Sur la forme,
comme prévu c’était une foire d’empoigne dont on ne peut rien tirer. C’est chez
Taddei qu’il fallait aller pour que ça ne se termine pas comme ça. La
journaliste est très mauvaise, c’est la plus insupportable du trio. Sifaoui est
passé à côté du débat en coupant la parole à Zemmour en permanence, se montrant
vindicatif, en envoyant des piques puériles à son contradicteur et en étant à
la limite de l’insulte et du manque de respect, on dirait que ce type n’a pas
compris qu’on peut être poli et courtois tout en défendant âprement sa position
avec des arguments tranchants, son agressivité a affaibli son propos. Et c’est
dommage pour lui car il avait les outils conceptuels pour s’offrir la tête de
Zemmour sur un plateau.
Sur le fond,
je n’ai pas beaucoup de considération pour Sifaoui mais il m’a agréablement
surpris lorsqu’il a dit « Vous avez exactement la même approche
de l’islam que les salafistes. En approchant l’islam par le littéralisme, vous
faites exactement ce que font les islmamistes » ou encore « L’islam
n’est pas une personne physique, l’islam est ce qu’on en fait, ce que chaque
individu peut en faire, comme le christianisme, comme le judaïsme,
comme toutes les religions »
. Là on voit que Sifaoui a très bien compris le
paradigme de Zemmour et ses biais cognitifs, s’il ne s’était pas éparpillé en cherchant
à régler ses comptes il aurait pu déconstruire en direct le cadre
épistémologique de Zemmour.
Chez Zemmour, tout part d’une lecture
fondamentaliste du fait religieux. Le problème avec cette méthode,
c’est que le dogme est étudié hors contexte, c’est-à-dire que de sa lecture, il
va déduire une essence du fait religieux et va voir la société par son
prisme, cela va poser d’énormes problèmes de biais de confirmation d’hypothèse puisqu’il ne prendra en compte que ce qui correspond à cette essence et rejettera le reste. Concrètement , cette lecture fondamentaliste va le mener à conclure que l’islam
est un bloc et une communauté homogène organisée de façon totalitaire alors que
des études comme celle de l’institut Montaigne concluent qu’il n’existe ni «
communauté musulmane », ni « communautarisme musulman » unique et organisé mais
qu’il existe des Français de culture et de confession musulmane, dont le
sentiment d’appartenance à la communauté musulmane est, d’abord et avant tout,
individuel. Mais cela Zemmour ne peut le reconnaitre puisque ça ne cadre pas
avec sa lecture fondamentaliste. C’est là qu’il va répondre que l’islam est
holistique par essence et que par conséquent « il ne faut pas parler en terme individuel,
il faut parler en termes de masse » comme il a dit pendant le débat. Et là, il faut
immédiatement rebondir en le prenant au mot :« Alors parlons en
termes de masse monsieur Zemmour, des études sociologiques de ces masses montrent
que l’islam politique progresse en France mais reste très
minoritaire, comment l’expliquez-vous alors que vous prétendez que « l’islam
est politique par essence », comment comprenez-vous cette disjonction entre
cette essence de l’islam que vous prétendez connaitre et la réalité
sociologique de la masse des musulmans français ? » Et cela doit
suffire à montrer que Zemmour ne s’intéresse ni aux individus, ni aux grandes
masses, ce qui l’intéresse réellement c’est la prétendue essence de l’islam.
Voilà le biais : lorsque les pratiques islamiques concrètes des individus se décrivant
musulmans ne correspondent pas à son essentialisme, Zemmour n’en tient pas compte,
pour lui ces gens-là sont simplement de mauvais musulmans, ils n’ont aucune
importance et aucun impact quand bien même ils seraient majoritaires. Par
contre, dès que ces pratiques correspondent à son essentialisme, là ça l’intéresse
puisque c’est selon lui le véritable islam et quand bien même elles sont
minoritaires, il leur donne une importance capitale et fait de ceux qui les
pratiquent les véritables représentants de l’islam. Pour boucler la boucle, il finit par confondre ces musulmans "essentiels" avec la grande masse et les nomme « les musulmans »
en omettant le fait qu’ils sont minoritaires. Et voilà comment Zemmour
construit le péril islamique, la pluralité sociale et les différences de
perception au sein de la catégorie des Français de confession musulmane sont gommées par une lecture fondamentaliste
et essentialiste.
C’est le grand
biais d’analyse de ceux qui se limitent à l’étude de la religion en tant que dogme
théologique et qui s’abstiennent de produire une analyse contextuelle du fait
religieux et de ses manifestations sociales concrètes, c’est ce que Jacques
Sapir a tenté d’expliquer gentiment à Zemmour lorsqu’ils ont débattu mais il n’avait
pas compris.