On débouche maintenant dans cette
discussion sur la question de la confiance envers les institutions académiques et
scientifiques. C’est pour moi là le fond du sujet. Ça va faire un moment que
quelque chose me dérange fortement mais je n’arrive pas à le formuler de façon
adéquate. Est-ce qu’avoir confiance en
une parole scientifique , c’est avoir la certitude qu’elle dit vrai ? Ou
alors c’est considérer simplement qu’elle a moins de chance de se tromper qu’une
autre parole ?
Personnellement , je me situe dans la
seconde perspective , on parlait sur un autre fil de la sociologie , eh bien je
disais justement avoir plus confiance en des études sociologiques pour décrire
la société qu’aux intuitions , aux ressentis , aux raisonnements , au vécu des
uns et des autres. Mais cela ne veut pas dire pour autant que pour moi les
études sociologiques disent la vérité absolue et incontestable au point que je moquerai
ou anathématiserait comme des hérétiques les gens qui en douteraient , je suis
bien conscient que ces études ont de grosses limites , je considère simplement
qu’elles ont moins de chance de se tromper que les autres méthodes de
description de la société. Et c’est ma position vis-à-vis de la parole
scientifique en général , y compris dans les sciences exactes , il m’est
impossible d’affirmer qu’elle dit vrai avec une certitude absolue même si dans
de nombreux domaines , je considère que cette parole est supérieure à toute les
autres.
Ce qui me dérange , c’est que j’ai la
très forte impression qu’il y’a un glissement : de la confiance en la parole
scientifique qui s’exprime par le fait qu’on considère qu’elle a moins de chance
de se gourrer que les autres , on passe de la certitude absolue qu’elle dit des
vérités incontestables sous peine de passer pour un imbécile ou pire , de se
faire anathématiser dès qu’on exprime le moindre doute. Je suis désolé mais je n’ai pas la certitude absolue que la
terre n’est pas plate , que le ciel n’est fait d’un revêtement de tôle bleu
clair ou que la planète Neptune existe réellement. Je n’ai même pas la certitude
absolue que le monde tel que je le perçois n’est pas une simple manifestation
de mon esprit , je sais que j’existe mais je n’ai pas du tout la certitude que
le reste existe vraiment indépendamment de ma propre existence. Dès lors , comment
pourrais-je rationnellement avoir des certitudes absolues pour quoi que ce soit ?
Seulement ,
je considère que la méthode scientifique est la meilleure pour déterminer la
forme de la terre , la structure physique du ciel et l’existence des corps célestes
, et c’est à ceux qui contestent les découvertes scientifiques que revient la
charge de prouver qu’elles sont fausses , jusque là je considérerai qu’elles
sont vraies , c’est là que réside ma confiance et non dans une certitude à
100 % qui relève selon moi de la croyance et par conséquent de l’irrationnel.
Et ce n’est
pas grave d’avoir des croyances , j’en ai moi aussi , mes croyances religieuses
sont les seules certitudes absolues que je m’autorise à avoir , tout simplement
parce qu’elles donnent sens à mon existence mais je ne les fais pas passer pour
ce qu’elles ne sont pas , j’essaie d’être lucide vis-à-vis de ce qu’elles sont
, à savoir de simples croyances que d’autres peuvent ne pas partager. Là , avec
cette histoire de confiance en la parole scientifique , j’ai l’impression que
des gens essaient de faire passer leur propre croyance pour des vérités socialement
incontestables : la science est pour eux une forme de Dieu et les scientifiques
en sont les prophètes et ça , ça me dérange. Si on ne peut pas vivre ensemble
parce qu’il faut aux communautés humaines des croyances communes pour
constituer une forme d’extériorité qui a pour vertu de les souder et que ces
croyances se sont déplacées du religieux vers la science moderne , alors soit ,
mais dans ce cas ne nous mentons pas ,
voyons la vérité en face et là le délit de doute sera tout de suite plus
acceptable.