@Norman Bates
« une
position politique basée sur la déloyauté, le refus du débat à armes égales,
l’impossibilité de s’adresser à l’intelligence et l’esprit critique des gens... »
Mais
justement, ça découle d’une certaine vision de la cité. J’ai déjà échangé avec
les gens qui sont contre la liberté d’expression et qui l’assument, il faut
comprendre que chez eux, la notion de « masse » est prégnante. Et une
masse, ça ne réfléchit pas, ça n’a pas d’esprit critique ou d’intelligence, c’est
un amas qui réagit aux émotions et aux affects. Et dans ce contexte parler de
s’adresser à l’intelligence et l’esprit critique des gens est pour eux d’une naïveté
déconcertante. Pour eux, il n’y a de combat à armes égales et de loyauté que si les
interlocuteurs partagent une certaine éthique du débat, ce qui est rarement le cas,
le débat se résume alors à l’usage de ruses rhétoriques et à la manipulation
des affects et des émotions, dans une assemblée ce sont les sophistes qui l’emportent
systématiquement selon eux. Et ces sophistes ont une vraie conception politique
de l’usage parole qui ne servirait pas à distinguer le vrai du faux dans un
débat éclairé mais à faire gagner son camp et faire prévaloir ses intérêts par
tous les moyens possibles. Le débatteur naïf se retrouverait donc dans la
position de celui qui joue aux échecs avec un pigeon, il aura beau avancer de
bons raisonnements mais le pigeon arrive et renverse les pièces, chie sur
l’échiquier et s’en va avec l’air supérieur sous les applaudissements de la
foule. D’autant plus que les arguments que l’on avance en s’inscrivant dans un cadre rationnel sont plus longs, plus difficile à construire, donc moins sexy
alors que du côté de la personne qui a une volonté de manipuler les affects,
les réflexes, les instincts, son propos demande moins de rigueur, il ne requiert
que des formules lapidaires caricaturales qui demandent à ses contradicteurs beaucoup
plus de temps et d’effort pour les réfuter qu’il n’en a fallu pour les formuler,
face à une foule constituée de gens qui préfèrent « ressentir » dans
leurs tripes plutôt que de faire fonctionner leurs cerveaux pour découvrir les
faits et en juger de façon éclairée, c’est peine perdue. Orwell
avait publié un article avec une vidéo très intéressante à ce sujet.
Certains ne
s’arrêtent pas à ce constat et vont plus loin en recommandant de faire taire
les manipulateurs et il n’y a pas de contradiction car ces personnes ne se
présentent pas comme des « démocrates », ils conchient ouvertement la
liberté d’expression et l’assument. Cela va sans dire que cette vision n’est
pas la mienne, je considère que leur remède et pire que le mal qu’il est censé
soigner et j’ai de nombreux contre arguments ( auxquels on peut répondre par d’autres
contre-contre arguments et ainsi de suite) mais elle n’est pas idiote, elle découle
d’une certaine conception de la cité que je ne partage pas. D’où l’existence d’un
antagonisme politique. Et moi, je n’ai aucun problème avec l’antagonisme
politique, il est normal d’avoir des opinions divergentes sur l’organisation
collective, je ne considère pas que ceux qui défendent des conceptions de la
cité différente de la mienne, y compris celles qui me répugnent profondément,
sont par principe des fourbes, des lâches, des crétins, des malhonnêtes ou
seraient affectés par je ne sais quelles tares. Je n’ai donc rien contre ces
personnes qui assument être contre la liberté d’expression, je reconnais simplement
l’existence d’un antagonisme inconciliable. Cela dit, malgré cette opposition
franche et honnête, ils me permettent de remettre en question ma propre vision et
de l’améliorer en n’idéalisant pas l’esprit critique.