@micnet
Réponse
en trois temps :
- Concernant
le fait que le système technicien génère des experts à qu’il se compartimente
et se complexifie, oui c’est tout à fait juste et c’est un effet structurel
tout à fait logique. Une fois qu’on a dit ça, il faut faire la part des choses
sinon on sombre dans une confusion qui est savamment
entretenue par les personnes qui ont un cadre de pensée industrialiste.
Tous les
choix ne sont pas des choix d’expertise ! Cette petite phrase permet à elle seule d’échapper au cadre
de pensée industrialiste et de délégitimer l’idée du gouvernement des experts. Et
précisément les plus grands choix politique échappent à l’expertise. Par plus
grands choix politique j’entends celles qui concernent la construction
collective du sens et de l’orientation que l’on veut donner à sa nation, cela ne
peut être que le fait d’une entité politique qui définit une fin commune qui
sera considérée comme un bien et poursuivie en tant que telle par la
communauté de destin. Cette entité politique, ça peut être une oligarchie (
comme c’est généralement le cas) mais ça peut être aussi l’ensemble du corps
politique. Dans tous les cas, ces grands choix échappent à l’expertise, ils relèvent
de la conception de la justice et des intuitions morales consubstantiels à l’intersubjectivité
du collectif et à l’évolution des valeurs qui l’animent. L’expert est au
service du politique, son rôle est de poursuivre cette fin commune (sur
laquelle il n’a pas de mot à dire en tant qu’expert) en étant aussi efficace que
possible ( ça veut dire par exemple en ne gaspillant pas les ressources). Et ce
principe fonctionne indépendamment de la complexité technique d’une société.
Toute l’arnaque de la fiction industrialiste consiste à faire croire que ce choix
de la finalité et de l’orientation de la société n’existe pas, ce qui permet
aux oligarques d’imposer leur propre finalité et d’orienter la société selon
leurs propres aspirations tout en prétendant qu’il n’existe pas d’autres choix
possible, et ainsi l’enjeu devient de se focaliser sur la complexification
technique de la société et d’imposer des solutions techniques pour parvenir à la
destination qu’ils se sont eux-mêmes fixés sans que les peuples n’aient leur
mot à dire. Re-hierarchiser le politique et l’expertise est le vaccin qui
permet de vaincre ce virus de l’industrialisme qui est instrumentalisé par les
oligarchies pour délégitimer habillement l’idée même de souveraineté populaire.
-Sur le fait
que les citoyens ne se sentent pas concernés, vous avez raison, c’est même le
point clé. Lorsqu’un peuple considère que se préoccuper de la cité est une
corvée épuisante et préfère en confier la gestion à des professionnels pour ne
pas se prendre la tête ( ce qui est l’antithèse de la citoyenneté ), il ne faut
pas à s’attendre à ce que ce peuple soit traité par ces mêmes professionnels comme
des enfants n’ayant pas leur mot à dire, il n’y a pas de miracle là, c’est
prévisible et un tel peuple ne peut que s’en prendre qu’à lui-même. Cependant,
il faut aussi rajouter que se manque d’implication n’est pas une situation de
nature qui est éternelle, c’est une question de culture politique et ça peut
changer en fonction des nécessités et des circonstances.
-Concernant
le confinement, je fais partie de ceux qui l’approuvent (ce qui ne m’empêche
pas d’être extrêmement critique vis-à-vis de la gestion gouvernementale). Je ne
vais pas détailler les raisons qui m’amènent à l’approuver puisque ce n’est pas
le fond de votre propos qui concerne avant tout l’absence de débat à ce sujet
et non la stratégie de confinement en elle-même.
Je suis en
faveur d’une plus grande participation des citoyens dans les processus
décisionnels, donc je devrais en principe être d’accord avec vous sur l’opportunité
de débattre de la stratégie à adapter. Mais il y’a quelque chose à prendre en
compte, et c’est que le temps de la crise n’est pas un temps démocratique, c’est
le temps de la dictature ( dans le sens romain du terme). Face à une menace exceptionnelle,
les procédures délibératives sont néfastes du fait de leur lenteur, il faut au
contraire une concentration des pouvoirs de délibération et d’exécution en un
petit nombre d’individu et au mieux en une seule personne qui agira le plus
rapidement et le plus efficacement possible. Lorsqu’un Etat se retrouve par
exemple envahit par surprise par une puissance étrangère, une délibération et
une prise de décision démocratique sur la stratégie à adopter relèverait du
suicide, il faut un chef qui décide et commande pour faire rapidement face au péril.
Malheureusement, on ne répond pas à des maux extraordinaires avec des remèdes
ordinaires, et la dictature s’est pour cela illustrée traditionnellement comme
le recours républicain par excellence pour faire face à une menace exceptionnelle.
Mais il lui faut des garanties constitutionnelles de taille sinon on bascule
sur une abolition définitive des droits individuels et à ce titre note régime a
de si grandes insuffisances et angles morts que je partage totalement votre
inquiétude pour nos libertés formelles.