@Joe Chip
Théoriser
souveraineté et puissance séparément est une nécessité puisque ces deux
concepts ne renvoient pas à la même chose. Lorsque la Russie fabrique des armes
hypersoniques , c’est sa puissance qu’elle développe. Le droit de décider par elle-même
de sa politique industrielle militaire relève cependant de sa souveraineté. Quand
la France cède ses turbines nucléaires à un groupe américain , c’est sa puissance
qu’elle sape , cette affaire n’a rien à voir avec une perte de souveraineté ,
ce genre d’interprétation est liée à une confusion entre ces deux concepts.
C’est
la puissance qui est mesurée dans un jeu de relation et de contraintes et non
la souveraineté ( c’est
précisément ce que j’expliquais à l’époque ) , un Etat est toujours
puissant par rapport à d’autres Etats, la puissance en soi n’a pas de sens politiquement
parlant , elle ne peut être évoquée que
dans une optique comparative au sein d’un système hiérarchique. La souveraineté
, quant à elle , ne fait référence qu’au corps politique en lui-même , c’est un
concept en soi : une communauté
politique n’est pas plus ou moins souveraine qu’une autre , elle est souveraine
ou elle ne l’est pas , et si elle ne l’est pas , c’est qu’elle n’ a pas le
droit de décider d’elle-même de ses actions. Par ailleurs de minuscules puissances peuvent être
souveraines et de grandes puissances peuvent ne pas l’être , inversement de
grandes puissances peuvent être souveraines et des petites puissances peuvent
ne pas l’être. Et ça , c’est quelque chose que ne peuvent pas percevoir ceux
qui ont une conception tellement extensive de la souveraineté qu’ils y
intègrent des paramètres relevant de la puissance. C’est d’ailleurs cette
confusion qui fait qu’on évoque la souveraineté à tout propos et que ce concept
connait cette inflation qu’on voit aujourd’hui , il ne veut plus dire grand-chose
dans le discours public et concomitamment le concept de puissance a quasiment disparu.
Par exemple , la question de la pseudo -extraterritorialité
du droit américain est typiquement une question qui relève de la puissance et
serait l’occasion de développer un vrai discours dessus mais les gens préfèrent
hurler « souveraineté » , « souveraineté » comme un mantra
, c’est devenu un concept fourre-tout qui me fait de plus en plus penser à « démocratie » , à force de
tout mélanger le discours ambiant sur la souveraineté ne permet même plus de
penser la puissance et de formuler des propositions adéquates pour l’accroitre.
La
corrélation entre souveraineté et puissance n’existe que dans la mesure ou un
Etat qui perd sa souveraineté a plus de chances de perdre aussi sa puissance (
ou de ne jamais la développer ) qu’un Etat qui la conserve et que la puissance
est un moyen de préserver sa souveraineté. Je ne vois pas ce que l’autarcie
vient faire ici , je ne confonds pas souveraineté et autarcie , je ne suis pas
un autarcique , ce n’est pas parce qu’on est pour le droit d’une communauté
politique à décider d’elle-même de son destin qu’on est pour qu’elle se
renferme sur elle-même en vivant seulement de ses propres ressources. Encore
une fois cette conception exclusivement autarcique
de la souveraineté n’est possible qu’en faisant une confusion entre souveraineté
et puissance : puisqu’établir des relations avec d’autres entraine des
contraintes et que les contraintes sont forcément une perte de souveraineté (
ce qui est faux ) , alors seule l’autarcie permet la souveraineté puisqu’elle supprime
les contraintes extérieures. Ce genre de pensée n’a pas de sens quand on distingue
souveraineté et puissance.