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Joe Chip Joe Chip 2 janvier 2021 22:28

Déjà, de quoi on parle quand on dit "la gauche" aujourd’hui... il est pratiquement devenu impossible de définir ce terme sur le plan économique ou même social : il n’y a plus de prolétariat au sens marxiste du terme, il n’y a même plus de classe moyenne ou de salariat vraiment homogène mais une "atomisation" des conditions qui rend toute lecture de classe difficile, raison pour laquelle d’ailleurs une partie de "la gauche" s’investit maintenant dans les luttes identitaires, là où les lignes de fracture sont claires et visibles, même lorsqu’elles sont en grande partie subjectives : résultat, alors que "la gauche" marxisante n’avait que le mot "réel" à la bouche il y a 40 ou 50 ans, aujourd’hui c’est la subjectivité qui prime dans l’analyse de la société et des rapports de force, et pas n’importe laquelle, la subjectivité revendiquée, assumée comme parti pris légitime. C’est déjà une énorme différence par rapport à la gauche historique qui faisait du dépassement jusqu’au refoulement parfois excessif de la subjectivité (associée à l’idéalisme bourgeois trompeur) la condition même du combat politique. Ca peut d’ailleurs aller très loin, certains militants de gauche américains défendent ouvertement l’idée de déconstruire une partie de la réalité historique en d’en livrer une version délibérément mensongère 
pour correspondre à leur vision idéologique de la réalité, en protestant, par exemple, contre tel jeu vidéo se déroulant dans la Bohême médiévale dans lequel on ne verrait aucun noir (ce n’est pas un délire de ma part, ça a existé), ou en demandant le remplacement systématique de tel ou tel personnage associé au canon du récit héroïque occidental par un personnage issu d’une minorité visible, et ce en dehors de tout contexte ou cohérence historique. 
Et quand la question sociale est posée, elle est presque systématiquement mise à côté de la question de "l’origine" au sens identitaire du terme qui est même devenue la question première pour une partie de "la gauche". Aux USA certains sociologues s’alarment par exemple que l’augmentation exponentielle de la consommation de drogues dures ou de l’illettrisme au sein du "prolétariat blanc" soient quasiment devenues des tabous pour une partie de la gauche américaine. Les socialistes américains sont d’ailleurs assez critiques aujourd’hui envers les tenants des "identity politics" auxquels ils reprochent d’avoir bradé la question sociale au profit de luttes faisant parfois le jeu des capitalistes.
Et en France, plus personne à gauche (à part peut-être un Piketty de manière assez abstraite et théorique et un Lordon dans un registre confidentiel et un peu sectaire) ne parle réellement d’économie, du niveau des salaires, de la généralisation de la précarité... en revanche il est chaque jour question dans les médias (et bien sûr sur les réseaux sociaux) de religion, de race et d’identité, Macron d’ailleurs prenant bien soin de brosser les uns et les autres dans le sens du poil avec son "en même temps". Car autant il était difficile de confondre défense du capital et défense du prolétariat sans se compromettre intellectuellement ou idéologiquement, autant l’identité est un critère beaucoup plus fluide et subjectif qui permet de balancer d’un côté ou de l’autre en fonction de l’actualité ou du public visé, rendant ainsi possible toutes les manipulations. Un coup je dénonce ces gauchistes adeptes du chaos reprenant les thèses indigénistes et coloniales, un coup je te balance en interview une petite périphrase sur le "crime de l’humanité" de la colonisation et le privilège blanc. Le pire c’est que cette incohérence marche sur le plan politique, un peu comme si les gens avaient acté le fait que la politique ne pouvait plus consister qu’à dire aux uns et aux autres ce qu’ils avaient envie ou besoin d’entendre. Ainsi se côtoient dans l’espace publique des discours opposés que tout le monde finit par tenir pour un peu vrai, chacun reconnaissant dans la subjectivité de l’autre le reflet inversé de sa propre subjectivité. Un Macron peut ainsi dénoncer simultanément la culture de la victimisation tout en affirmant l’existence du privilège blanc, sans que cela ne dérange personne. C’est un peu comme si je disais que les gens qui croient aux extraterrestres sont des mythomanes délirants, tout en concédant qu’il y a sans doute une part de vérité dans les histoires d’ovnis et de petits hommes verts (ou gris, pas d’essentialisme...). 
Donc aujourd’hui, c’est difficile de dire ce qu’est un pauvre, un prolétaire, ou un homme (ou une femme, pas de sexisme) de gauche en se contentant de citer des indicateurs économiques objectifs. En revanche tout le monde voit ou croit savoir ce qu’est un "musulman", un "français de souche", voire un "bobo" qui est devenu un terme identitaire fustigeant des habitus culturels identifiés à une partie de la classe moyenne urbaine. 




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