ne juge ceux qui veulent tester ces pratiques. Elles relèvent du champ de la croyance, non de la science, et libre à chacun de s’y adonner. Je demande juste d’arrêter de faire croire qu’elles s’appuient sur des bases scientifiques issues de la physique quantique, car c’est tout simplement faux.

Voilà. J’espère, avec cette petite liste, avoir un peu démystifié la physique quantique, un champ scientifique finalement… comme les autres !
Une équation qui questionne. Physiciens des solides, Chloé Passavant, coll., _La physique autrement_




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