(extrait)
L’anti-complotiste se contente la plupart du temps d’énoncer la thèse (officielle s’entend), le complotiste est contraint
de travailler, d’approfondir à la fois la thèse et l’antithèse.
Ainsi, le complotiste a une connaissance fine de la version officielle
et des arguments de la version opposée. Cela le contraint à chercher et à
ausculter plus profondément les faits, à les présenter dans un ordre
cohérent et à les soumettre à un examen critique poussé.
Tandis que l’anti-complotiste n’a qu’à répéter la thèse officielle
sans avoir besoin de la justifier, le complotiste est obligé de chercher
des preuves solides à l’appui de ses propos et finit par acquérir une
connaissance bien plus large que celle de l’anti-complotiste qui a borné
son champ d’investigation parce qu’il lui suffit de citer une source
« prestigieuse » pour gagner la bataille du pouvoir médiatique et la
considération de ses pairs.
Que ce soit, par exemple, pour le 11 Septembre ou le réchauffement climatique anthropique, seuls les complotistes appliquent le principe du contradictoire,
principe fondamental à la fois pour les journalistes, les historiens et
les juges qui devraient examiner méthodiquement et en profondeur les
thèses en présence avant de se prononcer sur le fond de l’affaire dont
ils s’occupent. L’anti-complotiste ne voit pas l’absurdité de sa
position qui consiste à penser que la version officielle est toujours la
bonne (comme la raison du plus fort). Ce qui revient à interdire toute
alternative, toute contradiction, toute possibilité de remettre en cause
la version des faits une fois qu’elle a été estampillée par le sceau
officiel et crachée sur les ondes des médias dominants.
L’anti-complotiste confine ainsi le réel dans une forme figée pour
les siècles des siècles. Il se comporte comme le gardien d’une prison où
les faits récalcitrants sont tenus en joug et passés à tabac, loin du
regard des foules, tant que leur volonté d’indépendance et de franchise
n’a pas été brisée. Il rééduque et torture les faits qui ne suivent pas
ses mots d’ordre ou son catéchisme et ne les relâche dans l’arène
publique qu’une fois qu’ils ont perdu leur prétention à dire leur part
de vérité. Le complotiste libère les faits cadenassés qui retrouvent
tout leur sens caché et leur autonomie, il les rend à l’air libre où se
meuvent à leur aise la vérité et le réel.
Enfin, le complotiste cherche à donner du sens à ce
qui, apparemment, n’en a pas toujours. Il ne se contente pas de laisser
l’inexplicable inexpliqué. Si trois immeubles s’effondrent sur eux-mêmes
alors que seulement deux ont été percutés par des avions, le
complotiste essaie de comprendre ce phénomène étrange en convoquant des
causes humaines et physiques qui sont dans l’ordre naturel des choses.
Là où l’anti-complotiste, à court d’idée et d’arguments, finira pas se
contenter de hausser les épaules, le complotiste, ira chercher des
causes humaines (des volontés) si les causes physiques (mécanique des
corps et mécanique des fluides) ne sont pas suffisantes.
De son côté, l’anti-complotiste, n’hésitera pas à réinventer les lois
de la physique, juste pour l’occasion, afin de s’interdire de penser
au-delà de la thèse officielle. Car, s’il devait s’aventurer sur le
terrain glissant d’une hypothèse alternative, cela pourrait le conduire à
devoir désigner un coupable inattendu, à découvrir un acte humain,
voire une entente entre plusieurs personnes conscientes de leurs actes.
Ainsi, pour expliquer l’absence de débris d’avion sur le Pentagone ou
sur le site de Pennsylvanie en septembre 2001, l’anti-complotiste
invoquera la possibilité que les avions se soient gazéifiés (thèse
défendue par le très « prestigieux » journal Le Monde),
ajoutant de la sorte quelques règles nouvelles aux lois de la
thermodynamique. Il ne lui viendrait jamais à l’esprit qu’un mensonge
volontaire se cache peut-être derrière l’inexplicable. Dans le même
ordre d’idée il en vient à voir, dans les guerres menées par les
démocraties occidentales, des événements naturels que ne guident aucune
pensée maléfique ni volonté humaine.
Pour résumer les avantages méthodologiques de son approche, on peut
dire que le complotiste travaille plus que l’anti-complotiste, connaît
mieux son sujet et les arguments des parties en présence, ne se repose
pas sur des arguments d’autorité pour avancer ses idées et accumule les éléments de preuve pour justifier ses propos et donner du sens aux événements et aux faits qui se déroulent devant lui.
Ce sont là des raisons qui expliquent que les anti-complotistes ne
répondent presque jamais positivement aux offres de dialogue que leur
font les complotistes : ils savent, en effet, qu’ils finiront
généralement déboités par les arguments de leurs contradicteurs. Pour
justifier un tel refus, ils rangent volontiers leurs adversaires sous
l’appellation générique et bien commode du « camp de la haine », mettant
ainsi entre eux et les complotistes une sorte de cordon sanitaire émotionnel qu’il serait difficile et dangereux pour tout un chacun de rompre impunément. Cette technique de la rhétorique de disqualification
utilisée à l’encontre du complotiste, à la quelle vient généralement
s’ajouter des menaces et des injures, est le signe que, sur le terrain
de la méthode, le complotiste vient bousculer son adversaire dans ses
derniers retranchements, lorsque celui-ci est au bord de son propre
gouffre intellectuel.